Une fois de plus, les limites de la liberté d’expression ont été franchies. Lundi, Éric Zemmour et le directeur de la publication de CNews, Jean-Christophe Thiery, ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Paris pour injure publique à caractère raciste et provocation à la haine ou à la violence, en raison de propos tenus le 29 septembre 2020 sur la chaîne de Vincent Bolloré.
L’ex-chroniqueur de « Face à l’info », auteur des paroles incriminées mais considéré en droit comme le « complice » de leur diffusion, devra s’acquitter de cent jours-amende à 100 euros (soit 10 000 euros au total, sous peine de prison), une peine conforme aux réquisitions du parquet. Le directeur de la publication de CNews, responsable légal, écope d’une amende de 3 000 euros.

Ce jour-là, au prétexte d’évoquer une attaque au couteau perpétrée devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, Éric Zemmour dit tout le mal qu’il pense des mineurs étrangers non accompagnés, qui ne seraient « ni mineurs ni isolés », mais « pour la plupart, des voleurs, des violeurs, des assassins » responsables d’une « délinquance inouïe ». Appelant à « renverser la table » et à « les renvoyer » dans un long « édito », il déplorait notamment que « la France paie pour son invasion ».
Le jugement, que Mediapart a consulté, estime que « sous couvert de désigner les mineurs isolés », Éric Zemmour « opère un glissement » et « généralise son propos » jusqu’à viser toutes les personnes immigrées, « à raison de leur non-appartenance à la nation française ».
« En réduisant les immigrés à de simples délinquants, même “potentiels”, comme s’ils contenaient en eux-mêmes ces prédispositions (“c’est tout ce qu’ils sont”), les traitant de “voleurs”, “d’assassins” qui “persécutent les Français”, Éric Zemmour tient à leur endroit, sans viser de faits précis, des propos particulièrement outrageants et dégradants qui revêtent un caractère injurieux au sens de la loi. »
Loin de « questionner la politique d’immigration » ou « les difficultés liées à l’installation et l’intégration des immigrés », ce qui serait « légitime dans le cadre d’un débat démocratique », le tribunal juge que les propos d’Éric Zemmour « visent les personnes et non les politiques engagées ». Il ajoute que l’attentat commis quelques jours plus tôt « ne saurait légitimer une prise de parole stigmatisant l’ensemble des personnes immigrées ».
Outre l’injure raciste, les juges considèrent que le délit de « provocation à la haine et à la violence » est caractérisé, les termes utilisés étant « de nature à justifier la haine et la violence des spectateurs » à l’égard « d’une communauté décrite en tant que telle comme un véritable fléau, notamment économique, et un danger au quotidien ».
« L’hostilité générée par des propos d’une telle vigueur envers les immigrés est de nature à favoriser des passages à l’acte qui se commettent d’autant plus facilement qu’ils trouvent comme terreau un discours déculpabilisant. [...] En dehors de la volonté manifeste d’exprimer du mépris et d’outrager les personnes immigrées, le prévenu a entendu susciter envers ces dernières un élan de rejet et de violence. »
Le tribunal note que les mots employés sont « particulièrement discriminatoires » et répétés malgré les mises en garde de Christine Kelly, la présentatrice de l’émission. Il estime qu’Éric Zemmour « ne s’est pas mépris sur la portée des mots », comme en témoigne un passage de son livre, publié en septembre 2021, dans lequel il revient sur cet édito. Et les juges de conclure :
« Assimiler toute une communauté, en l’espèce les immigrés, à une minorité de ses composantes, ici les réduisant au comportement adopté par quelques-uns à l’occasion d’une comparaison hâtive avec un acte violent commis par une personne entrée irrégulièrement en France et ayant trompé la vigilance des autorités françaises, en leur imputant les crimes les plus graves tels le viol ou le meurtre, ne relève pas de la liberté d’expression mais constitue un abus de celle-ci. »
Les condamnés ont dix jours pour saisir la cour d’appel. L’avocat d’Éric Zemmour, Olivier Pardo, a déjà annoncé son intention de le faire, dénonçant « un dévoiement » de la poursuite : « Nous étions poursuivis pour les migrants isolés et voilà que nous sommes condamnés sur les immigrés. Je rappelle que les migrants ne sont ni une race ni une ethnie et que, donc, nous poursuivre pour provocation à la haine raciale n’avait pas de sens. » Éric Zemmour a quant à lui diffusé un communiqué de presse sur Twitter, dans lequel il s’insurge contre une condamnation « idéologique et stupide ».
En novembre dernier, l’audience avait été marquée par de longs débats sur la procédure, la défense soulevant de nombreuses nullités qui ont toutes été écartées. Parmi la trentaine d’associations qui s’étaient constituées parties civiles, seule une poignée ont été jugées recevables : La Ligue des droits de l’homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), SOS Racisme et la Maison des potes.
Au total, les prévenus sont condamnés à leur verser 10 000 euros de dommages et intérêts, sans compter les frais de procédure. Une vingtaine de départements, collectivités responsables de la prise en charge des mineurs non accompagnés, s’étaient également constitués parties civiles mais ont été déboutés.
Dans un communiqué diffusé après l’audience, Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, dit espérer que cette condamnation « limitera la complaisance dont continue à bénéficier trop souvent Éric Zemmour dans l’espace politique, médiatique et intellectuel ». De son côté, l’avocat de la LDH, Arié Alimi, a salué une décision « importante ». « Derrière ce projet médiatique, il y a un projet politique, c'est un projet de haine, un projet qui tend à stigmatiser les personnes en raison de leur origine, en raison de leur confession, de leur race. »
Désormais candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle et âgé de 63 ans, Éric Zemmour a été poursuivi à une quinzaine de reprises pour ses propos ces dernières années. Relaxé la plupart du temps, il a été condamné pour provocation à la discrimination, en 2011, sans faire appel de ce jugement.
En 2019, après le rejet de son pourvoi en Cassation dans une autre affaire, il a aussi été condamné définitivement par la justice française pour provocation à la haine religieuse après avoir parlé « d’invasion » musulmane. Mais il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas encore rendu sa décision.
Le 8 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a relaxé Éric Zemmour, qui avait été condamné en première instance, pour son discours lors de la convention de la droite. Dans la foulée, le parquet général a saisi la Cour de cassation.
Ce jeudi, le candidat doit encore être jugé en appel pour « contestation de crime contre l’humanité » après avoir soutenu en octobre 2019, sur CNews, que le maréchal Philippe Pétain avait « sauvé » les juifs français. Son avocat entend demander le renvoi de cette audience qui intervient en pleine campagne électorale.
Un autre procès l’attend en mai 2023 : Éric Zemmour est poursuivi pour « diffamation aggravée » pour des propos tenus en 2019 sur les mouvements féministes et LGBT, qui auraient « asservi l’appareil d’État à leur idéologie et donc à leurs caprices ».