Est-ce pareil de jeter de la soupe sur un Van Gogh dans un musée public ou de la peinture orange sur un Charles Ray devant une fondation privée ? Faut-il, pour parler de l’émancipation des femmes dans une exposition grand public, évacuer d’une exposition les marqueurs de leur oppression ? Et pourquoi la vidéo est-elle si centrale dans un musée d’art contemporain tentant de saisir à travers une exposition collective les manières d’échapper aux récits dominants ?
Voilà quelques-unes des questions que l’on se posera en se rendant au musée Carnavalet, pour le parcours « Parisiennes citoyennes ! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) », puis au Palais de Tokyo pour sa nouvelle saison et l’exposition collective intitulée « Shéhérazade la nuit », et enfin en rediscutant des effets politiques des dernières actions symboliques menées par des activistes écologistes dans différents musées.
« Parisiennes citoyennes ! »
« Parisiennes citoyennes ! », avec un point d’exclamation à la fin et un sous-titre ainsi rédigé : « Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) », c’est l’exposition temporaire du musée Carnavalet à Paris qui ne désemplit pas depuis son ouverture le 28 septembre. On y voit de nombreuses photos et beaucoup d’affiches, quelques vidéos mais aussi des habits, ainsi que des documents et des textes qui ont, depuis la Révolution, accompagné l’émancipation des femmes dont le récit chronologique ne doit pas laisser penser qu’elle fut linéaire.
Dans cette exposition principalement fondée sur des archives, on trouve aussi bien des images iconiques, comme la photo de Rose Zehner prise par Willy Ronis haranguant des grévistes de Citroën en 1938, certaines affiches du MLAC (le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) ou des manuscrits quasi inédits, que des dessins de l’auteur de BD Lisa Mandel, que l’on retrouve dans le catalogue qu’elle cosigne avec Christine Bard aux éditions Paris-Musées.
« Parisiennes citoyennes ! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000) » est visible jusqu’au 28 janvier prochain.
Écouter la première partie de l’émission consacrée à « Parisiennes citoyennes ! » :
« Shéhérazade, la nuit » et « Difé »
La saison automne-hiver 2022 du Palais de Tokyo, à Paris, s’est ouverte le 19 octobre dernier et sera visible jusqu’au 8 janvier. Parmi les espaces trop vastes pour être parcourus en quinze minutes de radio, nous laisserons donc de côté la « Parade » proposée par Guillaume Leblon reliant l’intérieur et l’extérieur de ce lieu d’exposition consacré à l’art contemporain, ainsi que l’exposition de Cyprien Gaillard, également présent à Lafayette Anticipations, en dépit d’une vidéo assez sidérante à ne pas rater si vos pas vous mènent vers le Trocadéro, où l’on voit comment des wagons du mythique métro de New York furent noyés dans la baie pour renforcer les fonds marins.
On se concentre ici sur l’exposition collective, intitulée « Shéhérazade, la nuit », consacrée aux artistes Minia Biabiany, Miguel Gomes, Ho Tzu Nyen, Pedro Neves Marques, Lieko Shiga et Ana Vaz. Elle est présentée comme un rassemblement d’œuvres proposant, je cite, « d’écrire des fictions envisagées comme des outils critiques face aux récits dominants » et des œuvres où, je cite encore, « une androïde activiste discute sexualité avec des plants de maïs transgénique, une île vierge de toute empreinte humaine émerge de l’océan face à un territoire contaminé, des tigres-garous bondissent sur la domination coloniale, un feu doux mange le silence… ».
On parlera aussi de l’exposition intitulée « Difé », c’est-à-dire « feu » en créole, de l’artiste guadeloupéenne Minia Biabiany, également présente dans l’exposition collective. Ces deux expositions ont le même commissaire, en l’occurrence Yoann Gourmel.
« Shéhérazade la nuit » et « Difé » de Minia Biabiany, c’est visible, comme toute la nouvelle saison du Palais de Tokyo, jusqu’au 8 janvier prochain.
Écouter la deuxième partie de l’émission consacrée à la nouvelle saison du Palais de Tokyo :
Les actions écologiques dans les musées
Les œuvres présentées au Palais de Tokyo n’ont pas subi d’attaques à la farine, à la peinture, à la soupe ou à la sauce tomate, mais il faut dire qu’elles sont moins connues que les Tournesols de Van Gogh, La Jeune Fille à la perle de Vermeer, les 32 boîtes de soupe Campbell d’Andy Warhol ou encore le Cri de Munch : autant de toiles visées par des actions de militant·es écologistes depuis cette rentrée. Les cibles sont-elles bien choisies ? L’efficacité politique de ces actions symboliques est-elle évidente et importante ? Et comment réagissent les institutions culturelles visées, sur le moment et en prévision de futures actions ?
Autour de ce sujet, vous pouvez aussi lire, déjà publiés dans Mediapart, « Jets de peinture et de soupe sur les œuvres d’art : « Ça vous choque, tant mieux ! » et « L’activisme écologique crée un malais dans les musées ».
Écouter la dernière partie de l’émission consacrée aux jets de liquides sur des œuvres d’art :
Autour des micros aujourd’hui :
- Magali Lesauvage, rédactrice en cheffe adjointe de l’Hebdo, le numéro hebdomadaire spécial enquêtes du Quotidien de l’Art ;
- Line Ajan, chargée de recherches au musée d’Art contemporain du Luxembourg ;
- Victoria Le Boloch Salama, critique d’art et rédactrice en chef du podcast « Chefs-d’œuvre en réserves ».
« L’esprit critique » est un podcast proposé par Joseph Confavreux pour Mediapart, enregistré dans les studios de Gong par Karen Beun et réalisé par Samuel Hirsch.