Quel est le bilan humain exact des accidents de Tchernobyl et de Fukushima ? À cette question, il n’a jamais été possible de répondre. Parce qu’il est difficile d’isoler les causes de décès et de maladies des personnes. Mais aussi parce que les instances internationales de radioprotection, chargées de protéger les populations des dangers de la radioactivité, n’ont pas mis en place les outils de recherche nécessaires. Plus grave, elles ont fixé des seuils d’exposition « tolérable » aux rayons ionisants supérieurs aux valeurs préconisées par une partie des médecins. Ces valeurs de référence ont été utilisées par les gouvernements lors des catastrophes de Tchernobyl, en 1986, mais aussi de Fukushima en 2011.

C’est ce qu’explique Yves Lenoir dans son livre La Comédie atomique, l’histoire occultée des radiations (La Découverte). L’auteur n’est ni épidémiologiste, ni médecin. C’est un ingénieur, expert en déchets radioactifs depuis le lancement du programme électronucléaire français dans les années 1970.
Yves Lenoir ne cache pas son opposition à l’usage de l’énergie nucléaire pour ses applications militaires et civiles. Mais en quarante ans de recherches sur les effets des radiations, il a accumulé une quantité impressionnante d’archives, de témoignages et de documents sur les pathologies et les souffrances endurées par les liquidateurs de Tchernobyl, les habitants de sa région, et en particulier les enfants – il préside l’association Enfants de Tchernobyl Belarus. C’est le point de départ de son ouvrage, qui tente de remonter le fil de l’occultation de cette tragédie, jusqu’aux plus hautes instances d’une bureaucratie internationale inconnue du grand public.
Son livre est une enquête historique détaillée sur la création, puis le fonctionnement en toute opacité, dans une culture persistante de l’entre soi, des instances internationales de radioprotection, placées sous l’égide de l’ONU. Il fait aussi l’hypothèse d’un imaginaire de la radiation, commun aux concepteurs de l’armement nucléaire (depuis le Manhattan Project dans les années 1940) et aux promoteurs de son utilisation en médecine et en production d’électricité. Il s’en explique dans cet entretien vidéo réalisé à Mediapart le 4 mai 2016.