Surtout, ne pas parler de « protectionnisme » : dans le jargon européen, il s'agit de « réciprocité » ou de « commerce équitable ». Chantre depuis toujours des vertus du libre-échange, la Commission européenne est en train d'arrondir les angles. Elle a présenté mercredi un texte sur l'accès aux marchés publics, pour que l'Union, selon le mot du commissaire Michel Barnier, ne soit plus aussi « naïve » dans ses échanges avec l'Inde ou la Chine.
Cette proposition fait écho aux déclarations musclées du président candidat Nicolas Sarkozy, lors de son meeting de Villepinte, le 11 mars. Le chef de l'État avait alors expliqué, s'en prenant à la « technocratie » de Bruxelles : « L'Europe qui ouvre tous ses marchés publics quand d'autres n'en ouvrent aucun, c'est non. Agir ainsi, ce n'est pas accepter le libre-échange, c'est accepter d'être une Europe passoire. » Et de lancer un ultimatum : en l'absence de progrès au sein de l'Union d'ici « douze mois », la France appliquera seule ce principe de réciprocité.
À Bruxelles, la menace du président français en a agacé plus d'un. Car le texte présenté mercredi est en gestation, à la demande du Conseil des États membres, depuis octobre 2011, et Nicolas Sarkozy en a parfaitement connaissance. Il l'avait d'ailleurs évoqué publiquement lors de sa dernière conférence de presse dans la capitale européenne, début mars. Cet ultimatum à l'encontre des « technocrates » a donc des allures de pure mise en scène, qui permet au candidat de gonfler le torse à peu de frais.
Que propose à présent la Commission ? Elle veut durcir l'accès, pour les entreprises étrangères, aux marchés publics en Europe. L'enjeu, en apparence technique, est en fait très lourd. Estimé à 420 milliards d'euros par an, ce marché comprend la construction d'hôpitaux, de ponts ou de voies ferrées à travers le continent, ou encore la livraison de matériel médical. En Europe, la grande majorité (90 %) de ces contrats publics sont ouverts à des constructeurs non européens.
À l'inverse, les entreprises européennes ont bien du mal à remporter ce type de contrats ailleurs sur la planète – en particulier chez les pays émergents. Aux États-Unis, ces marchés publics ne sont ouverts qu'à 32 % des fournisseurs non américains. Au Japon, 28 %. Et ils sont quasiment fermés aux étrangers en Russie, en Inde ou encore en Chine. Il faudrait donc, juge l'exécutif européen, exiger davantage de « réciprocité commerciale ».
La Commission pourrait désormais exclure l'offre d'un fournisseur, s'il est originaire d'un pays qui pratique, dans ce même secteur, le protectionnisme au détriment des intérêts européens. À condition que le montant du contrat dépasse tout de même un certain seuil (au moins égal à cinq millions d'euros...). L'offensive, à peine lancée, est encore loin d'aboutir. Elle doit désormais passer par le Parlement européen, puis le Conseil. Elle pourrait déboucher, au plus tôt, au second semestre 2013.
En fait, à Bruxelles, bon nombre d'États membres grimacent. Le Royaume-Uni et la Suède, ainsi que l'Allemagne dans une moindre mesure, sont très critiques. Leurs députés pourraient s'appliquer à détricoter le texte dans les mois à venir. Principale inquiétude, pour ces avocats du libre-échange : d'éventuelles représailles commerciales, de la part de la Chine. Interrogé sur cette hypothèse, le commissaire belge en charge du commerce, Karel de Gucht, a rétorqué mercredi que « si vous avez peur, il faut faire un autre métier que de la politique ».
Europe Dépêche
La Commission pour la «réciprocité commerciale», comme Sarkozy
La Commission européenne a présenté mercredi un texte sur l'accès aux marchés publics, pour que l'Union, selon le mot du commissaire Michel Barnier, ne soit plus aussi « naïve » dans ses échanges commerciaux avec l'Inde ou la Chine.
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