L’Algérie française des années 1930 vue à travers l’adaptation d’un des classiques de la littérature française ; l’Égypte d’al-Sissi captée à partir du tournage d’un biopic élogieux sur le général putschiste, et enfin la gigapuissance états-unienne contemporaine, saisie depuis les salles de commandement mises à l’épreuve par l’apparition d’un missile nucléaire visant Chicago…
On évoque aujourd’hui dans « L’esprit critique » l’adaptation par François Ozon du roman d’Albert Camus L’Étranger ; A House of Dynamite, le nouveau long métrage de la réalisatrice Kathryn Bigelow, sorti sur la plateforme Netflix ; et enfin le nouveau film du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, Les Aigles de la République.
« L’Étranger »
Le réalisateur français François Ozon continue, au rythme de croisière d’un long métrage par an, à épaissir une filmographie composée de 8 femmes, Grâce à Dieu, Dans la maison, Jeune et jolie, Sous le sable ou encore, pour remonter aux titres qui l’ont fait connaître, Les Amants criminels et Gouttes d’eau sur pierres brûlantes.
François Ozon s’attaque cette fois à l’adaptation d’un des grands classiques de la littérature française, étudié par des générations d’élèves de France et de Navarre, L’Étranger, publié en 1942 par le futur lauréat du prix Nobel de littérature Albert Camus.
Pour celles et ceux qui auraient oublié leurs études secondaires, l’ouvrage de Camus se déroule dans l’Algérie française des années 1930. Meursault, le personnage principal, incarné à l’écran par Benjamin Voisin, est un jeune employé de bureau qui vit seul, hermétique à toute empathie, étranger à ses sentiments, indifférent au monde, qui vient de perdre sa mère qu’il avait placée à l’asile.
Un jour d’été, il tue un « Arabe » sur une plage d’Alger, sans réel motif, même si ce dernier avait menacé son ami et voisin, un proxénète qui avait lui-même battu la sœur de cet homme…
L’Étranger, de François Ozon, avec notamment Benjamin Voisin et Rebecca Marder, est sur les écrans depuis le 29 octobre.
« A House of Dynamite »
La réalisatrice états-unienne Kathryn Bigelow, première femme à avoir reçu l’Oscar de la meilleure réalisation pour son film Démineurs, n’avait plus tourné depuis près de huit ans et la sortie de Detroit, consacré aux révoltes urbaines et raciales de la « Motown » dans les années 1960.
Avec A House of Dynamite (« une maison de dynamite »), Kathryn Bigelow choisit Netflix plutôt que le circuit des salles traditionnelles, tout en poursuivant une filmographie captivée par l’univers militaire, la violence et l’histoire des États-Unis.
Ici, Kathryn Bigelow réactive un genre ancien, le film d’apocalypse nucléaire, qui a forgé certains classiques du cinéma américain, comme Point Limite de Sidney Lumet, en 1964, ou Docteur Folamour de Sidney Kubrick la même année.
Elle le fait, il faut le reconnaître, avec un certain sens du timing politique et géopolitique, puisque son long métrage est sorti quelques jours seulement avant le duel verbal mais néanmoins atomique entre Vladimir Poutine et Donald Trump : le premier vantant les mérites de ses missiles et drones sous-marins à capacité nucléaire, le second annonçant la reprise des essais des armes nucléaires.
Les spectateurs et spectatrices sont donc immergé·es dans un imaginaire de guerre froide, avec réunions de crise, écrans de contrôle et espaces de décisions engageant le sort de toute l’humanité, le tout modernisé à coups de technologies de pointe mais pas nécessairement fiables et d’acronymes aussi exotiques qu’importants.
Toutefois, si Bigelow réactive un genre connu, et parfois galvaudé, elle le fait avec un dispositif cinématographique qui en renouvelle le style, avec une caméra qui virevolte dans différents lieux de pouvoir et un compte à rebours qui se répète trois fois tout en ne respectant pas tout à fait la réalité du temps qui s’écoule avant la possible apocalypse…
« Les Aigles de la République »
Après Le Caire confidentiel et La Conspiration du Caire, le cinéaste suédois Tarik Saleh conclut sa trilogie sur l’Égypte, le pays de son père dans lequel il est persona non grata, avec Les Aigles de la République.
On y retrouve son acteur fétiche, Fares Fares, jouant une star du cinéma égyptien au point d’être surnommé le « pharaon de l’écran ». Lui est confié le rôle piège d’incarner un autre pharaon, le maréchal al-Sissi, qui règne sur l’Égypte depuis son coup d’État, en 2013, contre le premier président élu après la révolution de 2011, le Frère musulman Mohamed Morsi.
Produit par l’armée, le film dans le film s’intitule La Volonté du peuple et doit honorer le courage du militaire. Contraint d’accepter, le comédien se retrouve pris dans un engrenage à la fois cinématographique et politique, où le pion qu’il est devenu est pris dans des jeux de pouvoir qui le dépassent.
Les Aigles de la République aborde ainsi frontalement l’histoire récente de l’Égypte, tout en remontant le temps, à travers une scène qui évoque l’assassinat du président Anouar al-Sadate en 1981 lors d’un défilé militaire, mais aussi en convoquant des images et des imaginaires de l’âge d’or du cinéma égyptien, lorsque celui-ci était le plus important du monde arabe et l’un des plus importants de la planète.
Les Aigles de la République, de Tarik Saleh, sera sur les écrans mercredi 12 novembre.
Avec :
- Occitane Lacurie, membre du comité de rédaction de la revue Débordements ;
- Alice Leroy, qui écrit pour les Cahiers du Cinéma et Panthère Première, dont le nouveau numéro vient d’être publié après dix ans d’existence ;
- Salima Tenfiche, maîtresse de conférence à l’université Paris 3.
« L’esprit critique » est un podcast enregistré et réalisé par Karen Beun.