La Défenseure des droits appelle au respect de la vie privée des enfants

Le rapport annuel de l’institution dirigée par Claire Hédon est consacré au droit à la vie privée des mineurs, au respect de leur identité, de leur intimité et de leur corps. Il alerte sur la difficulté à faire respecter ces droits pour les plus fragiles, dont les mineurs non accompagnés.

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La Défenseure des droits a choisi de consacrer son rapport annuel 2022, publié jeudi 17 novembre, au droit à la vie privée des enfants et, à travers lui, d’évoquer un très large éventail des violations de droits dont peuvent être victimes les mineurs.

Le rapport de l’institution pilotée par Claire Hédon adopte en effet une conception extensive de la vie privée lui permettant d’inclure de nombreuses situations, comme celles des mineurs non accompagnés, de ceux confiés à l’Aide sociale à l’enfance ou encore de ceux placés en unité psychiatrique.

« Sans intimité, sans espace personnel préservé du regard d’autrui, il n’y a pas de vie privée, explique un éditorial ouvrant le rapport et co-signé par Claire Hédon et par le Défenseur des enfants Éric Delemar. Toutefois, pour les enfants, le droit au respect de la vie privée n’a rien d’une évidence. »

En effet, poursuivent-ils, « face à la violence, la tentation peut être grande, pour en prémunir l’enfant, de restreindre autant que possible l’espace de sa vie privée, voire de lui retirer toute dimension privée en multipliant les intrusions et les contrôles ».

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Le Défenseur des droits soulève la question du respect de la vie privée des enfants. © Photo Romain Gaillard / REA

De plus, « l’idée de l’existence même d’une vie privée des enfants se heurte à une acception trop souvent envisagée de l’enfant comme objet de droit plutôt que sujet de droit autonome », expliquent encore les auteurs. Pourtant, « l’enfant n’est pas un corps à disposition des autres mais bien un sujet autonome détenteur de droits, d’espaces et d’idées qui lui sont propres ».

Le rapport rappelle ainsi que les enfants disposent bien d’un droit à l’image trop souvent ignoré. « Le consentement de l’enfant à être filmé ou photographié est rarement recherché », regrette-t-il. Les auteurs donnent en exemple des saisines de la Défenseure des droits relatives à « la publication, sur le site internet d’une commune, de photographies d’un enfant ou encore de la publication dans la presse de la vaccination d’une mineure pendant la crise sanitaire, contenus rendus publics sans l’accord des intéressés ni de leurs parents ».

De la « mise en scène » à « l’exploitation commerciale » de l’image des enfants

Le rapport alerte également sur l’utilisation et la publication sur Internet des photos au sein même de la sphère familiale et sur un risque de « mise en scène de la vie des enfants ». « Ces intrusions quotidiennes privent les enfants de leur capacité à définir leur propre image et leur identité, déjà inscrites dans la sphère publique », souligne le rapport qui cite le témoignage d’un enfant : « Moi ma mère poste des photos de moi petite sur Facebook, la honte. »

Cette « mise en scène » peut même aller jusqu’à « l’exploitation commerciale » de l’image de certains « enfants “youtubeurs” ou influenceurs ». Le rapport pointe notamment la mode du « unboxing », des vidéos dans lesquelles des enfants sont « mis en scène, souvent par des adultes, dans des vidéos où ils sont filmés en train de déballer des produits dont ils font la promotion ».

Outre la question du travail des enfants, qui est interdit sauf dérogations, la Défenseure des droits soulève celle du respect de la vie privée, l’enfant voyant dévoilé sur Internet son « espace privé », comme sa chambre ou l’intérieur de sa maison.

Il explique d’ailleurs avoir été saisi de ce sujet par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) et s’être « interrogé sur l’existence d’une éventuelle infraction pénale relative au travail des enfants concernant ces pratiques, pour la plupart à but lucratif ». Mais « ces pratiques sont désormais réglementées depuis l’adoption de la loi du 10 octobre 2020 qui encadre l’exploitation commerciale en ligne de l’image des enfants de moins de 16 ans », poursuit le rapport.

Parmi les autres dangers guettant les enfants sur Internet, la Défenseure des droits s’inquiète des « nombreuses saisines » qui « font état de situations de harcèlement entre enfants sur les réseaux sociaux ».

Le « fléau » du cybersexisme

Le rapport souligne plus particulièrement le problème du « cybersexisme, qui consiste en la diffusion non consentie de données à caractère sexuel ». Il s’agit pour la Défenseure des droits d’« un fléau nouveau auquel les jeunes sont particulièrement exposés dans la mesure où ils découvrent simultanément leur sexualité et l’utilisation d’un smartphone, souvent sans accompagnement ni pour l’un ni pour l’autre ».

« Le traitement judiciaire de ces infractions pénales est encore timide, du fait d’une faible mobilisation de ces qualifications pénales, et alors même que ces délits entraînent un préjudice à long terme puisque le contenu en ligne peut ressurgir à tout moment dans la vie des jeunes », regrette le rapport.

Face à ces multiples dangers, les logiciels de contrôle parental peuvent être une solution. Depuis une loi du 2 mars 2022, tous les ordinateurs, tablettes, smartphones ou consoles ont l’obligation d’en être équipés. Mais la Défenseure des droits appelle « à la vigilance quant au respect de la vie privée des mineurs au regard des paramétrages par défaut de ces applications de contrôle parental potentiellement intrusifs, tels que la géolocalisation ou l’accès des parents au détail de l’historique de navigation de leur enfant ».

Géolocalisation et vidéosurveillance dans les écoles

Cette surveillance numérique peut par ailleurs s’exercer dans le monde physique. C’est le cas par exemple des dispositifs de géolocalisation. La Défenseure des droits raconte ainsi s’être « saisi de la contestation, par des parents d’élèves, de la décision d’une cheffe d’établissement privé d’enseignement d’équiper chacun d’entre eux de porte-clés connectés qu’ils devaient “avoir en permanence sur eux” ». Le dispositif avait finalement été abandonné après que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a adressé un rappel à la loi à la responsable de l’établissement.

D’une manière plus générale, la Défenseure des droits alerte sur le développement des dispositifs « contrôle public » des déplacements des élèves au sein des établissements scolaires, à commencer par la vidéosurveillance.

Il « s’associe pleinement aux recommandations de la CNIL concernant l’adoption par les chefs d’établissement de chartes d’utilisation de la vidéosurveillance en impliquant l’ensemble des acteurs concernés, y compris les représentants des parents d’élèves et les élèves eux-mêmes, dans les réflexions engagées sur l’adaptation du dispositif au respect de la vie privée des enfants ».

Toujours concernant la vie scolaire, la Défenseure des droits raconte être « régulièrement saisi de dispositions visant spécifiquement une catégorie de tenues vestimentaires, jugées “indécentes”. Sans se prononcer sur les critères permettant de considérer une tenue “décente”, poursuit le rapport, le Défenseur des droits appelle toutefois à la vigilance quant à l’édiction de règles véhiculant des stéréotypes de genre discriminants, en ce qu’elles ne viseraient que des tenues portées par les filles, telles que les jupes que l’on juge soit trop courtes, soit trop longues ».

Le respect du corps de l’enfant

Le rapport inclut dans la vie privée le respect du corps de l’enfant, de son intégrité et de son intimité. À ce titre, il rappelle que « les violences physiques et psychologiques sont interdites par la loi du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires ».

Pourtant, « la société déculpabilise encore trop les adultes lorsqu’ils frappent les enfants au nom de principes éducatifs et les tabous persistent encore en la matière. À titre d’exemple, le Défenseur des droits est régulièrement saisi de situations de violences exercées en milieu scolaire sur des enfants par des enseignants ».

Ce respect du corps de l’enfant passe également par une meilleure prise en compte de son consentement aux soins et de son droit au respect du secret médical. Ce problème touche plus particulièrement les enfants en situation de handicap soumis à des examens médicaux plus nombreux. « Pendant les consultations médicales, ne montrez pas mon corps sans me demander la permission ! C’est trop gênant ! », a ainsi expliqué l’un d’eux aux auteurs du rapport.

Celui-ci s’attaque également à la question du respect de l’intimité des enfants au sein des établissements scolaires. « À l’école en premier lieu, et au sein des structures de sport et de loisirs, la question des sanitaires – toilettes, douches et vestiaires – est souvent mise de côté alors même qu’elle est centrale pour le respect et le bien-être des enfants », constatent les auteurs. « On a le droit d’avoir une porte aux toilettes », affirme ainsi un enfant.

« Le mauvais état d’entretien de ces lieux, poursuit le rapport, leur configuration initiale et leur caractère souvent collectif font de ces lieux pourtant essentiels dans le quotidien des enfants de véritables repoussoirs, voire des zones de non-droit où toutes sortes de violences peuvent survenir. »

La prise en charge défaillante des mineurs non accompagnés

À plusieurs reprises, la Défenseure des droits insiste sur les dangers accrus qui pèsent sur les enfants déjà fragilisés par leur situation familiale. C’est le cas notamment des mineurs non accompagnés, c’est-à-dire les enfants de nationalité étrangère arrivés en France sans leur famille, qui font partie des principales victimes de la traite des êtres humains.

Or, accuse le rapport, « difficilement identifiés et pris en charge, ces enfants sont avant tout considérés comme auteurs de faits de délinquance, plutôt que victimes de traite des êtres humains ».

D’une manière générale, « le Défenseur des droits constate que la prise en charge de ces jeunes n’est souvent envisagée que sous l’angle répressif et que les dispositifs de protection de l’enfance ne sont pas adaptés à la situation de ces jeunes traumatisés, ancrés dans la délinquance, souffrant d’addictions multiples, victimes d’abus de toutes sortes, y compris sexuels, qui n’ont plus guère de tolérance au cadre et aux règles ».

La Défenseure s’insurge également contre le maintien de la pratique des tests osseux, un examen radiologique destiné à évaluer l’âge d’une personne, et à la fiabilité contestée. Son but est de déterminer si celle-ci est ou non mineure, et peut ainsi bénéficier de certaines protections.

« Ces enfants doivent subir des pratiques parfois humiliantes à travers la recherche constante d’une vérité extérieure à leur parole », dénonce la Défenseure des droits, qui rapporte, « en outre, que des tests osseux sont réalisés en dehors des conditions posées par la loi ».

Le rapport cite en exemple le cas d’un mineur dont l’identité avait été attestée par un passeport « dont la validité n’a jamais été remise en cause ». Placé dans un centre de l’Aide sociale à l’enfance, il a été convoqué par le juge des enfants à la suite d’un « problème de comportement ». Le magistrat a alors remis en cause sa minorité et ordonné un test osseux.

La vie privée des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance

Les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance font également partie de ceux dont la vie privée est particulièrement fragilisée. Tout d’abord en raison des conditions d’accueil dans les centres et de la promiscuité pouvant en résulter. « Je voudrais un endroit pour m’isoler quand je veux être seule », explique ainsi une enfant. « Dans la salle de bains avec baignoire, la serrure est cassée et les éducateurs, et même parfois les enfants, entrent tout le temps alors qu’on prend un bain », témoigne un autre.

Le rapport recommande ainsi de « mettre en place des chambres et des sanitaires individuels au sein des structures accueillant des enfants protégés », de « réorganiser les espaces de vie intime et collective en associant les enfants à la réflexion » et d’« offrir davantage d’espaces de rangement personnels ».

Il demande également l’inscription « dans la loi [de] l’interdiction totale du placement hôtelier ou dans toute autre structure qui ne relèverait pas des garanties prévues par le code de l’action sociale et des familles, y compris dans le cadre de l’accueil provisoire d’urgence, et pour toute durée ».

La Défenseure des droits dit avoir également « eu connaissance de certaines pratiques particulièrement discriminantes » envers les enfants en situation de précarité. Il raconte avoir par exemple « été saisi d’une situation d’humiliation publique d’un enfant, au sein même de son établissement scolaire, qui s’est vu attribuer, devant l’ensemble de ses camarades de classe, une fiche nominative de suivi du retard de règlement de la cantine et à qui il a été rappelé publiquement l’impossibilité de l’inscrire au centre de loisirs pour ne pas “alourdir la dette familiale” ».

Le rapport se conclut par une liste de 32 recommandations visant à répondre aux différentes problématiques soulevées. « L’objectif, en définitive, expliquent dans leur éditorial Claire Hédon et Éric Delemar, peut se résumer ainsi : offrir à l’enfant la protection et l’éducation qui lui permettront de construire une intimité suffisamment solide, résistante, pour établir un rapport au monde ouvert et confiant. Reconnaître aux enfants leur droit à la vie privée, c’est les considérer comme sujets, sans méconnaître leur statut d’enfant à protéger et à émanciper. »

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