L'Autorité des marchés financiers s'apprête à clore en douceur l'affaire du délit d'initiés chez EADS. Du 23 au 28 novembre, la commission des sanctions jugera les vingt protagonistes retenus dans cette affaire. Le rapporteur de la commission, l'équivalent du procureur, a déjà donné sa version des faits. Pour lui, seuls sept anciens et actuels dirigeants du groupe sont coupables. En tête de liste, il fait figurer Noël Forgeard, ancien co-président d'EADS, pour qui il requiert une amende de 5,4 millions d'euros. En revanche, à ses yeux, Daimler et Lagardère, les deux principaux actionnaires du groupe, qui avaient chacun vendu 7% du capital d'EADS, en avril 2006, c'est-à-dire au moment même où EADS connaissait les difficultés de l'A380 mais ne les avait pas rendues publiques, ne sont en rien coupables.
L'affaire risque donc se dénouer autour de quelques noms, pour la plus grande satisfaction d'EADS, des gouvernements allemand et français, des défenseurs acharnés de «l'honneur de la place de Paris». Mais a-t-on vraiment enquêté sur tous les aspects de cette affaire? Une piste, notamment, semble avoir été négligée: personne ne semble s'être inquiété de l'étrange activité qui a régné autour du titre EADS entre avril et juillet 2006 sur le marché des dérivés d'actions.
Ce sont trois spécialistes d'économie financière, Marc Chesney, Remo Crameri, Loriano Mancini, professeurs à l'institut bancaire suisse à l'université de Zurich, qui ont soulevé l'interrogation. Spécialistes des marchés financiers, ayant déjà mené plusieurs travaux sur les fraudes et les pratiques obscures de la finance, ils ont eu l'idée de se pencher sur les marchés des dérivés. Ces produits, créés à l'origine pour servir de couverture, sont devenus des objets financiers en soi. Il s'agit de contrats qui donnent un droit d'achat (call) ou de vente (put) sur des actions à un prix donné. Pas besoin d'avoir le moindre titre de la société, ni même d'en acheter au moment du dénouement du contrat. Ces promesses d'achat et de vente se négocient sur des marchés parallèles des marchés actions, sans avoir une influence sur les cours.
Très discrets, peu surveillés, et surtout demandant des mises de fonds très limitées tout en permettant parfois des culbutes impressionnantes, ces marchés de dérivés connaissent un succès grandissant. Ils peuvent parfois servir à mener de façon discrète des opérations frauduleuses. «Pour le détenteur d'informations privilégiées, opérer sur les marchés au travers de produits optionnels peut se révéler plus avantageux que de directement acheter ou vendre les titres de compagnies sous-jacentes, car il bénéficie à la fois d'incitatifs économiques (coût de transaction réduit, capital initial faible, importante capacité de levier financier) et d'incitatifs stratégiques (discrétion offerte par le marché des options). Il est dès lors raisonnable de penser que des acteurs de marché bénéficiant d'informations privilégiées concernant une société puissent préférer traiter des options plutôt que des titres de la compagnie», ont-ils posé comme postulat à leur étude (lire la totalité de l'étude ici).
Affaire EADS: la piste négligée
Toutes les pistes n'ont peut-être pas été explorées dans l'affaire du délit d'initiés chez EADS. C'est ce que révèle une étude réalisée par trois professeurs de l'institut bancaire suisse de l'université de Zurich. Spécialistes de la finance, ils se sont penchés sur les marchés de dérivés d'actions. Ils ont relevé une effervescence totalement anormale entre avril et juin 2006, au moment même où les difficultés de l'A 380 n'étaient pas encore connues du grand public, sur les options de vente d'EADS. Gains réalisés: plus de 19 millions d'euros pour des mises minimales. Les autorités boursières n'ont jamais enquêté sur ces étranges mouvements.
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