Consacrer trente années d’une vie au groupe socialiste de l’Assemblée nationale, avant d’être congédiée sans égard. C’est ce qu’a subi Pascale C. En 2021, cette collaboratrice du groupe PS depuis 1991, promue aux fonctions de secrétaire générale en 2012, a été licenciée pour inaptitude, trois ans après avoir été placée en arrêt maladie pour un état dépressif.
Un an plus tard, le conseil des prud’hommes de Paris a reconnu, le 17 février 2022, le harcèlement moral dont la salariée a été victime, comme l’a révélé Le Canard enchaîné. Le groupe socialiste est condamné à ce titre à lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts, mais aussi 260 000 euros pour licenciement nul, ainsi que plus de 115 000 euros d’indemnités afférentes. Pascale C., qui comptait trente ans d’ancienneté à l’Assemblée, n’a pas retrouvé d’emploi depuis.
La décision, prononcée par une « juge départitrice » (magistrate professionnelle désignée quand les membres du conseil sont en désaccord sur la décision à prendre) est à exécution provisoire. Ce qui veut dire que le groupe socialiste doit dédommager la salariée, même s’il a fait appel.

Les attendus du jugement, consultés par Mediapart, mettent particulièrement en cause l’attitude de Valérie Rabault, députée socialiste du Tarn-et-Garonne, élue à la présidence du groupe PS en avril 2018 en remplacement d’Olivier Faure, appelé à prendre la tête du parti.
Rapidement après ce changement, les conditions de travail se sont dégradées pour Pascale C. La collaboratrice a produit auprès des prud’hommes de nombreux échanges (mails, SMS) montrant comment elle « a été écartée des missions dont elle avait auparavant la charge », à commencer par « l’organisation et de l’animation de la réunion hebdomadaire avec l’ensemble des conseillers du groupe ». Valérie Rabault s’adressait également « directement aux députés, sans tenir informée la salariée, à propos de l’organisation des travaux du groupe », indique aussi la juge.
Interrogée par Mediapart, Valérie Rabault n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire, rappelant seulement que le groupe PS a décidé « à l’unanimité » de faire appel. Également sollicité, son prédécesseur Olivier Faure, qui a attesté en faveur de la salariée dans la procédure, n’a pas répondu à notre demande d’entretien.
Le jugement des prud’hommes fait également état de « déclarations » de Valérie Rabault dénonçant le « salaire de ministre de 11 000 euros » de la secrétaire générale, alors même que le groupe ne comportait plus que trente député·es et douze collaborateurs et collaboratrices. La défaite électorale de 2017, en plus de réduire comme jamais le nombre d’élu·es socialistes à l’Assemblée, a obligé le groupe à engager un important plan de licenciement.
« Ma cliente, qui a vécu tous les moments à l’Assemblée, les bons comme les mauvais, était prête à entendre que son poste était peut-être surdimensionné après 2017, réagit Me Boris Cardineaud, avocat de Pascale C. Mais dans ce cas-là, on n’agit pas comme cela, on engage une discussion. »
Placée en arrêt maladie en octobre 2018, la collaboratrice a immédiatement dénoncé à son employeur les faits de harcèlement moral qu’elle affirmait subir. À la suite de deux visites médicales de reprise en avril et mai 2021, elle est finalement déclarée inapte à son poste de travail.
Cette affaire fait écho à un autre dossier qui a secoué le groupe socialiste au Sénat, jusqu’à provoquer la condamnation, là aussi par le conseil des prud’hommes de Paris, de la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques Frédérique Espagnac en août 2021 (lire ici). Cette proche de François Hollande avait été attaquée par sa collaboratrice à Pau depuis mars 2016, qui dénonçait un comportement toxique à son égard mais aussi des manquements à l’obligation de veiller à sa santé (le chauffage de la permanence a notamment été coupé en hiver pour cause d’impayés). Avant de saisir les prud’hommes, la salariée, alors investie au PS, avait essayé de régler le problème en sollicitant la hiérarchie du parti. Mais cette alerte n’avait pas eu de conséquence.
Avant le PS, d’autres groupes politiques ont déjà été condamnés par les prud’hommes pour le mauvais traitement de salariées. Ce fut notamment le cas en 2018 pour le groupe communiste à l’Assemblée nationale, présidé par le député André Chassaigne, et pour le groupe Les Républicains au Sénat, sous la houlette du sénateur Bruno Retailleau. Dans ces deux cas, les collaboratrices avaient été licenciées sans fondement, juste après un changement de présidence à la tête du groupe pour lequel elles travaillaient.