Pamiers (Ariège).– Le 7 février, après déjà deux journées d’action à Foix – aux airs de jamais-vu depuis le soulèvement contre la réforme Juppé de 1995 –, l’Ariège défile à Pamiers, ville voisine plus populeuse et populaire, afin de clamer son refus de la réforme Macron. Un retraité déboule pour rejoindre la manifestation, en s’esclaffant : « On est payé pour venir, elle est pas belle la vie ? »
Les slogans devenus habituels au fil des semaines passées s’égrènent : « Métro, boulot, caveau » ou « La retraite avant l’arthrite. » Perle plus rare : « Dans 43 annuités, il fera 49,3 °C. Pas de planète, pas de retraite. » La sono de l’intersyndicale commence la valse des harangues, avec la CGT : « Notre boussole, c’est le rapport de force et le blocage de l’économie. » Suit FO : « Neuf travailleurs sur dix et les deux tiers de la population s’opposent à la réforme. »
Le cortège s’ébranle. Laura, 34 ans, éleveuse de brebis, brandit sa petite pancarte : « Paysannes fières et vener. On ne se laissera pas faire. » Elle déclare à Mediapart : « Le nombre de paysans vivant sous le seuil de pauvreté est délirant. Mais le nombre de paysannes touchées par la misère dépasse l’entendement. Elles sont sans statut agricole, considérées comme aides familiales ou cotisantes solidaires. J’en connais une qui atteint une pension de retraite de 600 euros mensuels. Les autres touchent moitié moins. C’est au nom d’une telle indignité que je suis ici, solidaire de mes copines paysannes, vieilles et précaires. »
Léo, 29 ans, tient nonchalamment un écriteau rageur : « Qu’est-ce qu’on attend pour leur couper la tête ? » On lui demande s’il est contre la peine de mort. « Bien entendu, je suis même non-violent. Certains jugent trop brutal le propos provocateur que j’affiche. Mais la brutalité est déjà là. Je l’ai vue s’exercer en tant qu’éducateur spécialisé auprès d’adultes et d’enfants, souvent migrants, parfois atteints de handicap. Cette violence a frappé autour de moi, où j’ai connu des gens qui ont fini par se suicider – dans le parc de cette ville s’est pendue l’an dernier une fille de 17 ans. Alors si ma pancarte fait peur à certains et en dérange d’autres, tant mieux. Mais si un changement radical pouvait intervenir sans morts, tant mieux également… »
Francis, 58 ans, agite au-dessus de lui un drapeau tricolore : « Je défends mon pays. Cette loi est la loi de trop. Le bleu, le blanc et le rouge, c’est un droit de la révolution qui doit nous rappeler tous nos droits, comme la retraite. Il nous faut un 1789 ou un Mai 68. Je me suis engagé aux côtés des gilets jaunes du premier au dernier jour. Avant, j’ai été délégué syndical CGT. Je reste avant tout un Français, c’est-à-dire un révolté qui ne s’en laisse pas conter. »
Un manifestant de 25 ans expose une caricature. Une mère y déclare à son gamin, le cartable sur le dos : « Applique-toi, car si tu veux une retraite à taux plein, il faudra que tu aies le bac avant la fin du CP ! » Employé à la maintenance électrique dans une usine, le protestataire, salarié depuis quatre ans, se considère comme une exception chanceuse : « Les gens travaillent de plus en plus tard. Je suis venu pour les soutenir, sinon ils n’atteindront jamais la retraite à taux plein. Je soutiens ce mouvement tant nous n’en pouvons plus, les uns et les autres, de ce gouvernement qui n’arrête pas de taper sur les plus pauvres pour renflouer les caisses. » Pense-t-il à sa retraite ? « Pensez-vous ! Il y aura eu tant de réformes d’ici là… »

Katleen, contractuelle dans l’enseignement public élémentaire et primaire, est accompagnée de son directeur d’école, Michael. Elle a 32 ans et lui 50. Ils se soutiennent. Leur pancarte sur « les croûtons » n’est pas de l’âgisme, se défend Michael : « Pour ne pas devenir des croûtons, pour faire face aux enfants, à leurs demandes qui nous imposent une attention non-stop et une énergie plein pot, il faut pouvoir s’arrêter à temps, quitte à utiliser la vigueur qui reste dans le secteur associatif. Parce que toute énergie dépend de l’environnement. La solution ne consiste pas à nous permettre de nous arrêter une fois qu’il n’y a plus le moindre ressort en nous. C’est aussi valable pour les maçons et tant d’autres métiers. »
Toutes et tous défilent pour que la retraite ne devienne pas la simple antichambre de la mort. La solidarité du cortège s’avère intergénérationnelle. Les retraités sont là pour soutenir leurs enfants et leurs petits-enfants au lieu de se réfugier dans un « après moi le déluge » sur lequel escomptait le gouvernement. Sandrine, 40 ans, directrice d’un centre de loisirs, porte sa fille sur son dos. Elle désigne le cortège : « Devant, il y a mon fils, avec mon père et ma mère à la retraite. Plus loin, il y a mon mari. La réforme Macron-Borne n’est pas la solution. Mais il y a un tout en train de bouillir. Rien que le coût de la vie explique notre venue ici. »
Certaines personnes sont venues pour sensibiliser à leur cause. La pollution de la nappe phréatique du fait des gravières en Ariège, par exemple, explique la présence d’Ouchli (« C’est mon blase »), 48 ans, « factrice et faucheuse » qui milite à Extinction Rebellion.

Mathieu, 38 ans, « musicien-galérien », défile à côté de José-Pierre, 66 ans, ingénieur agronome. Ils pensent en termes d’altruisme, de mécontentement social, de menaces environnementales. Mathieu : « On nous fait croire qu’il n’y a pas d’argent alors que nous sommes un des pays les plus riches de la planète. Voulons-nous survivre dans une logique marchande, affirmant à tout va que la redistribution des richesses est impossible, que l’entraide et la mutualité [sont] infinançables, ou voulons-nous faire société ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’argent pour un modèle social alors qu’il y en a autant que de besoin pour un modèle sécuritaire ? »
José-Pierre : « Ceux qui prétendent que la solidarité coûte un pognon de dingue nous coûtent un pognon de dingue avec leurs bulles financières et leur voracité de prédateurs. C’est ce que disaient les gilets jaunes, qu’on a taxés de poujadisme. Moi, en tant qu’ingénieur, je ne gagnais pas des mille et des cents et je me suis toujours projeté dans le peuple et associé à lui. »
À l’unisson : « Les mouvements sociaux servent aussi à interconnecter les thématiques. Nous sommes, sans être encartés, pour une écologie sociale : la même logique capitaliste détruit la solidarité entre les humains et le vivant sur cette planète. Fin du mois, fin du monde… »