Dossier « L’esprit critique »

« L’esprit critique » littérature : les relations humaines au scalpel

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Notre podcast culturel débat de « Cabane » d’Abel Quentin, de « Bien-être » signé Nathan Hill et du livre d’Hélène Giannecchini intitulé « Un désir démesuré d’amitié ».

1 421 pages au total pour un programme de rentrée chargé pour le premier « Esprit critique » littérature de la saison, composé autour de trois ouvrages qui ont en commun de s’attacher à décrire le temps long de relations amoureuses, amicales ou professionnelles…

On discute aujourd’hui du livre du romancier Abel Quentin, Cabane, que publient les Éditions de l’Observatoire ; de l’ouvrage hybride entre essai et littérature d’Hélène Giannecchini intitulé Un désir démesuré d’amitié, publié au Seuil, et enfin du substantiel roman de l’américain Nathan Hill, intitulé Bien-être, qui paraît aux éditions Gallimard.

« Cabane »

Cabane est le nouveau roman d’Abel Quentin, après Sœur, dans lequel l’écrivain – également avocat ayant traité de ce genre de dossier – évoquait la radicalisation islamiste d’une jeune fille, et Le Voyant d’Étampes, texte en forme de satire du wokisme qui fut finaliste du prix de Flore.

Il s’empare là du rapport « Meadows », aussi connu sous le nom de « Rapport du Club de Rome », publié en 1972, largement oublié pendant des années, mais désormais considéré comme précurseur des limites de la croissance et des menaces écologiques de notre temps.

Abel Quentin le transpose en « Rapport 21 » et s’intéresse au parcours de ses quatre rédacteurs : le couple formé par Mildred et Eugene Dundee, le Français Paul Quérillot, et l’énigmatique Norvégien et mathématicien Johannes Gudson, et restitue les aveuglements d’une société où, pour citer l’économiste Kenneth Boulding, « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ».

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« Un désir démesuré d’amitié »

Un désir démesuré d’amitié est le troisième ouvrage d’Hélène Giannecchini publié dans la collection « La Librairie du XXIe siècle » du Seuil, après Une image peut-être vraie et Voir de ses propres yeux. Ce livre aussi fait matière de photographies, pour dessiner de manière fragmentée à la fois une quête de soi, une recherche dans les archives LGBT et une réflexion sur le sentiment ou plutôt les liens d’amitié, perçus, notamment pour les personnes queers, comme des antidotes à la famille et à l’amour, qu’il soit romantique ou conjugal.

L’écrivaine livre donc ici un livre hybride, entre essai, récits de rencontres, retour sur sa propre histoire et éloge d’un sentiment qui, on la cite, « a un rôle particulier dans les existences des personnes qui sortent de la norme, dont les désirs ne sont pas majoritaires et qui inventent d’autres manières de vivre et de se lier. L’amitié nous sauve. Elle est un principe fondateur et une protection. Elle ne s’amenuise pas avec les années, elle est une alternative à la famille dite biologique, une autre manière de se lier, une force politique, nous n’en faisons pas une forme d’amour à demi-mot, nous la défendons comme avenir et comme pratique ».

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« Bien-être »

Bien-être est le titre du nouveau roman de l’auteur états-unien Nathan Hill, qui s’était fait notamment remarquer avec un précédent titre, Les Fantômes du vieux pays. Il est publié par les éditions Gallimard dans une traduction de Nathalie Bru et raconte la trajectoire d’Elizabeth et Jack sur une vingtaine d’années, depuis les études de psychologie de la première et les premiers pas dans la photographie pour le second, jusqu’à l’achat d’un appartement sur plan dans une ville de Chicago en pleine gentrification.

Un livre où l’on croise notamment une « licorne », à savoir « une femme célibataire ouverte aux rencontres d’un soir avec des couples », des femmes qu’on appelle des licornes « parce qu’elles sont si difficiles à trouver qu’elles sont presque mythiques » ; un aïeul ayant fait fortune dans la confection de costumes pour les membres du Ku Klux Klan ; un ami d’enfance reconverti en promoteur sans vergogne ou encore une méthode quasi scientifique bien que placebo pour déclencher le coup de foudre. 

Mais l’acquisition de ce logement avec double suite parentale est source de maintes difficultés, et agit comme un révélateur des illusions bohèmes et amoureuses du couple, entravé par la naissance d’un fils tyrannique et son propre embourgeoisement.

« Peut-être était-ce l’usage fréquent de l’expressionpour la vie” qui donnait à ses réunions un côté si crispant, écrit Nathan Hill. Comme dans “C’est votre maison pour la vie”, refrain qu’entrepreneurs du bâtiment, architectes, décorateurs et agents immobiliers entonnaient à chaque suggestion d’une nouvelle extravagance hors de prix. Le sous-entendu était clair : si c’est l’endroit où vous allez mourir, lâchez-vous et faites chauffer la carte bleue, non ? »

L’auteur compose ainsi une odyssée domestique renvoyant à ce qu’il fait dire à Elisabeth : « Jamais personne n’avait composé d’opéra racontant l’histoire héroïque d’une mère parvenue à faire aimer le houmous à son bébé. La chose demeurait sous le seuil de l’intérêt décelable. »

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Avec :

  • Blandine Rinkel, écrivaine, critique et musicienne ;
  • Youness Bousenna, critique littéraire pour Télérama et romancier ;
  • Rose Vidal, artiste et critique, qui écrit notamment pour le quotidien d’idées en ligne AOC.

« L’Esprit critique » est un podcast réalisé aujourd’hui par Samuel Hirsch et enregistré dans les studios de Gong par Karen Beun.