La scène se déroule devant la Sorbonne. Nous sommes le 3 mars, en milieu d’après-midi. Quatre compagnies de CRS sont en faction. Elles ont ordre d’interdire l’accès de la Sorbonne aux manifestants qui protestent contre la loi sur l’autonomie des universités (LRU). La mission est claire, mais les consignes sont plutôt molles : « On y va mollo », demande la commissaire chargée de superviser l’opération. Les CRS ne sont pas casqués. La plupart n’ont revêtu ni jambières ni épaulières. Un signe fort. La foule scande les slogans habituels – «Libérez la Sorbonne», «Police partout, justice nulle part», «Rendez-vous, vous êtes cernés», et autres classiques de rue. Soudain, un gradé sort du rang. Il porte encore son calot. Armé de son tonfa (bâton de self défense), il fend l’air et la foule, avant d’être retenu par un subordonné. Dans le jargon policier, le geste a un nom, on appelle ça un « moulinet ». Une technique pour se défendre d’une foule hostile. Problème : celle-ci est bruyante, certes, mais tout ce qu’il y a de pacifique. Les slogans redoublent. Quelques minutes plus loin, le même gradé ressort. Cette fois, pied en avant et casque (mal arrimé) sur la tête. Puis « mouline » une fois, trois fois, cinq fois. Les manifestants s’écartent, crient. La situation se tend. Et deux hommes en uniforme rattrapent leur chef. Or celui-ci n’est pas n’importe qui. C’est un commandant de compagnie basée dans l’est de la France. Certains fonctionnaires craignent les caméras qu’ils ont aperçues et qui, dorénavant, immortalisent la moindre manif. D’autres l’ont mauvaise contre ce que le jargon administratif nomme doctement un « débordement de dispositif sur une foule calme ». Sur les visages, ça sent la panique. Et puis rien ne se passe. L’incident finit dans les pertes et profits.
Selon nos informations, l’affaire n’a ainsi fait l’objet d’aucun rapport interne à la Direction centrale des CRS (ni « rapport technique d’intervention » ni « rapport technique de service »), comme cela aurait dû être le cas. Le commandant de la compagnie en question ne serait pourtant pas passé loin de la correctionnelle. Discrètement, la haute hiérarchie aurait cherché des images, «mais qui ne soient pas floues, comme celles qu’on trouve sur Internet». Des chaînes de télé ont même été sollicitées, et quelques caméramans indépendants. En vain. Pourtant, ces images existent. Mediapart les a vues. Elles ont été tournées très officiellement... par le service vidéo de l’Agence France-Presse. Selon toute vraisemblance, l’Unsa Police (ultra-majoritaire chez les CRS, classé à gauche) pourrait bientôt donner un petit coup de pouce à l’administration CRS en lui « remettant une copie puisque elle semble avoir du mal à récupérer le film »… Pour un peu, on pourrait parler d’autorégulation.
France Enquête
Scènes de nervosité policière
Un étudiant insulté et frappé par la Brigade anti-criminalité lors d'une manifestation à Paris, qui témoigne pour Mediapart. Un commandant CRS passablement excité devant la Sorbonne. Et un adolescent blessé lors d'un rassemblement à Bastia. Trois petites histoires qui en disent long sur la nervosité ambiante du côté de certaines forces de l'ordre en marge des cortèges.
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