Présence militaire au Sahel : la France promet qu’elle a changé

Les ministres des armées et des affaires étrangères français se rendent jeudi 14 juillet au Niger, dans la foulée du défilé militaire parisien, pour une visite officielle. Ils vont tenter d’y convaincre leurs homologues qu’au Sahel, la France est désormais à l’écoute de ses alliés militaires et respecte la souveraineté de ses partenaires africains.

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Pour sa première visite officielle sur le continent africain, le nouveau ministre français des armées ne sera pas seul. Dans la foulée du défilé militaire du 14 Juillet, Sébastien Lecornu va prendre un avion pour le Niger en compagnie de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna. Les deux représentants français y resteront une journée.

Le fait que le ministre des armées ait choisi de se rendre rapidement au Niger n’est pas tout à fait une surprise : depuis le retrait des soldats français du Mali sur fond de relations diplomatiques catastrophiques, cet État grand comme deux fois la France est considéré comme le nouveau pays clé dans la stratégie militaire française au Sahel.

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Emmanuel Macron lors d'une visite aux troupes françaises stationnées sur le base aérienne de Niamey, le 22 décembre 2017. © Ludovic Marin / AFP

L’organisation d’un déplacement conjoint avec le ministère des affaires étrangères, en revanche, a de quoi surprendre, tant les militaires français ont donné ces dernières années le sentiment de vouloir faire de la région une chasse gardée, au détriment du Quai d’Orsay.

Mais voilà, en matière de politique sahélienne, la France jure qu’elle a changé. Cette double visite officielle est supposée le démontrer.

Adieu, donc, la mainmise des militaires sur la politique étrangère de la France en Afrique de l’Ouest, il faut désormais « incarner le nexus civilo-militaire », soit l’idée que « notre stratégie au Sahel repose à la fois sur un volet civil (l’aide au développement, l’aide humanitaire, la prévention des conflits) et sur un volet militaire », assure le Quai d’Orsay.

L’idée n’est pas nouvelle, mais il s’agit de l’incarner. À Niamey, Sébastien Lecornu et Catherine Colonna vogueront donc, selon le programme annoncé, de « civil » en « militaire », allant de visite de base aérienne en visite de centre de santé, discutant tour à tour avions de chasse et malnutrition infantile avec leurs homologues.

Promesses de concertation

Surtout, les deux ministres vont tenter de faire ce que la France a échoué à faire depuis près de dix ans : écouter.

Alors que l’opération Barkhane - lancée en 2014, dans la foulée de l’opération Serval, pour combattre les groupes armés djihadistes au Sahel - se termine, en tout cas sous sa forme actuelle, la France doit réfléchir à la suite : des soldats français resteront-ils présents dans la région ? Pour faire quoi ? Avec qui ? Paris promet que ces décisions seront prises, une fois n’est pas coutume, en concertation avec ses alliés africains.

« Nous sommes là pour écouter les besoins de nos partenaires nigériens et réfléchir ensemble à l’après [retrait du Mali – ndlr] », assure ainsi le Quai d’Orsay. « Nous y allons pour les écouter, comprendre de quoi ils ont besoin, ce qu’ils attendent de nous et écouter leur ressenti », abonde le ministère des armées (ajoutant, dans une sorte de révélation tardive : « Parce qu’ils sont quand même les premiers concernés »).

À vrai dire, dessiner les contours de « l’après » est devenu urgent : les derniers soldats français au Mali (ils sont encore environ 2 000, selon l’état-major) devraient plier bagage à la fin de l’été. La base de Gao, dernière grande emprise française dans le pays, devrait être quittée « vers la fin août », indique le ministère des armées.

Stratégie déjà largement actée

La suite s’écrira-t-elle de concert avec les autorités du Niger, mais aussi de la Mauritanie, du Burkina Faso, du Tchad (trois autre pays où Barkhane opère), de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Sénégal (trois pays où la France a des bases militaires permanentes), ou encore du Togo et du Bénin (pays du golfe de Guinée qui constituent de nouvelles cibles des groupes djihadistes ouest-africains) ?

On aimerait y croire, mais il semble que la nouvelle stratégie militaire française pour l’Afrique de l’Ouest soit déjà largement actée. Selon les informations de la publication spécialisée Africa Intelligence, un document d’une vingtaine de pages intitulé « Révision de notre stratégie française dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest » a déjà été soumis, fin mai, aux ambassades françaises de la région.

Par petites touches, lors d’entretiens et de « briefs » destinés à la presse, le ministère des armées et l’état-major ont déjà commencé d’en dessiner les contours : une « réarticulation » tournée principalement vers le Niger et le Tchad, avec un nombre de soldats réduit mais toujours substantiel (possiblement « de l’ordre de 2 300 à 2 500 », avance le ministère), effectuant principalement des opérations d’appui et de soutien (en « deuxième rideau ») aux forces armées africaines alliées.

Parmi les principes qui guident cette stratégie : le souci constant de ne pas afficher trop ouvertement les couleurs françaises. Paris sait à quel point, dans certains pays de la région, la présence militaire continue de l’ancien colonisateur est mal vue. C’est ce souci qui explique, notamment, pourquoi la France a déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de nouvelle base militaire française au Niger. Les soldats tricolores utiliseront une base aérienne existante à Niamey ainsi que des bases avancées nigériennes vers la zone dite « des trois frontières », où les Français pourront « rester un certain temps en fonction des opérations ».

Stratèges et communicants se bousculent pour donner un nom à cette nouvelle approche, supposément centrée sur les besoins des pays alliés : un « partenariat de combat » pour le commandant actuel de Barkhane, une « inversion du partenariat » pour son commandant en chef adjoint...

Plus que tout, les Nigériens redoutent le syndrome malien.

Garé Amadou, journaliste nigérien

Pour bon nombre de Nigérien·nes, peu importe le nom, l’essentiel est que cela fonctionne - si possible mieux qu’au Mali et au Burkina Faso, où Barkhane n’a pas réussi à stopper la progression des groupes djihadistes.

« Plus que tout, les Nigériens redoutent que le syndrome malien, caractérisé par l’incapacité de Barkhane à enrayer le terrorisme au Mali, ne s’installe au Niger », estime le journaliste Garé Amadou, rédacteur en chef du quotidien La Nation. Pour lui, les Français n’ont désormais qu’une option pour « faire mentir les plus sceptiques » : « des résultats ».

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