Georges Kiejman ressemble à Clemenceau, avec 20 cm de plus : c'est un grand avocat. Toutefois, sa haute taille se courbe commodément : c'est un porte-queue, un gentilhomme caudataire. Les puissants auxquels s'attache Me Kiejman lui deviennent particuliers, personnels, intimes, au point que nous assistons, à chaque fois médusés, à une transfusion d'amour-propre. Au sujet de ses clients, l'avocat explose d'indignation, par procuration, avec d'indéfectibles frissons viscéraux !
Il use d'un langage relevé simulant la hauteur de vue : nous croyons entendre un moraliste, alors qu'il défend son bout de gras. Les effets de manche de Me Kiejman, ses trémolos, sa rhétorique galantisant l'éthique, feraient oublier que ce petit frère des riches illustre la sentence de Fénelon : « Les princes ont un pouvoir infini sur ceux qui les approchent ; et ceux qui les approchent ont une faiblesse infinie en les approchant. »

Surtout, pour satisfaire le président Mitterrand – dont il est déjà le porteur (“caddie”) sur les terrains de golf –, le sous-ministre prétend que la France n'a pas besoin d'un procès Bousquet, du nom du responsable français de la rafle du Vél d'Hiv en 1942, auquel le maître de l'Élysée voue une trouble complaisance.
La perversité mitterrandienne obtient là son résultat le plus déconcertant : non seulement Georges Kiejman a l'air de renier le mendésisme en servant les intérêts du monarque socialiste, mais encore l'avocat offre l'image d'un homme infidèle à son père, mort à Auschwitz : il met hors de cause l'ancien factotum des nazis, René Bousquet (1909-1993). Le “maître” donne l'impression, hélas !, de s'anéantir au profit d'un potentat du moment.
Une telle inconsistance sous des dehors très “grand genre” éclate, vingt ans après, au détour de l'affaire Bettencourt. Me Kiejman, alors conseil (ô combien rémunéré !) de la milliardaire, semble jongler avec les préventions antisémites de sa cliente, dont témoignent les enregistrements du maître d'hôtel. Rappelons que Liliane Bettencourt n'est autre que le rejeton admiratif du fasciste français Eugène Schueller. Sa propre fille, Françoise Meyers, en un geste singulier, épousa un juif : érudite, empathique, sensible, elle étudie la religion et la culture hébraïques, détestées par son milieu d'origine. Or Me Kiejman, en l'occurrence, paraît chausser les œillères – voire jouer sur les aversions – de celle qui le rétribue. Nous sommes là dans un non-dit retentissant, du reste au cœur de l'étonnant procès ayant opposé, en septembre 2010, ce représentant de la mère au défenseur de la fille : feu Olivier Metzner...

Le 25 mars au matin, sur France Inter, sa logomachie s'exerce ainsi : « Cette mise en examen restera comme un mauvais coup porté à la justice et peu m'importe que son auteur ait voulu ou non rejoindre au Panthéon quelques gloires judiciaires que leur narcissisme a rendu illustres. Il y a trop d'invraisemblances et de doutes pour qu'en raison des textes de loi auxquels j'ai concouru et des faits que j'ai connus, je puisse me dérober, indépendamment de toute sympathie pour Nicolas Sarkozy. »
Traduction : les affaires portent tort à mes affaires ; il est hors de question que je laisse menacer les intérêts de mes clients, et par conséquent les miens, sans tenter de faire accroire, grâce à ma faconde hâbleuse, qu'il s'agit d'un mauvais coup porté aux libertés publiques. Ainsi Georges Kiejman rejoint-il la cohorte de « ces lâches courtisans qui se font une étude d'allumer le vice et d'éteindre la vertu » (Chateaubriand).