[En accès libre] Si le Rassemblement national accède au pouvoir

Droits des femmes : les mensonges éhontés de Jordan Bardella

Creusant le sillon ouvert par Marine Le Pen, Jordan Bardella se présente comme le premier ministre qui « garantira de manière indéfectible » à chaque femme de France « ses droits et ses libertés ». Les votes récents et déclarations des membres de son parti attestent l’exact inverse.  

Sarah Brethes

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Dans un mouvement unitaire, l’ensemble des organisations féministes appelle à sonner « l’alerte » dimanche 23 juin dans les rues de France contre le péril que constitue l’extrême droite. Les féministes se sont accordées sur un dénominateur commun : pour les droits des femmes et des minorités de genre, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’égalité femmes-hommes et l’avenir des associations qui œuvrent en ce sens, l’arrivée en tête des prochaines législatives du parti de Jordan Bardella, promoteur d’un système xénophobe et patriarcal refusant tout progrès social, serait une catastrophe.

Lundi 17 juin, le président du Rassemblement national n’a pas hésité à se présenter, dans une vidéo postée sur X à l’attention de « toutes les femmes de France », comme « le premier ministre qui garantira de manière indéfectible à chaque fille et à chaque femme de France ses droits et ses libertés ». « Le 30 juin et le 7 juillet, vous voterez aussi pour vos droits », a-t-il lancé, avant de dérouler un inventaire fallacieux des « avancées » pour lesquelles les député·es RN se seraient « battu·es ».

Une manœuvre électoraliste – les femmes, qui ont longtemps tourné le dos à l’extrême droite, sont désormais aussi nombreuses que les hommes à lui donner leurs voix – qui se fracasse à l’épreuve des faits. Les programmes (entièrement vides sur ce sujet), les déclarations et les votes récents de son parti, au Palais-Bourbon comme à Strasbourg, attestent l’exact inverse. Revue de détail d’une imposture.

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Jordan Bardella à Lorient, le 23 janvier 2024. © Photo Loïc Venance / AFP

Le RN défend le droit d’accès à l’IVG : faux

Marine Le Pen a rompu avec l’histoire de son parti, qui ne remet désormais plus en cause le droit à l’interruption volontaire de grossesse – l’abrogation de la loi Veil de 1975 sur l’IVG était dans le programme du Front national (FN) jusqu’en 2002. Mais le Rassemblement national est loin de défendre le « droit fondamental à disposer de son corps » pour les femmes, comme le clame Jordan Bardella.

« Parce qu’aucune femme ne doit craindre qu’un seul de ces droits soit remis en cause, Marine Le Pen a soutenu l’inscription de l’IVG dans la Constitution », poursuit-il. Ce n’est pas un hasard si Jordan Bardella cite le nom de sa prédécesseure à la tête du parti et pas celui d’autres élu·es RN.

Car lors du vote qui a eu lieu au Congrès le 4 mars dernier, faisant de la France le premier pays au monde à inscrire explicitement dans sa Constitution « la liberté garantie » de recourir à l’IVG, les parlementaires d’extrême droite ne se sont pas distingué·es par leur enthousiasme, le parti restant en réalité très divisé sur cette question. La preuve : près de la moitié des 91 élu·es n’ont pas voté pour – 11 contre, 20 abstentions, 14 absent·es, parmi lesquel·les la très catholique Laure Lavalette, qu’on sait opposée à cette mesure.

Rappelons aussi qu’en 2022, lorsque l’Assemblée a voté l’allongement du délai de recours à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, aucun·e des sept député·es RN de l’époque n’a voté pour (3 voix contre, 4 absent·es).

Même tendance au Parlement européen, où le RN comptait 18 représentant·es dans la mandature qui vient de s’achever. En 2020, alors que la Pologne s’apprête à interdire quasi totalement l’accès à l’avortement, une résolution est proposée pour condamner cette décision et soutenir les milliers de manifestant·es qui s’y opposent. Le RN s’abstient.

Parmi les votants, l’eurodéputée Annika Bruna dénoncera « la banalisation » de l’avortement en Europe. Questionnée sur cette abstention, Marine Le Pen répondra en se disant « attachée à la souveraineté » : « Chaque peuple a le droit de décider pour lui-même. » Et « en l’espèce, l’avortement n’est pas interdit en Pologne », a-t-elle ajouté, alors que l’IVG n’y est plus possible qu’en cas de viol, d’inceste ou de menace pour la vie de la mère.

Plus récemment, en avril 2024, les parlementaires européens ont aussi été invité·es à se prononcer sur l’entrée du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’extrême droite française, alliée des gouvernements italien et hongrois qui attaquent eux aussi les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, s’est là encore abstenue.

Le RN soutient la lutte contre les violences envers les femmes : faux

À la base de l’idéologie de l’extrême droite, il y a deux dénis de réalité : le RN refuse catégoriquement de voir les discriminations et les violences comme des faits de société systémiques. Et il considère que, quand elles existent, ces violences sont le fait d’hommes étrangers.

« Les hommes ne sont pas tous des coupables en puissance nécessitant d’être rééduqués par les féministes », a ainsi déclaré en 2021 l’eurodéputée Annika Bruna. Guère étonnant, donc, que le RN se soit abstenu en 2020 lors du vote à Strasbourg sur la ratification de la Convention d’Istanbul, texte le plus vaste sur ce sujet, puisqu’il contraint notamment les États signataires à intégrer dans leurs dispositifs législatifs un certain nombre d’infractions (violences psychologiques, harcèlement, mariage forcé, mutilations génitales…).

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Lors de la manifestation contre l’extrême droite à Toulouse, le 15 juin 2024. © Photo Alain Pitton / NurPhoto via AFP

En décembre 2021, au Parlement européen, les député·es RN ont aussi voté contre une résolution intitulée « MeToo et harcèlement : conséquences pour les institutions de l’Union européenne ». Lors des débats, Annika Bruna avait expliqué le vote de son parti en contestant que les violences sexuelles se nourrissent du sexisme et des « stéréotypes liés au genre ». Car pour le RN, « ces cas ne représentent fort heureusement qu’une infime minorité d’hommes ».

Au moment de l’affaire Hulot, fin 2021, Marine Le Pen avait dénoncé des « procès médiatiques qui laissent des coupables non condamnés ». Confrontée à des affaires de violences sexuelles au sein de son parti, la députée a refusé de sanctionner les mis en cause, qui contestaient les accusations. 

Le RN s’est aussi abstenu sur un texte proposant une « évaluation du harcèlement sexuel dans l’Union européenne après #MeToo », en juin 2023. Absence également de vote en faveur de la dernière directive pour « combattre les violences envers les femmes et les violences domestiques », en avril dernier, qui a entériné une batterie de mesures ambitieuses.

« Nous mènerons une lutte implacable contre l’insécurité qui fait régresser la liberté de chaque femme de France de se déplacer dans les rues et dans l’espace public », promet Jordan Bardella dans sa vidéo. Avant de préciser : « Nous reprendrons le contrôle de notre politique migratoire en expulsant les délinquants et criminels étrangers, en instaurant des peines plancher, en renforçant sévèrement les sanctions contre les violences faites aux femmes. »

« On a l’impression qu’il suffirait d’expulser les hommes étrangers pour régler le problème alors qu’un tiers des femmes sont harcelées au travail, que 87 % des viols sont commis par des Français, et 45 % par un conjoint ou ex-conjoint », a souligné jeudi 20 juin Murielle Guilbert, codéléguée de l’union syndicale Solidaires, lors d’une conférence de presse rassemblant les structures appelant à la manifestation féministe de dimanche.

Le RN promeut l’égalité entre les femmes et les hommes : faux

« L’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de s’habiller comme on l’entend, le droit fondamental à disposer de son corps sont des principes non négociables », promet Jordan Bardella. La liberté de s’habiller exclut visiblement le voile, que le RN entend toujours interdire, même s’il a récemment repoussé l’échéance.

Sur l’égalité femmes-hommes, le RN n’a, encore une fois, fait que s’abstenir, s’opposer, voire ne pas même participer aux votes sur l’ensemble des textes proposés en la matière ces dernières années. Exemple : en 2021, à l’Assemblée nationale, les élu·es RN n’ont pas pris part au vote de la loi Rixain sur l’égalité salariale.

À Strasbourg, il et elles ont voté en 2022 contre un salaire minimum européen fondé sur un niveau de vie décent pour chaque État membre, concernant majoritairement les femmes, les plus nombreuses parmi les bas et très bas salaires.

L’extrême droite française s’est aussi opposée en 2022 à un plan d’action de l’Union européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes : « Nous ne voulons pas imposer à nos filles de devenir des hommes comme les autres », avait déclaré l’eurodéputée Annika Bruna à cette occasion. Même opposition en 2023 à une directive imposant la transparence aux entreprises pour lutter contre les écarts de rémunérations. Et la liste n’est pas exhaustive.

Rien d’incohérent toutefois avec le fait que le RN promeut une répartition des rôles genrée, réduit les femmes à un rôle maternel et les cantonne au foyer. « Nous partons du principe qu’une mère au foyer, elle est peut-être mieux à la maison à s’occuper des enfants », avait ainsi déclaré en septembre 2023, à l’occasion des débats sur le projet de loi « pour le plein-emploi », le député Jocelyn Dessigny, par ailleurs sanctionné pour avoir traité la députée LFI Mathilde Panot de « poissonnière ».

« Moi je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe […], qu’on ait des petits Français demain, plutôt que d’ouvrir les vannes et de voir l’immigration comme un projet de peuplement », avait défendu le vice-président RN de l’Assemblée, Sébastien Chenu, en février 2023.

LE RN lutte pour une meilleure prise en charge des maladies féminines : faux

« Ces derniers mois nous nous sommes battus pour une meilleure prise en charge des femmes atteintes d’endométriose », nous explique Jordan Bardella. Aïe. Le RN avait effectivement déposé un texte à l’Assemblée, mais il avait été dénoncé à gauche comme au sein de la majorité car il ne répondait pas aux demandes des associations spécialisées.

« Ils parlent de cinq stades de la maladie alors qu’il n’y en a que quatre, disent que ça ne concerne que les femmes en âge de procréer alors que c’est faux et évoquent un chemin de guérison quand il n’y a pas de traitement… C’est une instrumentalisation de la souffrance des femmes », s’était indignée Véronique Riotton, députée Renaissance et présidente de la délégation aux droits des femmes, à propos du texte du RN.

En janvier 2022, quand la résolution portée par la députée LFI Clémentine Autain a été présentée et votée à l’unanimité, seul un député RN était dans l’hémicycle.

« Lorsque des propositions de bon sens sont venues d’autres partis politiques, nous les avons votées sans sectarisme, et avec l’unique obsession de protéger les femmes. Je pense à la prise en charge intégrale par l’assurance maladie des soins liés au traitement du cancer du sein », nous dit aussi le président du RN. Aïe encore. Car le RN a œuvré avec la majorité pour amender le texte initial, proposé par le PCF, pour que les dépassements d’honoraires ne soient pas pris en charge.    

De la même façon, les parlementaires d’extrême droite – qui sèchent souvent les travaux de l’Assemblée – ont trouvé le chemin de l’hémicycle quand il s’est agi de s’opposer à la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes les femmes. Pour la première lecture du projet de loi bioéthique, en octobre 2019, les RN étaient en force pour voter contre. On y retrouvait notamment Louis Aliot, Sébastien Chenu et Marine Le Pen… Bruno Bilde et Ludovic Pajot s’étaient abstenus. Pour la lecture définitive le 29 juin 2021, les parlementaires, en nombre, ont été unanimes et ont voté contre. 

Les associations et les politiques publiques en faveur des femmes sont menacées par le RN : vrai

Les leaders du RN ne font pas mystère de leur projet de couper les subventions versées aux associations féministes. Mais ce n’est pas tout. « Ces derniers mois, on a vécu beaucoup de raids, de menaces, d’attaques sur les réseaux sociaux », expliquait jeudi 21 juin la présidente du Planning familial, Sarah Durocher. La militante a également rappelé les attaques dont ont fait l’objet plusieurs locaux de l’association. « On voit cela monter depuis un an et demi, depuis l’arrivée en nombre de parlementaires RN à l’Assemblée », a-t-elle insisté.

« En 2022, Marine Le Pen avait annoncé que si le RN arrivait au pouvoir il n’y aurait plus de ministère des droits des femmes. Ça veut dire plus de politiques publiques spécialisées », a enchaîné Clémence Pajot, directrice générale de la Fédération des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. « Les politiques publiques (lutte contre les violences sexistes et sexuelles, éducation à la vie sexuelle et affective…) reposent quasiment uniquement sur nos associations. La fin des subventions, c’est plusieurs centaines de milliers de femmes qu’on ne pourra plus accompagner, des femmes victimes de violence, des femmes étrangères, des femmes LGBT », a-t-elle ajouté.

Si vous avez des informations sur les extrêmes droites à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse extremedroite@mediapart.fr.