« L’esprit critique » : autour des romans de Mohamed Mbougar Sarr, Douglas Stuart et Nathalie Quintane

Notre émission culturelle hebdomadaire débat de littérature, autour de « La Plus Secrète Mémoire des hommes » de Mohamed Mbougar Sarr, de « Shuggie Bain » de Douglas Stuart et de « La Cavalière » de Nathalie Quintane.

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L’univers aussi feutré que violent d’une petite ville du sud de la France dans les années 1970, les quartiers pauvres de Glasgow dans les années 1980, le Paris littéraire africain des années 1930 jusqu’à l’époque contemporaine… Ce nouveau numéro de « L’esprit critique » parcourt les lieux et les époques en s’intéressant à trois romans : La Plus Secrète Mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, co-publication des éditions Philippe Rey et Jimsaan ; Shuggie Bain, de Douglas Stuart paru chez Globe et La Cavalière, le dernier ouvrage de Nathalie Quintane aux éditions POL.

« La Plus Secrète Mémoire des hommes »

Le dernier livre de Mbougar Sarr est retenu sur l’ensemble des listes de prix de l’automne. Avant La Plus Secrète Mémoire des hommes, le jeune romancier sénégalais a déjà publié plusieurs romans, dont le dernier, intitulé De purs hommes, s’emparait du sujet de l’homophobie et de la masculinité au Sénégal.

Ici, dans un Paris contemporain, un jeune écrivain sénégalais de fiction baptisé Diégane Latyr Faye, fréquentant un groupe d’auteurs originaires d’Afrique – qui ne cessent de parler, réfléchir à leur création et coucher les uns avec les autres –, découvre un livre aussi mythique que mystérieux, paru juste avant la Seconde guerre mondiale. Le Labyrinthe de l’inhumain est écrit par un certain T. C. Elimane, sur les traces duquel part le jeune Diégane, entraînant les lecteurs à sa suite. 

Un roman qui commence de la sorte : « D’un écrivain et de son œuvre, on peut au moins savoir ceci : l’un et l’autre marchent ensemble dans le labyrinthe le plus parfait qu’on puisse imaginer, une longue route circulaire, où leur destination se confond avec leur origine : la solitude.

Je quitte Amsterdam. Malgré ce que j’y ai appris, j’ignore toujours si je connais mieux Elimane ou si son mystère s’est épaissi. Je pourrais convoquer ici le paradoxe de toute quête de connaissance : plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparaît l’immensité de l’inconnu et de notre ignorance ; mais cette équation ne traduirait encore qu’incomplètement mon sentiment devant cet homme. »

Écouter la première partie de l’émission, autour de La Plus Secrète Mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr (éd. Philippe Rey et Jimsaan).

« Shuggie Bain »

Shuggie Bain, premier roman de Douglas Stuart, traduit de l’écossais par Charles Bonnot, est publié aux éditions Globe après un succès fulgurant récompensé par le Booker Prize 2020.

Shuggie Bain est le nom du plus jeune fils d’Agnes Bain, dont le corps se décompose dans l’alcool et sous nos yeux au fil d’un récit situé dans le Glasgow pauvre des années 1980, où se profile l’ombre des politiques décrétées par la Dame de fer, Margaret Thatcher.

Une relation entre une mère et son fils que le narrateur évoque en ces termes : « Elle n’était d’aucune utilité pour finir un exercice de maths et certains jours on avait le temps de mourir de faim avant qu’elle prépare un dîner mais Shuggie la regarda et compris que c’était en ça qu’elle excellait. Chaque jour elle ressortait de sa tombe, maquillée et coiffée, et redressait la tête. Quand elle s’était ridiculisée la veille, elle se relevait, mettait son plus beau manteau, et faisait face au monde. Quand elle avait le ventre vide et que ses mômes avaient faim, elle se coiffait et faisait croire au monde entier qu’il n’en était rien. »

Écouter la deuxième partie de l’émission, autour de Shuggie Bain, de Douglas Stuart (éd. Globe).

« La Cavalière »

Le dernier livre de Nathalie Quintane, La Cavalière, publié par les éditions POL après notamment Les Enfants vont bien, Un œil en moins, Que faire des classes moyennes ? ou encore Tomates et, plus récemment, à La Fabrique, Un hamster à l’école, dans lequel elle faisait matière de son métier d’enseignante en collège, revient sur l’histoire, située au début des années 1970, d’une enseignante nommée Nelly Cavallero (d’où le titre du livre, La Cavalière) accusée de mauvaises mœurs et de débaucher ses élèves dans une ville du sud de la France, désignée par sa seule initiale, D.

Un projet d’écriture que Nathalie Quintane évoque ainsi : « Si j’ai pris tant de temps à me décider à écrire ce texte, c’est que je trouvais l’époque lointaine, nous disant peu ou à travers une tulle, avec ses profs qu’on fait chier pour une histoire de tract ou de pilule contraceptive, ses hippies pieds nus qu’on traite de pédés – il y a eu le sida entre-temps, le 11-Septembre, la chute du Mur, les islamistes, le mariage gay. Les époques sont incomparables. L’analogie est une erreur. On comprend mal le présent en partant du passé même si on ne peut comprendre le passé qu’à partir du présent. Mais est-ce que je cherche à comprendre ? Des choses montent - des vues, des bribes. Je les recopie, je les consigne. J’aimerais bien savoir si vous voyez ce que je vois, si vous entendez ce que j’entends, si vous pensez que j’exagère ou au contraire que je suis en dessous de la réalité. »

Écouter la dernière partie de l’émission, autour de La Cavalière de Nathalie Quintane (POL).

Pour discuter de ces trois ouvrages, trois critiques :

Lise Wajeman, professeure de littérature comparée à Université de Paris et qui chronique l’actualité littéraire pour Mediapart,

Louisa Yousfi, journaliste pour le site Hors-Série,

Blandine Rinkel, écrivaine, musicienne et critique, notamment dans les colonnes du Matricule des anges.