Retraites : le coup de force de Macron Analyse

Retraites : comment le gouvernement creuse lui-même le déficit

La cure de rigueur que l’exécutif compte appliquer à la fonction publique creusera significativement le déficit du système des retraites, dénonce un collectif d’agents publics. Sans cette politique d’austérité, le déficit pourrait être réduit de 30 % d’ici à 2030.

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À trop vouloir baisser la dépense publique, le gouvernement est en train de creuser lui-même le déficit du système des retraites. C’est tout le « paradoxe » des cures d’austérité visant à réduire l’emploi public et à geler les salaires des agent·es. En effet, qui dit moins de fonctionnaires et des traitements moins élevés, dit moins de cotisations qui y sont adossées, moins de recettes pour les caisses de retraite, et donc, in fine, une hausse du déficit du système.

Le Conseil d’orientation des retraites (COR), sur lequel le gouvernement s’appuie pour élaborer ses prévisions, ne dit pas autre chose dans son dernier rapport datant de septembre 2022 : « Il convient de souligner le caractère paradoxal de ce résultat : les mesures d’économie sur la masse salariale publique se traduisent par une détérioration du solde du système de retraite », est-il écrit. 

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Les arguments du gouvernement pour justifier un report de l'âge légal de départ à la retraite s'épuisent. © Photo Xosé Bouzas / Hans Lucas via AFP

Or, l’exécutif a d’ores et déjà concocté une rude cure d’austérité à la fonction publique : au COR, la direction du budget a indiqué prévoir sur la période 2022-2027, « un gel du point d’indice, un quasi-gel du traitement indiciaire moyen des fonctionnaires en euros courants (+ 0,1 %) ainsi qu’un gel des primes sur toute la durée du quinquennat en cours, conduisant à une quasi-stagnation sur 5 ans de la rémunération des fonctionnaires, et ce indépendamment du taux d’inflation », explique le collectif d’agents publics « Nos services publics » dans une note publiée le 27 janvier.

Les contradictions du gouvernement

Une telle stagnation des salaires dans la fonction publique conduirait à une baisse de la rémunération réelle (une fois l’inflation prise en compte) pour toute la fonction publique de... 10,75 % entre 2022 et 2027, d’après le COR. Grevant par la même occasion les caisses de retraite publiques de précieuses recettes.

C’est dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières – qui cotisent à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) – que la modération salariale aura l’impact le plus significatif sur le solde global du système. En effet, en 2030, à cause de la cure d’austérité promise, le déficit de la CNRACL pourrait représenter à lui seul près de la moitié du déficit des retraites, estime le COR. 

Cela s’explique par le fait que ce régime cotise, en proportion, plus que les autres. Par exemple, le taux de cotisation patronale applicable aux employeurs territoriaux et hospitaliers est « depuis 2014 de 30,65 %, contre 16,46 % pour un salarié du secteur privé », précise le collectif Nos services publics. Par ailleurs, il ne bénéficie pas de contributions compensatoires de l’État pour s’équilibrer – comme cela est le cas pour le régime des fonctionnaires de l’État (enseignant·es, magistrat·es, forces de l’ordre, etc.). 

Dès lors, augmenter les salaires de ces deux seules fonctions publiques aurait tout de suite un impact spectaculaire : le collectif Nos services publics estime que si les rémunérations des fonctions publiques territoriale et hospitalière suivaient celles du reste de la population (+ 1 % par an, selon le scénario de productivité central du COR), le déficit des retraites serait réduit de 30 % en 2030. Une sacrée manne. 

Mais le gouvernement n’est assurément pas dans cette optique. Pour preuve la récente interview dans le JDD du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui assure que l’exécutif passera toutes les dépenses publiques « au peigne fin » afin de réduire « le poids » de la dépense publique dans l’économie. 

Il y a là une nette contradiction dans les propos du gouvernement : alors qu’il clame haut et fort que c’est en premier lieu pour résorber le déficit des retraites – qu’il évalue à 12,4 milliards d’euros pour 2027 – qu’il faut reculer l’âge de départ à 64 ans, il va en parallèle faire grossir ce même déficit à cause de la cure d’austérité qu’il compte appliquer à la fonction publique.

Le fantasme de la baisse des dépenses 

À y regarder de plus près, sauf à engager une véritable saignée, on se demande bien comment l’exécutif va mettre en œuvre la cure de rigueur annoncée. Pour le collectif Nos services publics, les projections de Bercy transmises au COR « d’une évolution du traitement indiciaire moyen de 0,1 % en euros courants sur toute la durée du quinquennat paraît en effet intenable ». 

Ce, « pour au moins deux raisons ». En premier lieu parce que ces projections ne prennent pas complètement en compte « l’impact de la revalorisation du point d’indice de 3,5 %, décidée en juillet 2022 » pour combattre les effets néfastes de l’inflation. 

Mais surtout, « en second lieu », parce que les projections du gouvernement tassent nettement « l’évolution mécanique du traitement moyen des fonctionnaires ». Comprendre : les hausses de salaire automatiques liées à l’avancement d’échelon en fonction de l’ancienneté, indépendantes de la hausse du point d’indice. À titre d’exemple, « entre 2019 et 2020, l’évolution du salaire net moyen dans la fonction publique était de 2 % en euros constants (en prenant en compte l’inflation) sans revalorisation du point d’indice ».

Même en excluant la fonction publique hospitalière, dont les salaires ont été augmentés grâce au contexte exceptionnel de crise sanitaire, « l’évolution du salaire net moyen était de 1 % dans la fonction publique d’État et de 0,8 % dans la fonction publique territoriale, soit bien au-dessus des 0,1 % en euros courants projetés par le gouvernement », précise le collectif. 

Des promesses à chaque crise 

En outre, à chaque crise des services publics – et elles furent nombreuses ces derniers mois –, le gouvernement promet d’augmenter les salaires des fonctionnaires et de recruter pour apaiser les protestations. 

Dans la santé d’abord, « en ce qui concerne la rémunération des soignant·es au sein de l’hôpital public, cotisant à la CNRACL, de nombreuses annonces contradictoires avec un gel ont été réalisées. C’est ainsi le cas de l’annonce de revalorisation des grilles issue du Ségur de la santé. C’est également le cas de celles réalisées par le ministre François Braun d’une enveloppe “de l’ordre de 400 millions d’euros” afin de faire face aux difficultés du secteur sanitaire et en particulier de la pédiatrie, dont de nombreuses mesures portant sur les rémunérations des professionnels hospitaliers », écrit le collectif.

Pareil dans l’Éducation nationale, pour laquelle l’exécutif a promis « de renforcer l’attractivité du métier d’enseignant » et de rehausser « les crédits du ministère afin de poursuivre et d’amplifier la revalorisation des rémunérations des personnels enseignants dès la rentrée 2023 »

Aussi, pour ce qui concerne les forces de l’ordre, la loi d’orientation et de programmation pour le ministère de l’intérieur (Lopmi) « prévoit des revalorisations importantes pour les fonctionnaires de police et de gendarmerie, présentées par le ministre comme la plus grande revalorisation salariale de tous les fonctionnaires de police et gendarmerie de l’histoire du ministère de l’intérieur ». Enfin, le ministre de la transformation et de la fonction publique a annoncé « l’ouverture prochaine d’un chantier sur les carrières et les rémunérations dans la fonction publique », ajoute le collectif.

Voilà une liste de nouvelles dépenses publiques annoncées par le gouvernement bien fournies pour ces prochaines années. Elle est, du reste, en décalage avec les projections bien plus austères envoyées par Bercy au Conseil d’orientation des retraites. Ce double discours de l’exécutif nécessite une clarification, souligne le collectif.

« De deux choses l’une : ou ces projections budgétaires sont le résultat d’une décision politique, et il est utile qu’elles soient portées à la connaissance des fonctionnaires et des citoyens, tant elles sont contradictoires avec d’autres déclarations gouvernementales au sujet de la revalorisation des services publics. Ou ces projections ne reflètent pas une orientation politique, auquel cas le débat sur la réforme des retraites se fonde sur des chiffres insincères », insiste « Nos services publics ». 

En effet si l’emploi public se portait mieux que prévu par Bercy dans les prochaines années – ce qui est fort probable –, il n’y aurait tout simplement pas de problème de financement des retraites. Et l’argument massue du gouvernement pour justifier sa réforme tomberait à l’eau. 

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Depuis le 7 janvier 2023 notre confrère et ami Mortaza Behboudi est emprisonné en Afghanistan, dans les prisons talibanes.

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