Une bataille, un accident et un vampire. Un blockbuster à plus de 100 millions de dollars et deux films tournés avec les moyens du bord… Deux films de près de trois heures et un d’environ deux heures. Mais quoi qu’il en soit, trois films qui entendent faire cinématographiquement de la politique et pas simplement du cinéma avec de la politique.
On évoque aujourd’hui dans « L’esprit critique » Une bataille après l’autre, du cinéaste américain Paul Thomas Anderson, puis la Palme d’or 2025 décernée à l’Iranien Jafar Panahi pour Un simple accident et enfin le Dracula du Roumain Radu Jude.
« Une bataille après l’autre »
On commence avec un long métrage sorti voilà déjà deux semaines, mais sur lequel « L’esprit critique » voulait revenir parce que ce blockbuster est considéré comme un des premiers et importants films politiques produits par Hollywood à l’ère du second mandat de Donald Trump.
Le cinéaste Paul Thomas Anderson, auteur notamment de The Master ou Licorice Pizza, passe en effet à l’action, et à l’action directe, avec Une bataille après l’autre, un long métrage truculent et turbulent librement inspiré d’un roman déjà assez déjanté de l’Américain Thomas Pynchon intitulé Vineland.
Le long métrage met en scène un groupe de révolutionnaires – féministes, antiracistes, anticapitalistes – décidés à œuvrer à main armée pour un monde meilleur et contre la fascisation de leur société. Ils dévalisent des banques, attaquent des camps de rétention de migrants pour en libérer les détenus, font sauter des bombes au cœur du pouvoir.
Après une ellipse et la répression qui s’est abattue sur le groupe, on retrouve le personnage incarné par Leonardo DiCaprio, qui a changé de nom et de lieu de vie pour échapper à la prison, collé au plafond par les vapeurs de la drogue et plaqué au sol par l’évaporation de sa fille.
Celle-ci est en effet traquée par le colonel Lockjaw, un militaire incarné par Sean Penn, qui avait déjà mené la charge contre le groupe révolutionnaire French 75, avant de devenir membre d’une coalition de nazis suprémacistes…
Une bataille après l’autre, de Paul-Thomas Anderson, avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Teyana Taylor et Chase Infiniti, est sorti le 26 septembre et est toujours en salles.
« Un simple accident »
Alors qu’une succession d’accidents spectaculaires de puissantes voitures servait de bouquet final au feu d’artifice du film de Paul Thomas Anderson, c’est « un simple accident », pour en reprendre le titre, qui sert d’embrayeur au nouveau film du cinéaste iranien Jafar Panahi.
Sur les hauteurs de Téhéran, une famille est contrainte, après avoir écrasé un chien, d’amener sa voiture au garage du coin. C’est alors qu’un des employés du garage, Vahid, croit reconnaître, grâce à la démarche et à la voix du père de famille, le tortionnaire qui l’a torturé maintes fois lorsqu’il se trouvait en prison : celui-ci était en effet surnommé « Guibole » à cause d’une jambe de bois qui avait remplacé son membre perdu sur le terrain syrien.
Après l’avoir enlevé et trimbalé dans un coin désert pour l’enterrer vivant, il est pris d’un doute lié aux dénégations de l’homme. Il se lance alors à la recherche d’autres victimes de la dictature iranienne et d’autres témoins capables d’identifier formellement leur bourreau : une mariée en robe blanche, une photographe ou un homme paraissant à moitié fou…
Le film de Jafar Panahi a obtenu la Palme d’or au dernier Festival de Cannes, et la France, où il est coproduit, en a fait son choix pour la course aux Oscars. Il est sur les écrans depuis le 1er mars.
« Dracula »
Après Dreyer, après Coppola, voici le Dracula signé Radu Jude, né à la fin des années 1970 à Bucarest et déjà auréolé d’un Ours d’or à Berlin en 2021 pour Bad Luck Banging or Loony Porn et d’un prix spécial du jury à Locarno pour N’attendez pas trop de la fin du monde en 2023.
Ce cinéaste considéré comme la tête de file de la nouvelle vague du cinéma roumain est partout sur les écrans en ce moment, puisque quelques semaines avant son Dracula qui sera en salles mercredi est sorti Kontinental ’25, et qu’après le FIDMarseille en juillet, c’est le Centre Pompidou qui lui consacre actuellement une large rétrospective.
Ce Dracula de près de trois heures, rempli d’hémoglobine, de vampires mal déguisés et de sexe, qui part littéralement dans tous les sens, repose néanmoins sur un pitch simple : un scénariste en peignoir et en mal d’inspiration sollicite l’intelligence artificielle pour l’aider à écrire son film. À chaque proposition verbale du paresseux scénariste, le logiciel s’exécute et envoie un extrait de quelques minutes, que l’on découvre à l’image.
Ces extraits tous plus laids et grotesques les uns que les autres sont enchâssées dans des scènes tournées dans la cité médiévale roumaine de Sighișoara, où vécut au XVe siècle Vlad, dit l’Empaleur, devenu un parc d’attractions où se produit notamment un couple vieillissant dans un cabaret – bordel minable promettant aux touristes fascinés un accouplement avec un Dracula de pacotille, voire une vraie chasse aux faux vampires dans les rues de la ville…
Dracula, signé Radu Jude, sera visible sur les écrans mercredi prochain, le 15 octobre.
Avec :
- Occitane Lacurie, membre du comité de rédaction de la revue Débordements ;
- Salima Tenfiche, maîtresse de conférences à l’université Paris 3 ;
- Alice Leroy, qui écrit pour les Cahiers du Cinéma et Panthère Première, dont le dernier numéro vient d’être publié après dix ans.
« L’esprit critique » est un podcast enregistré par Corentin Dubois et réalisé par Karen Beun.