Le signe le plus spectaculaire de cette prise de conscience est la sortie tonitruante, mardi 13 mai dans la soirée, du président de l'Eurogroupe, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker. A l'issue d'une réunion des ministres des finances de la zone euro, à Bruxelles, le premier ministre luxembourgeois (qui cumule cette fonction avec celle de ministre des finances) a en effet lâché ces commentaires inhabituels : « Nous pensons que les dérapages excessifs sur les salaires que nous avons pu observer dans plusieurs pays sont proprement scandaleux et regardons quels moyens (utiliser) pour lutter contre ces excès là. »
Selon lui, les pays européens vont donc envisager d'imposer fiscalement les primes de départ versées sous différentes formes aux dirigeants qui quittent leurs fonctions, telles que les « golden handshake » (poignée de main dorée) et autre « golden parachute » (parachute doré), a-t-il dit. Le président de l'Eurogroupe a aussi observé que, le plus souvent, ces primes sont non imposables car présentées comme des frais généraux, ce qui constitue, selon lui, un véritable « fléau social ».
« Nous courons le risque de ne plus être compris par nos concitoyens si nous leur adressons d'un côté des appels incessants à la modération salariale » pour freiner l'inflation et que de l'autre les chefs d'entreprise font l'inverse, a lâché Jean-Claude Juncker. Avant d'ajouter : « Il n'est plus acceptable qu'un certain nombre de dirigeants bénéficient de parachutes dorés sans relation avec les performances mesurables » de leurs entreprises. En conséquence, a-t-il conclu, tous les pays de la zone euro ont été invités à faire connaître à la Commission ce qu'ils font déjà ou envisagent de faire pour lutter contre « ces comportements extravagants ».
Les Pays-Bas en éclaireur
Cette invitation à prendre des dispositions pour moraliser le système des rémunérations des grands patrons intervient alors que dans plusieurs pays européens des dispositions nouvelles viennent tout juste d'être prises ou sont en passe de l'être. Exemple spectaculaire : les Pays-Bas. Dans ce pays, une nouvelle disposition a été annoncée en début d'année, avec entrée en vigueur le 1er janvier 2009, prévoyant une fiscalisation à hauteur de 30% des « golden parachute », quand le montant de ces primes dépasse 500.000 euros nets et est supérieur au salaire annuel du PDG concerné. Une disposition complémentaire prévoit une taxation complémentaire de 15% des augmentations de salaires octroyées aux PDG à l'approche de leur départ à la retraite. Dans la foulée le gouvernement a aussi annoncé qu'il avait l'intention de renforcer la taxation des revenus des gérants de fonds d'investissement.
En mars, quand ces mesures avaient été annoncées, le ministre des finances néerlandais les avait justifiées en disant qu'elles n'étaient pas destinées « à voler leurs revenus à des gens qui réussissent ». « Mais nous avons la responsabilité de tracer une frontière lorsqu'il s'agit d'excès que personne ne peut justifier.»
En Belgique, un vif débat a par ailleurs lieu actuellement sur l'opportunité de légiférer sur la question. Ce sont les hausses des rémunérations de quelques grands patrons, constatées pour 2007, qui ont déclenché la polémique : + 42% soit presque un million d'euros d'augmentation pour Didier Bellens, le PDG de Belgacom ; +15% pour Jean-Paul Votron, son homologue de la banque Fortis... Du coup, l'idée d'un plafonnement des rémunérations chemine. Le PS, qui est membre de la majorité gouvernementale, a en outre souhaité la création d'un observatoire de la gouvernance des entreprises.
En Allemagne, également, le même débat fait rage. Le SPD notamment défend l'idée de mesures incitatives pour limiter les salaires des grands patrons. Cette fois, le scandale a rebondi du fait du constructeur automobile Daimler. Les revenus des membres du directoire du groupe ont presque doublé en 2007, avec une augmentation de 45% ! En additionnant les salaires fixes et les bonus annuels, 29,8 millions d'euros ont été partagés entre les neuf membres de cette instance.