France

La réforme des institutions fait voler en éclats l'unité du PS

Les députés ont commencé dans la nuit de jeudi à vendredi la discussion article par article de la réforme des institutions: limitation à deux mandats présidentiels consécutifs; possibilité de référendum d'initiative populaire... Mais, à ce stade du débat, l'essentiel a été la fracture ouverte provoquée au PS par dix-sept députés qui ont exposé au grand jour les dissensions du parti. Les "17" signent une tribune où ils soulignent les "avancées" d'une révision "prometteuse", quand François Hollande veut camper sur un refus ferme de la réforme.

Mathilde Mathieu

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Une dizaine de députés PS favorables à la révision des institutions, jusque-là discrets, viennent de jeter un pavé dans la mare. Jeudi 21 mai, ils ont publié une tribune dans Le Monde pour lister les «avancées appréciables» contenues dans le projet de loi, saluer les «reculs» concédés ces derniers jours par la majorité, et dénoncer les «petits calculs politiques» de leur camp. En coulisse, ils s'étaient récemment dit lassés de voir le parti multiplier les conditions et surenchérir pour mieux fermer la porte in fine au compromis avec l'Elysée.

Avec cette petite "bombe", ils prétendent aujourd'hui rattraper par le col une réforme «prometteuse», soupçonnant François Hollande de l'avoir déjà enterrée, alors que l'Assemblée nationale vient tout juste d'entamer l'examen des articles. Résultat: la position du PS devient largement illisible.

Initiée mardi 20 mai en coulisse par Christophe Caresche (proche de Bertrand Delanoë) et Jean-Marie Le Guen (strauss-kahnien), cette tribune a été envoyée par mail à plusieurs dizaines de députés réputés partisans de la réforme, et finalement signée par dix-sept élus appartenant à diverses tendances du PS, dont un fabiusien (Didier Migaud), des « rénovateurs » (Manuel Valls), des proches de Ségolène Royal (Guillaume Garot) et de Bertrand Delanoë (Patrick Bloche).

Les tenants d'une ligne « ferme » face au gouvernement en sont tombés de leur chaise. «C'est nul, et c'est grave», a lâché André Vallini, secrétaire national aux institutions, qui s'était ces derniers jours escrimé à rappeler les exigences fixées par le PS (démocratisation du Sénat, prise en compte par le CSA du temps de parole présidentiel, ou encore droit de vote des étrangers aux élections locales).

« On avait une position claire, qu'ils viennent brouiller par voix de presse au pire moment ! », a pesté Bruno Le Roux, proche de François Hollande, qui craint que la pression exercée sur la majorité ne retombe comme un soufflet. « Quand on veut créer un rapport de force, on ne crie pas qu'on est prêt à signer », a résumé Jean-Marc Ayrault, le "patron" des socialistes à l'Assemblée.

Des arrière-pensées tactiques

Dans le groupe des 17 frondeurs, deux types de considérations se mêlent. La première touche au fond : «Je ne relève pas vraiment de reculs dans le projet de loi, mais plutôt des avancées pour le Parlement et les citoyens, notait jeudi Jean-Patrick Gille, en citant le référendum d'initiative populaire ou la liberté accordée aux députés de fixer la moitié de l'ordre du jour. Si j'ai signé une tribune, c'est parce que certains camarades avaient donné le sentiment injuste que c'était plié au PS !»

Sandrine Mazetier s'est même exclamée: «Il y a des innovations que le parti réclame depuis le congrès d'Epinay, des éléments consubstantiels à notre identité.»

La deuxième batterie d'arguments relève de la pure tactique. «Le PS doit montrer un autre visage pour ne pas apparaître comme le principal responsable d'un échec de la révision», a exposé Christophe Caresche, dans les couloirs de l'Assemblée.

Son collègue Patrick Bloche a poussé la dialectique: «En fait, il semble que Nicolas Sarkozy ne veuille plus de cette réforme, qui l'encombre, et que sa majorité a trop amendée. La preuve en a été donnée ce matin: le gouvernement a refusé de faire un geste sur notre proposition concernant le temps de parole présidentielle, alors que François Fillon nous avait déclaré début mai qu'il n'était pas fermé sur la question. Si Sarkozy retire demain son texte, avant même une lecture au Sénat, il ne faut pas que le PS puisse servir de bouc émissaire. »

Alambiqué ? « Ce genre de déclaration nuit à la lisibilité du PS, a réagi Jean-Pierre Bel, président du groupe au Sénat. C'est tout ce qu'il fallait éviter. »

Paradoxalement, cette tribune a plombé le moral de certains partisans du compromis, qui montraient les dents uniquement pour obtenir un maximum de concessions, et elle a bien fait rigoler des "anti", résolus depuis le début à voter "Non". Pour une raison basique : l'empressement des "17", accusés de jouer "perso", pourrait braquer tous les députés encore hésitants.

« Franchement, on se marre », glissait jeudi Benoist Apparu, député UMP.

Le résultat du "débat" interne devrait apparaître mardi prochain, juste avant le scrutin dans l'hémicycle. Lors d'une réunion matinale à huit-clos, les députés PS procéderont à un vote pour fixer la ligne de conduite du groupe : pour, contre, ou abstention. Si le "Non" en sort majoritaire, les "17" affirment qu'ils suivront la "consigne" – pour cette première lecture du projet de loi en tout cas, en attendant le retour du Sénat...

Pendant ce temps-là, les responsables du groupe PS favorables à un compromis final au Congrès (début juillet), tel Arnaud Montebourg, tentent de trouver une porte de sortie. En clair, il s'agit d'identifier un amendement ou deux, sur lesquels le gouvernement pourrait lâcher du lest, justifiant ainsi aux yeux de l'opinion publique un basculement du PS. La réflexion commune avancerait notamment sur la question des commissions d'enquête parlementaires : pourquoi ne pas autoriser l'opposition à en créer ? La majorité songerait à bouger.

De même au Sénat, Jean-Pierre Bel, auditionné mercredi par ses collègues UMP, affirme que «des choses évoluent» : « Nous avons discuté de la proposition socialiste de réformer le mode d'élection des sénateurs visant à démocratiser la chambre haute, et ils nous ont fait des propositions concrètes. Alors franchement, si l'on pouvait rester sereins...».

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