Europe Reportage

Référendum irlandais: les raisons de la remontée du “non”

Alors que l'Irlande se prononce jeudi 12 juin par référendum sur le traité de Lisbonne, un sondage place pour la première fois le “non” en tête. En 2001, déjà, l'île avait rejeté le traité de Nice (actuellement en vigueur), avant de le ratifier lors d'un second référendum. Mais après le rejet du traité constitutionnel en 2005 par les Néerlandais et les Français, un vote négatif irlandais aurait certainement plus de poids. De notre envoyée spéciale Maguy Day

Maguy Day

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Dans les rues de Dublin, les affiches qui ont fait leur apparition à la mi-mai avec l’ouverture officielle de la campagne référendaire pour la ratification du traité de Lisbonne sont à l’image des derniers sondages. On les trouve épinglées autour des poteaux de la capitale, de manière presque égalitaire, avec un léger avantage en faveur du “non”, et on peut même noter une absence d'affichage par endroits comme un signe avant-coureur d'absentéisme. En effet, à en croire le dernier sondage paru dans le quotidien Irish Times, vendredi 6 juin, la part importante d’indécis et l’inconnue du taux de participation inquiètent les Irlandais favorables au traité, tandis que le camp du « non » pourrait gagner. Pour 35 % d’électeurs opposé à une ratification, 30 % y sont favorables et 28 % hésitent encore.

Dimanche, une nouvelle étude publiée par le Sunday Business Post accorde une avance de 3 points aux partisans du «oui» avec 42% des intentions de vote contre 39% pour le «non». C'est le dernier sondage pouvant être légalement rendu public avant le scrutin.

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Nul doute que les unes de la presse irlandaise, cette dernière semaine, fournissant des détails sur les accusations de corruption qui entachent le précédent premier ministre ont été pour quelque chose dans ce revirement de l’opinion. Malgré la démission en avril dernier de Bertie Ahern, après onze années à la tête du gouvernement, l’électorat reste sous le coup de cette trop grande proximité du monde politique et des milieux d’affaires, Brian Cowen, son remplaçant depuis le 7 mai, n’étant autre que le bras droit de Bertie Ahern et son ancien ministre des finances.
Ce sont donc près de 490 millions d’Européens qui vont retenir leur souffle alors que ce petit pays de 4,3 millions d’âmes est le seul à avoir choisi la voie du référendum. Or l’unanimité des pays membres de l’Union est requise pour que le traité réformant les institutions européennes entre en vigueur. Si un seul des 27 pays membres vote non, y compris par voie parlementaire, c’est toute l’Union qui devra revoir sa copie. Il faudra alors revenir sous l’auspice du traité de Nice de 2002 avant de pouvoir dégager de nouvelles modalités du fonctionnement de l’Union européenne et de ses douze nouveaux membres arrivés entre-temps.

Virage pour le “oui” du principal syndicat agricole

Convaincu que la victoire du «oui» au référendum est d'un « intérêt national vital », le premier ministre Brian Cowen a fait un geste en direction du monde agricole et prononcé le mot qui rassure face à l’Association des agriculteurs irlandais (Irish farmers association-IFA) qui menaçait d’entraîner ses 85.000 adhérents à voter « non ».

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Le Taoiseach (premier ministre en gaélique) a ainsi « assuré l'IFA qu'il était prêt à utiliser son veto si un accord inacceptable pour l'Irlande est soumis au vote » lors des pourparlers de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), selon un communiqué publié mardi 3 juin. La réaction de l'IFA ne s’est pas fait attendre et suite à la décision unanime de son comité exécutif de l’IFA de soutenir le traité, son président Padraig Walshe, s’est officiellement engagé à inciter un maximum des membres de la puissante fédération agricole, ainsi que toutes les personnes travaillant dans le secteur agro-alimentaire et ses services, à participer au vote. Au regard des liens historiques qui lient les Irlandais à leur terre et des nouvelles communautés urbaines dont les sympathies vont au fermier du coin, pas moins de 400.000 personnes sur 3 millions d’électeurs seraient concernées. Un pourcentage non négligable dans le cadre d’un scrutin qui s’avère serré. Le syndicat agricole vient donc grossir les rangs des partisans du « oui », aux côtés de la quasi-totalité des formations politiques, syndicales ou professionnelles.

Porte-à-porte et campagne sur le Net pour le "non"

Face à eux, les forces opposées au traité qui viennent d’horizons divers – des extrémistes catholiques de Cóir, opposés à la légalisation de l’avortement, au Parti des travailleurs – ont, malgré leurs manques de moyens, trouvé des relais importants sur le net. Et leurs sites qui occupent l’espace de la toile complètent la campagne plus traditionnelle du Sinn Fein et de l’organisation Libertas. Car de toutes les forces représentées à l'Assemblée, seul le parti nationaliste Sinn Féin, qui compte quatre députés sur 166 au Dail, s’oppose au traité et a mené une campagne active de démarchage, porte-à-porte, quand les principaux partis se contentaient de distribuer des tracts.

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Mary Lou McDonald, députée européenne du Sinn Fein qui a œuvré pour l’indépendance de l’Irlande en 1921 dénonce un traité qui dessert les intérêts du pays. « Le gouvernement doit encore nous expliquer en quoi les atteintes au service public, aux droits des travailleurs servent notre économie ou à qui profite la perte de droits de veto clés en cas d’accord sur les services publics et le commerce international », s’insurge-t-elle. Chef de file de la campagne du « non », la représentante du Sinn Fein explique que, l’Irlande, attachée à sa neutralité, n’a en particulier rien à gagner à une augmentation des dépenses militaires et veut que le pays obtienne des garanties de Bruxelles en la matière. L’arrivée, il y a quelques mois à peine, du flamboyant mais sulfureux millionnaire Declan Ganley et de son organisation Libertas, a quant à elle apporté aux nonistes une visibilité inespérée. Plus des trois quarts des 1,3 million d’euros consacrés à la campagne du non devraient être dépensés par Libertas.

L'Irlande, grandement bénéficiaire des aides européennes

Côté patronat 36 organisations représentant 250.000 entreprises militent activement en faveur du traité. Suivis en cela par les principales organisations syndicales, à l’exception du SIPTU et de ses 200.000 adhérents. « Si l’on se place du point de vue du monde de l’entreprise, le traité de Lisbonne est une bonne affaire. L’économie a largement bénéficié de son adhésion à l’Union européenne et puisque nous approchons une zone de turbulence, le traité de Lisbonne prend toute son importance », souligne Brendan Butler, responsable international de la principale organisation patronale (Irish business and employers confederation, pour IBEC).

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En effet, l’Irlande a pu mettre à profit 55 milliards d’euros en provenance de Bruxelles depuis 1972. Délaissant son partenaire britannique, le pays s’est tourné vers le continent et ses nouveaux membres pour doubler en dix ans ses exportations en direction du bloc européen qui ont atteint 88 milliards d’euros en 2007. Signe tangible du soutien communautaire, rappelé par une plaque à chaque station, le tramway de Dublin, le Luas, inauguré en 2004 a bénéficié de 82,5 millions d’euros du fonds régional européen.

Ralentissement économique en 2008

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Dans un pays où la pauvreté a, depuis des siècles, contraint la population à fuir pour trouver des terres plus accueillantes, et où le flux net migratoire n’est devenu positif qu’à la fin des années 1980, l’aide européenne n’est certainement pas étrangère au succès du «tigre celtique». Mais après des années de croissance formidable, l’économie irlandaise donne des signes de ralentissement. Après avoir avoisiné 6 % il y a trois ans et 4 % en 2007, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) ne devrait pas dépasser 1,5% en 2008 d’après les prévisions de printemps de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Brendan Butler souligne l’importance d’une politique de sécurité énergétique commune et du développement des infrastructures de transport dans une île totalement dépourvue de gaz ou de pétrole et à des milliers de kilomètres des pays producteurs du Golfe ou d’Asie centrale. « L’Irlande est un petit pays dont la croissance dépend à plus de 80% de ses exportations, nous ne faisons pas le poids pour négocier des accords commerciaux avec le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine. L’Union européenne, si. »

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