Un roman victorien modernisé, une tentative fragmentée et érudite de penser la fin d’une œuvre, d’une vie ou d’une carrière, et un récit documentaire sur une ouvrière brutalisée et volatilisée : tel est le programme de cet « Esprit critique » littérature consacré à Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, d’Anne Plantagenet, publié au Seuil ; à L’Imposture, le nouveau roman de la toujours réjouissante Britannique Zadie Smith, qui sort chez Gallimard ; et à l’essai littéraire intitulé Les Derniers Jours de Roger Federer, et autres manières de finir, signé Geoff Dyer et traduit par les Éditions du sous-sol.
« Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans »
L’écrivaine Anne Plantagenet, également traductrice de l’espagnol et notamment de l’Argentine Mariana Enriquez, publie aux éditions du Seuil Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans. Elle délaisse la fiction, qui avait tissé ses précédents romans, pour un récit documentaire sur une ouvrière nommée Letizia Storti, disparue à Marseille pendant sa convalescence après avoir fait une tentative de suicide sur son lieu de travail en 2021.
Anne Plantagenet, descendante de pieds-noirs espagnols et de maçons italiens, avait rencontré Letizia Storti, ouvrière de l’usine Upsa, sur le tournage du film de Stéphane Brizé, En guerre, dans lequel l’ouvrière et syndicaliste était figurante et avec laquelle elle avait tissé des liens.
« L’Imposture »
L’Imposture est le titre du nouveau roman, après plusieurs années d’absence, de Zadie Smith, prodige des lettres britanniques. Il est publié chez Gallimard et traduit de l’anglais par Laetitia Devaux. Le socle du roman est inspiré de faits réels, comme on dit encore bizarrement, à savoir une histoire judiciaire, l’affaire Tichborne : une histoire réelle d’usurpation d’identité à des fins d’héritage qui défraya la chronique en son temps.
Histoire à laquelle Zadie Smith incorpore une autre, celle d’un auteur ayant vraiment existé, William Ainsworth, un mélange de Charles Dickens et de Victor Hugo entièrement tombé dans l’oubli et dont il ne reste aucune trace. Il est l’un des personnages centraux du livre, mais moins que sa cousine par alliance, maîtresse, conseillère littéraire et bonne à tout faire, Eliza Touchet. Celle-ci, dont l’abolitionnisme tranche avec son milieu, pourrait presque paraître comme la voix de Zadie Smith si elle était née à l’époque victorienne.
« Les Derniers Jours de Roger Federer »
Apprendre à finir était le titre d’un ouvrage du romancier Laurent Mauvignier, qui aurait pu être celui du dernier ouvrage de Geoff Dyer, Les Derniers Jours de Roger Federer, et autres manières de finir, publié par les Éditions du sous-sol et traduit par Paul Mathieu, dont le titre peut sembler trompeur en cette période de tournoi de tennis, puisque le célèbre tennisman n’y apparaît que durant quelques pages.
Le dernier livre de l’inclassable écrivain s’intéresse en effet, au moment où il s’interroge, passé la soixantaine, sur la fin, aux œuvres tardives de Dylan, Turner, D. H. Lawrence ou aux derniers rebonds d’un tennisman : des manières de finir, qui ne sont pas toujours synonymes de clap de fin ou de manières d’en finir.
Geoff Dyer est une figure singulière de l’écriture contemporaine, débutant par une thèse sur l’œuvre de John Berger, publiant un recueil d’essais et de nouvelles sur le jazz (Jazz impro, éditions Joëlle Losfeld, 1995), puis une méditation personnelle sur la guerre et la mémoire, ainsi qu’une histoire de la photographie, à travers la figure de Garry Winogrand. Il est également l’auteur de plusieurs romans, dont deux traduits en France (La Couleur du souvenir, éditions Joëlle Losfeld, 1996 ; Voir Venise, mourir à Varanasi, éditions Denoël, 2011).
On en discute avec :
- Lise Wajeman, professeure de littérature comparée qui chronique l’actualité littéraire pour Mediapart ;
- Blandine Rinkel, écrivaine, critique et musicienne ;
- Youness Bousenna, qui chronique notamment l’actualité littéraire pour Télérama.
C’était le dernier « Esprit critique » de la saison, enregistré dans les studios de Gong et réalisé par Karen Beun.