Coïncidence ou non : plus leur probabilité d’accéder au pouvoir grandit, plus les leaders du Rassemblement national (RN) lèvent le pied sur leurs propositions risquant de déplaire au patronat. Celles qui auraient été les plus dépensières, d’abord, comme l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 d’Emmanuel Macron, la suppression de la TVA sur 100 produits de première nécessité ou la sortie du marché de l’électricité ont été amendées ou repoussées à plus tard.
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Autre proposition décalée risquant de déplaire au monde des affaires : l’impôt sur la fortune financière (IFF), qui n’interviendra en cas de victoire qu’en « fin de temps un ou en début de temps deux, en fonction de nos besoins de financement », a dit le RN dans Les Échos.
Il est intéressant de s’arrêter sur cette idée d’IFF apparue en 2021 dans le programme du RN. Lorsqu’elle a sorti cette mesure de son chapeau, la candidate à la présidentielle Marine Le Pen prétendait retourner la logique promue par Emmanuel Macron durant son premier quinquennat.
Quinquennat durant lequel il a remplacé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) se concentrant sur les riches propriétaires immobiliers, considérés comme des rentiers, et exonérant par la même occasion les gros patrimoines financiers constitués d’assurance-vie, de portefeuilles d’obligations et d’actions, considérés comme plus productifs par le président de la République.

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« Je fais le choix de l’enracinement contre la spéculation, là où Emmanuel Macron a fait un peu le choix inverse », disait la candidate d’extrême droite pour contrer le chef de l’État. La mesure figure toujours en bonne place dans le programme du RN aux élections législatives, et propose concrètement de taxer le patrimoine financier des plus riches et les œuvres d’art détenues depuis moins de dix ans. Tout en assurant des exonérations sur l’immobilier et les biens professionnels, notamment agricoles. Le tout dans un souci de « préservation du patrimoine français ».
Marine Le Pen justifiait notamment les exonérations pour l’immobilier par le fait de protéger « les classes moyennes qui entraient parfois dans l’ISF du fait de la simple valorisation d’un patrimoine immobilier familial ». Un vieux fantasme : il est faux de dire que les classes moyennes payaient jusqu’ici l’impôt sur la fortune immobilière. En France, selon les chiffres de la Direction générale des finances publiques, seuls 176 000 foyers fiscaux payaient l’IFI en 2023, sur un total de 40,7 millions, soit 0,4 % des foyers fiscaux en France.
Ces chiffres extrêmement bas ne sont pas surprenants : une personne ayant pour seul patrimoine sa résidence principale ne paiera pas d’IFI tant que la valeur de sa résidence ne dépasse pas… 1,9 million d’euros, déduction faite des dettes !
Le RN masque donc derrière cet argument fallacieux de protection des classes moyennes un cadeau fiscal pour les riches propriétaires ayant, qui plus est, déjà surfé sur la forte hausse des prix de l’immobilier depuis le début du siècle. L’économiste Thomas Piketty ne disait pas autre chose à La Tribune : « Le RN prévoit de supprimer l’impôt sur la fortune immobilière. Il s’agit de faire des cadeaux fiscaux aux multimillionnaires immobiliers. »
Un impôt à la merci des niches fiscales
Il n’est donc nullement question pour le RN de taxer tous les riches afin de réduire les inégalités et de financer les services publics, comme le propose par exemple le Nouveau Front populaire avec son ISF agrémenté d’un volet carbone. Mais « juste » une partie d’entre eux, ceux possédant les plus gros patrimoines financiers.
Problème : vu la capacité des plus aisés à adapter leurs placements pour payer moins d’impôts, il ne fait nul doute qu’ils utiliseront les moyens d’optimisation à leur disposition pour éviter d’être taxés plein pot par l’IFF du RN. C’était d’ailleurs ce qui était reproché à l’ancien ISF, qui échouait à véritablement taxer les très grandes fortunes du fait du trop grand nombre de niches fiscales qui lui étaient adossées, comme l’expliquait le rapport final du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital.
Cela est d’autant plus préoccupant si on l’applique à la réforme voulue par le RN, puisque « les valeurs mobilières sont plus faciles à soustraire aux impôts que le foncier », pointe un expert du collectif Nos services publics. « Or le RN ne parle jamais de la coopération internationale et européenne qui serait nécessaire pour assurer l’efficacité de son impôt », rappelle ce spécialiste.
Une explication à la construction baroque de cet impôt sur la fortune financière est peut-être à aller chercher dans les relents douteux qui ont amené le RN à construire sa proposition. Un bon connaisseur de la chose publique rappelle en effet à Mediapart que dans le discours fondateur du 11 mars 2018 actant le changement de nom de Front national en Rassemblement national, Marine Le Pen exposait déjà une opposition fondamentale entre « enracinement » et « nomadisme », et reliait directement cette distinction à la fiscalité du patrimoine.
Un terrain extrêmement glissant, estime ce connaisseur, car opérant un « recyclage diffus des images de l’antisémitisme et du racisme du début du XXe siècle » : « Juif errant, métèque nomade, associés aux banquiers, venus pour profiter, spéculer, et constituant une anti-France, intrinsèquement contraires aux valeurs morales constitutives de la nation ».
Dans son discours de 2018, Marine Le Pen détaillait ce qu’elle estimait être le projet de Jacques Attali et d’Emmanuel Macron – souvent associés dans les caricatures antisémites de la fachosphère –, en dissertant sur l’appellation du parti du président : « Le nom même du mouvement de M. Macron, En Marche, témoigne de cette appétence non pour le voyage, mais pour l’errance. Dans la France de M. Macron, être un marcheur, c’est être un nomade, tout comme le sont les migrants ou les expatriés fiscaux. »
Et d’ajouter que « M. Attali est le prophète du nomadisme », en raison de son livre de 2003 titré L’Homme nomade. La patronne du parti d’extrême droite discourait contre le « nomadisme décomplexé, avec pour prolongements implicites un sans-frontiérisme et un immigrationnisme irréductibles », où « la seule autorité reconnue est celle de l’argent » et « le seul pouvoir, la force de celui qui le possède ».
Trois ans plus tard, fin 2021, Marine Le Pen déclarait qu’en instaurant l’IFI, Emmanuel Macron « avait exonéré d’impôts la financiarisation de l’économie, la spéculation » et « taxé l’enracinement, c’est-à-dire le patrimoine immobilier », et elle disait vouloir faire « exactement l’inverse ».
« En créant l’IFI qui supprime la taxation des fortunes mobilières sans épargner l’immobilier, Emmanuel Macron aurait donc montré sa volonté d’encourager le nomadisme et l’errance patrimoniale, inverse aux valeurs de civilisation prônées par Marine Le Pen, et de pénaliser au contraire l’enracinement et l’ancrage à la terre », décrypte un expert.
Si le mot « nomadisme » et les références à Jacques Attali ont disparu depuis 2019 des discours des cadres du RN, un chapitre visant à « enraciner les familles françaises » est toujours bien présent dans son programme pour les élections législatives. Et la proposition d’IFF y figure en bonne place.