Avignon (Vaucluse).– Pour sa dernière édition de la saison, « L’esprit critique » est enregistré en public depuis le Festival d’Avignon. Il a fallu opérer un choix drastique pour sélectionner trois spectacles parmi les 43 que propose cette année le festival « in », qui se termine le 26 juillet.
Nous avons aussi laissé de côté les pas moins de 1 700 spectacles que propose tout ce mois de juillet le festival « off », non par préférence esthétique ou indifférence pour tout ce qui n’est pas le théâtre public, mais pour des raisons de diffusion, dans la mesure où les spectacles que nous allons évoquer ont déjà des tournées importantes prévues, ce qui permettra de les voir même sans aller à Avignon.
Les spectacles du « off » sont, pour la plupart, précisément donnés dans la cité des papes pour construire leur avenir dans un moment fragilisé par les coupes qui affectent le monde de la culture en général et le spectacle vivant en particulier.
On parle donc aujourd’hui de l’adaptation de la pièce du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Le Canard sauvage, proposée par le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier ; de la nouvelle proposition documentaire d’Émilie Rousset, Affaires familiales ; et enfin du travail prometteur du jeune metteur en scène gréco-albanais Mario Banushi, intitulé MAMI.
« Le Canard sauvage »
Thomas Ostermeier, directeur de la Schaubühne de Berlin, revient au Festival d’Avignon avec une relecture de la pièce du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), Le Canard sauvage, après avoir notamment monté il y a plus de dix ans le texte le plus connu d’Ibsen, Un ennemi du peuple, dans une mise en scène qui a marqué les esprits de celles et ceux qui l’ont vue.
Le texte d’Ibsen confronte deux familles socialement opposées.
D’un côté, les Ekdal, avec le grand-père socialement déchu mais toujours adepte de la chasse ; le père, qui promet une invention révolutionnaire tardant à venir ; la mère, qui tient le ménage et détient un lourd secret ; et la fille, atteinte d’une maladie dégénérative qui lui promet de finir aveugle.
De l’autre, la puissante famille industrielle des Werle, dont le patriarche est à l’origine de la déchéance du grand-père Ekdal et a eu une liaison avec la mère, Gina Ekdal, et dont le fils, Gregers, animé par une quête de transparence absolue, s’invite dans la famille Ekdal au risque de la faire exploser en voulant lui révéler les secrets qu’il détient.

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Thomas Ostermeier a très largement remanié le texte d’Ibsen, mais également éliminé les personnages secondaires et donné une place nouvelle à la fille de la famille Ekdal, qui n’était qu’une enfant dans la pièce originale et qui est ici une jeune adolescente.
Le Canard sauvage, de Thomas Ostermeier, était à l’Opéra d’Avignon pendant le festival du même nom et sera en tournée dans plusieurs villes de France à partir de la rentrée.
« Affaires familiales »
Affaires familiales est le titre de la nouvelle proposition de la metteuse en scène Émilie Rousset, dont le travail théâtral est largement fondé sur l’archive et l’enquête documentaire, restituées en créant des dispositifs élaborés.
Avec Maya Boquet, elle avait ainsi coécrit Reconstitution : le procès de Bobigny, autour du célèbre procès mené par l’avocate Gisèle Halimi ; puis avec Louise Hémon, elle avait signé un spectacle écrit à partir des débats de l’entre-deux-tours de la présidentielle, et on pourrait encore citer son spectacle intitulé Les Océanographes, plongeant dans les archives d’une pionnière de ce type d’exploration, Anita Conti.
Dans Affaires familiales, Émilie Rousset s’intéresse au champ particulier du droit de la famille – qui va des questions de divorce et d’adoption jusqu’aux violences intrafamiliales et aux incestes – en interrogeant notamment des avocates et policières spécialisées dans ce domaine. Le tout à une échelle européenne, dépassant le cas français puisqu’on passe dans ce spectacle par la Catalogne, le Portugal ou encore la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

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La restitution de cette parole se fait à travers un dispositif complexe : en bifrontal, c’est-à-dire avec un public qui se fait face de chaque côté de la scène ; un grand écran qui donne à voir certains extraits des entretiens filmés avec les professionnel·les de la justice familiale ; et des acteurs et actrices qui restituent ces paroles en alternant recherche de synchronie entre l’image et le jeu, et effets de décalage entre les témoignages recueillis et leur interprétation.
Affaires familiales était visible à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon pendant le Festival d’Avignon, avant une grande tournée à partir de la rentrée, d’abord au Théâtre de la Bastille à Paris, puis au Lieu unique à Nantes, avant le CDN d’Orléans et les scènes nationales de Cergy-Pontoise, du Havre et d’Évry-Courcouronnes.
« MAMI »
On termine cette émission – et cette saison – avec un théâtre d’images sans aucune parole, celui proposé par le prometteur metteur en scène albano-grec Mario Banushi, 26 ans.
Le jeune homme a déjà à son actif plusieurs pièces, Ragada, Goodbye Lindita et Taverna Miresia : une trilogie familiale puisque « Lindita » était le nom de sa belle-mère et « Taverna Miresia », le nom du restaurant que tenait son père en Grèce.

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Mais, comme pour la pièce qu’il présente au Festival d’Avignon, intitulée MAMI, le théâtre de Mario Banushi ne consiste ni en un simple roman familial ni en un théâtre documentaire. Il vise à susciter des images à vocation universelle transmises directement au corps des spectateurs à travers des mouvements, des couleurs, des lumières qui opèrent comme autant de tableaux vivants.
Ici, la scène est recouverte d’une terre dans laquelle se dessine une fragile route de campagne semblable à celles du village où Banushi a été élevé par sa grand-mère dans les montagnes albanaises. Une petite maison de pierre y est éclairée par un pylône électrique en bois.
MAMI, de Mario Banushi, sera notamment visible au printemps prochain au Théâtre de l’Odéon.
Avec :
- Zineb Soulaimani, que vous pouvez lire notamment dans Le Quotidien de l’Art et dont vous pouvez aussi écouter le podcast « Le Beau Bizarre » ;
- Caroline Châtelet, qui écrit notamment pour ScèneWeb et le trimestriel Théâtre ;
- Vincent Bouquet, dont vous pouvez aussi retrouver la plume sur ScèneWeb.