Aéroport de Toulouse : le deuxième mensonge de Macron

Emmanuel Macron assure que la disparition de l'oligarque chinois Mike Poon, soupçonné de corruption, est un non-événement. Mais en fait, le ministre ne dit pas la vérité : la privatisation n'est pas finalisée et pourrait être annulée.

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Dans le dossier de la privatisation de la gestion de l’Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB), le ministre de l’économie Emmanuel Macron ne déroge pas à la détestable habitude de prendre des libertés avec la vérité et de tromper l’opinion.

On connaît le premier mensonge : Emmanuel Macron avait d’abord assuré que la cession par l’État de 49,9 % du capital d’ATB à un oligarque chinois, Mike Poon, alias Ho Man Poon, ne constituait en rien une privatisation puisque la puissance publique, alliée à la Région, au département et à la ville de Toulouse, gardait plus de 50 %. Mais Mediapart avait révélé en décembre dernier que le ministre de l’économie avait masqué la vérité, car en réalité, l’État avait conclu secrètement un pacte d’actionnaires avec l’investisseur chinois lui accordant les pleins pouvoirs (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti). Et pour preuve, nous avions publié des extraits de ce pacte d’actionnaires.

Or, Mediapart dispose aujourd’hui d’un nouvel indice attestant qu’Emmanuel Macron, avec le soutien de Manuel Valls, s’applique de nouveau à cacher la vérité dans ce dossier sulfureux de la privatisation de l’aéroport de Toulouse.

Le 22 juin, on a appris que Mike Poon était visé en Chine par une enquête portant sur des faits de corruption et qu’il avait pris la fuite. Et depuis celui qui a remporté la privatisation voulue par Emmanuel Macron est introuvable.

Or, depuis cette date, le ministre de l’économie laisse entendre que cela n’a aucune importance et que la cession ne sera pas remise en cause. Il l’a dit notamment à La Tribune : « Pour moi, la disparition de Mike Poon est un non-événement. Cela ne change rien. Mike Poon est de toute façon un actionnaire minoritaire. Il n'y a pas lieu de créer une polémique. »

Laissons de côté le premier mensonge – « Mike Poon est de toute façon un actionnaire minoritaire » : la révélation par Mediapart d’extraits du pacte d’actionnaires a permis de comprendre ce qu’il fallait penser de cette contrevérité répétée. Et arrêtons-nous sur le second mensonge : « Pour moi, la disparition de Mike Poon est un non-événement. »

De prime abord, on pourrait certes penser que c'est sans grande importance. Paniqué à l’idée d’avoir à avouer qu’il a commis une grave faute politique en privatisant un aéroport français au profit d’un oligarque chinois dont les sociétés sont implantées dans une cascade de paradis fiscaux, aux îles Caïmans et aux îles Vierges britanniques, Emmanuel Macron a juste tenté de se rassurer en prétendant que tout cela n’était pas grave. Formule maladroite mais dont on devine l’arrière-pensée : espérons que ce maudit Mike Poon va au plus vite réapparaître ! Et d’ici là, essayons de faire bonne figure !

Et à l’occasion de la visite à Toulouse, jeudi, du premier ministre chinois, le premier ministre Manuel Valls a volé au secours du ministre de l’économie, prétendant que tout cela n’avait aucune importance. « La société [Friedmann Pacific dont M. Poon est le PDG] concernée n’a que des liens indirects avec le consortium chinois qui a acquis une partie du capital de l’aéroport », a dit Manuel Valls à La Dépêche du Midi. « Par conséquent, ceci n’affecte en rien le fonctionnement de Toulouse-Blagnac », a assuré encore le premier ministre. « L’État garde également les moyens de contrôle pour veiller à ce que les objectifs d’intérêt général soient respectés. »

Et pourtant, non ! En Chine, les oligarques soupçonnés de corruption réapparaissent rarement à leur place ancienne, comme s’il ne s’était rien passé. Et cela, Emmanuel Macron le sait pertinemment. Tout autant que Manuel Valls.

Mais les propos du premier ministre et du ministre de l’économie visent en fait à cacher un fait qui est passé totalement inaperçu : la privatisation de l’aéroport de Toulouse n’était pas encore finalisée quand Mike Poon a disparu. L’État aurait donc fort bien pu tirer avantage de cette fuite pour essayer d’œuvrer à l’annulation d’une privatisation aussi scabreuse.

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La preuve que la privatisation n’est peut-être pas encore finalisée, et que l’État n’a sans doute pas encore encaissé les 308 millions d’euros promis, voilà plusieurs jours que le Collectif contre la privatisation de l’aéroport de Toulouse cherche à l’obtenir, comme l’un de ses responsables l’a expliqué dans un billet de blog sur Mediapart : Sept questions (gênantes) à Monsieur Macron. Mais le ministre de l’économie n’est visiblement pas homme de dialogue. Il n’a jamais voulu consulter les populations de la région de Toulouse sur le projet de privatisation ; et le collectif, qui regroupe toutes les sensibilités politiques de la gauche toulousaine, comme la plupart des syndicats, et d’innombrables associations et notamment des associations de riverains, n’a jamais reçu de réponse à ses questions.

Mais il est aussi une élue de la Nation, qui a interpellé le ministre de l’économie. Deux jours après que l’on eut appris la disparition de Mike Poon, soit le 24 juin, la rapporteure générale du budget à l’Assemblée nationale, la socialiste Valérie Rabault, a, selon nos informations, pris sa plus belle plume pour dire son inquiétude à Emmanuel Macron.

Dans sa missive, qui a un peu circulé au sein de la commission des finances et dont Mediapart a fini par prendre connaissance, elle écrit qu’à sa connaissance, « le contrat final n’est pas signé ». Ce qu’Emmanuel Macron et Manuel Valls se sont appliqués à cacher tout au long de ces jours derniers.

Très critique à l’encontre de ce projet de privatisation, la rapporteure générale du budget pose donc les questions qui sont sur toutes les lèvres : la fuite de Mike Poon ne remet-elle pas en cause cette privatisation ? Et si le gouvernement ne remet pourtant pas en cause cette cession, quelles conséquences veut-il tirer de la fuite de Mike Poon ? En somme, la socialiste presse le ministre de l’économie de tenir enfin un discours de vérité, sans maquiller les faits. Et puis surtout, la dirigeante socialiste profite de la circonstance pour redemander à Emmanuel Macron de remettre au moins en cause l’option de vente complémentaire de 10,1 % du capital d’ATB consentie par l’État à Mike Poon.

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Questions logiques et légitimes. Mais, selon nos informations, Emmanuel Macron n’a pas plus jugé utile de répondre. Même quand il s’agit d’une députée socialiste, en charge de surcroît d’une responsabilité au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le ministre de l’économie ne daigne pas même justifier ou expliquer ses décisions. Peu importe que la Constitution donne la mission au Parlement de contrôler l’action du gouvernement.

C’est donc le dernier épisode d’une histoire stupéfiante. Dans le climat de corruption qui a soudainement submergé cette affaire d’ATB, le bon sens aurait voulu que la privatisation soit sur-le-champ suspendue. Si le gouvernement n’a pas dit la vérité, c’est sans doute qu’il a envie de s’obstiner.

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