Quel fut le rôle de l'Etat dans l'affaire EADS ? «Ni coupable, ni glorieux. On l'a cantonné dans un rôle de figurant», résume Jean Arthuis, au terme d'une enquête engagée le 3 octobre 2007. Pour les sénateurs, cette «passivité» est induite par le pacte d'actionnaires signé en 2000, lors de la constitution du groupe européen d'aéronautique et de défense. Au nom de l'équilibre franco-allemand, celui-ci a établi un cadre juridique «qui ne permet pas à l'Etat de disposer librement de la gestion de son capital ni de participer directement aux instances de direction d'EADS ».
Cette organisation très particulière, imposée par les Allemands à l'époque, a conduit l'Etat à être tenu à l'écart de toute la vie du groupe, selon les sénateurs. Ainsi, d'après leur rapport, l'Etat ne savait rien des difficultés industrielles d'Airbus au printemps 2006. Lors de son audition du 5 octobre 2007, Thierry Breton, ministre de l'Economie et des Finances à l'époque des faits, indiquait ainsi n'avoir appris les retards de l'A 380 que le 12 juin 2006, à la veille de l'annonce de ces problèmes par le groupe. Ces problèmes avaient été pourtant évoqués dès le 18 mai, lors d'une réunion entre les dirigeants du groupe et l'Agence de participations de l'Etat (APE), chargée de suivre le groupe pour l'Etat actionnaire. Mais manifestement, l'information ne circulait pas. A lire les auditions, on est même saisi par le tournis en découvrant que les représentants de l'Etat ont tous joué du même argument et répété qu'ils étaient mal informés : du ministre des Finances au président de conseil de surveillance de la Caisse des dépôts en passant par Matignon et l'Elysée, ils apprennent tout par la presse. «Le gouvernement n'aurait donc pris connaissance des difficultés industrielles réelles d'Airbus qu'à travers la presse», relèvent les sénateurs, un peu perplexes malgré tout. Avant d'ajouter que «l'ignorance de l'Etat des difficultés industrielles rencontrées par Airbus relève prioritairement du groupe EADS et de sa gouvernance ».
Le mauvais investissement de la Caisse des dépôts
Même dédouanement de l'Etat par le Sénat dans la cession des titres de Lagardère et DaimlerChrysler au printemps 2006. Les deux actionnaires privés avaient pourtant pris soin d'informer les pouvoirs publics de leur intention de vendre dès novembre 2005. Mais l'Elysée, Matignon, le ministère des Finances par la suite, se sont contentés, selon le rapport, de ne suivre que les modalités techniques. Le Sénat pense-t-il, de la sorte, balayer tous les doutes sur le rôle réel du pouvoir dans l'affaire? En tout cas, le pacte, insistent les sénateurs, les obligeait à n'avoir qu'un rôle de spectateur. L'Etat semble s'en être si bien contenté qu'il ne pousse même pas la curiosité de savoir qui rachète les 7,5% vendus par le groupe Lagardère. Ainsi, toujours selon le rapport, c'est par hasard qu'ils apprennent, le 10 avril 2006, que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est l'un des investisseurs et a racheté 2,25% de la participation mise en vente. Tout aurait été décidé par le seul directeur général de la Caisse de l'époque, Francis Meyer, sans la moindre intervention extérieure.
Augustin de Romanet, alors secrétaire adjoint de l'Elysée, a expliqué lors de son audition, que l'Elysée «était focalisé sur une problématique industrielle et n'avait aucune implication dans ces questions d’évolution de l’actionnariat ». Même réponse de Thierry Breton qui, malgré un mémo en provenance du groupe Lagardère daté du 21 février 2006 et transitant par le cabinet du ministre dans lequel il indique que la CDC figure parmi les investisseurs, affirme qu'il a appris l'investissement de la caisse par la presse. « Je n'étais pas vraiment content», conclut-il dans son audition.