Amériques Analyse

Les Etats-Unis sont-ils déjà en faillite?

Les Etats-Unis sont-il en faillite? Dans un article publié en 2006 dans le très officielle bulletin de la Réserve Fédérale de Saint Louis, l'économiste Laurence Kotlikoff répondait par un «oui» catégorique. Et la France? Avec la même méthode comptable, à coup sûr.

Philippe Riès

Du «les caisses sont vides» de Nicolas Sarkozy au «pays en faillite» de François Fillon, le triste état des finances publiques françaises alimente la chronique par intermittence. Mais derrière le propos politicien, on soupçonne toujours l'arrière-pensée. Imaginons que la Banque de France, dans son bulletin mensuel, se pose la question (La France est-elle en faillite?) et y réponde... Par un «oui» catégorique.
C'est un peu ce qu'a fait la Banque de réserve fédérale de Saint Louis, une des branches régionales de la banque centrale américaine, dans un article publié en 2006 et qui (surprise, surprise...) suscite désormais l'intérêt. La crise qui secoue Wall Street, la chute continue du dollar, la récession qui s'installe aux Etats-Un, peuvent faire légitimement douter de la capacité de la première économie mondiale à faire face aux échéances de son endettement interne et externe.
Pour démontrer que les Etats-Unis sont bien «au bout de leurs ressources, exténués, à nu, ruinés...», l'auteur de l'article, l'économiste Laurence Kotlikoff (université de Boston), commence par disqualifier l'indicateur avec lequel on mesure généralement la solvabilité d'un gouvernement : la dette publique officielle. Dans le cas des Etats-Unis, elle est à peine supérieure à 40% du PIB (contre 64% et en hausse pour la France), ce qui, sous ce seul critère, qualifierait les Etats-Unis pour l'entrée dans la zone euro.
«Malheureusement, l'attention exclusive portée à la dette gouvernementale n'a pas d'avantage de base scientifique que la lecture du marc de café ou l'examen des entrailles» pour prédire l'avenir, écrit-il. Cela, et en simplifiant à l'extrême une démonstration appuyée par des équations mathématiques, parce que le critère de la dette publique est un instantané photographique alors que la course à la faillite relève d'un processus dynamique.
Pour Kotlikoff, «des pays peuvent faire faillite, mais savoir s'ils sont déjà en faillite ou vont y tomber ne peut pas être déterminé par leur politique de la "dette"».
Selon lui, «la bonne méthode pour déterminer la solvabilité d'un pays est d'examiner le fardeau budgétaire d'une vie entière pesant sur les générations actuelles et futures». En clair, chiffrer l'écart entre l'argent que le gouvernement doit et ce qu'il peut espérer collecter. Exercice actuariel auquel se sont livrés deux autres économistes, Jagadeesh Gokhale et Kent Smetters, à la demande et avec l'aide du Trésor américain. Verdict : ce déficit générationnel représenterait 66.000 milliards de dollars, soit plus de quatre fois le PIB des Etats-Unis et deux fois le stock total des richesses du pays !
Ce trou budgétaire, explique l'auteur, mesure «la différence en valeur actuelle entre toutes les dépenses futures du gouvernement, y compris le service de la dette officielle, et toutes les recettes à venir».
Dans cette «comptabilité générationnelle», le trou budgétaire mesure «la charge supplémentaire qu'il faut imposer aux générations actuelles et à venir, par rapport à la politique en vigueur, pour faire face aux contraintes budgétaires intemporelles du gouvernement».
Dans le cas des Etats-Unis, cela vise notamment le coût des programmes sociaux Medicaid et Medicare (très présents dans la campagne présidentielle en cours).
Mais cette vérité est évidemment difficile à avouer aux électeurs. L'étude de Gokhale et Smetters devait être annexée au budget 2003 présenté par le président George W. Bush. Mais en décembre 2002, le secrétaire au Trésor Paul O'Neill est remercié sans ménagement par Bush, et l'étude mise au rebut.

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