Police: la clé d’étranglement disparaît, la « prise arrière » reste autorisée

La clé d’étranglement a été officiellement interdite le 30 juillet. Mais une pratique similaire, la « prise arrière », conseillée depuis juin 2020 , n’a pas fait l’objet, à ce jour, d’interdiction.

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À la suite du décès de Cédric Chouviat, lors de son interpellation le 3 janvier 2020, le ministre de l’intérieur de l’époque, Christophe Castaner, avait annoncé, le 8 juin 2020, la suppression de la clé d’étranglement (bras serrant le cou de la personne interpellée afin de la neutraliser), l’une des pratiques policières, avec le plaquage ventral, à l’origine de l’asphyxie du livreur. Plus d’un an après, cette interdiction a été officialisée par le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, auprès de l’ensemble des hauts responsables de la police, dans une note datée du 30 juillet, révélée par Le Monde et l’Agence France-Presse.

Ce courrier, que Mediapart publie, propose trois pratiques de remplacements, « l’amener au sol par pivot », déstabilisant la ligne d’épaules, « l’amener au sol par contrôle de demie ligne épaule […] destinée à contrôler la partie haute du buste », et enfin « la maîtrise par contrôle de la tête ». Ce dernier procédé permet « le contrôle de la ligne d’épaules en restreignant les capacités de mouvement », sans plus de détails.  

Note du Directeur général de la police nationale sur l'interdiction de la clé d'étranglement, datée du 30 juillet 2021.

Aucune précision n’est apportée non plus sur l’utilisation de la « prise arrière », une technique similaire à la clé d’étranglement, et dont le recours est pourtant conseillé, depuis le 12 juin 2020, par le directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN), Philippe Lutz.

Dans cette note de juin 2020 que nous publions, le directeur de la formation rappelle à toute la hiérarchie policière la « suppression de la pratique, comme de l’enseignement des techniques dites de “l’étranglement” » tout en en précisant la nature et, par là même, l’extrême dangerosité.

« Dans sa pratique, l’étranglement pouvait prendre deux formes, respiratoires et sanguines, écrit-il. Dans le premier cas, la pression exercée de manière prolongée sur la trachée réduisait voire supprimait la circulation de l’air vers les poumons. Dans le second cas, la compression simultanée des jugulaires empêchait la circulation du sang enrichi d’oxygène vers le cerveau. » 

Mais l’interdiction de l’étranglement, poursuit la note, « ne remet pas en cause d’autres techniques en vigueur, indispensables, dans les situations où la confrontation physique est inévitable avec les personnes qui refusent de se laisser maîtriser et dont on peut considérer qu’elles représentent une menace ».  

Parmi ces techniques, celle de la prise arrière « peut représenter des similitudes visuelles avec l’étranglement », poursuit Philippe Lutz. En effet, elle consiste à « apposer brièvement le méplat de l’avant-bras sur la trachée, sans pression, […] dans le seul but de faciliter le déséquilibre de la personne à maîtriser afin de l’amener au sol et finaliser le menottage ».

« Visuellement », il s’agit donc de la même gestuelle. La seule différence réside, selon le directeur de la formation des policiers, dans « l’absence de pression exercée sur la trachée et le temps d’exécution limité ». 

Note du Directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, Philippe Lutz, datée du 12 juin 2020.

Interrogée sur l’autorisation de cette pratique, la Direction générale de la police nationale (DGPN) n’a pas donné suite à nos questions. À ce jour, aucun texte stipulant son interdiction n’aurait été transmis. Une source du ministère de l’intérieur relève que « la note du 30 juillet, du directeur général de la police, Frédéric Veaux, laisse supposer que cette pratique est interdite sans que cela soit mentionné. Donc, le doute persiste tant qu’une note plus précise n’est pas faite dans ce sens. Mais cela ne devrait pas tarder ».

En attendant, le flou sur les pratiques autorisées règne. Plusieurs responsables de police ont fait part auprès de Mediapart de l’absence de consignes précises. « Tant qu’il n’est pas formellement interdit, le recours à la “prise arrière” est possible. Rien n’est clair », déplore un commandant de police. 

Ce gradé de la police dénonce par ailleurs le « cynisme » du courrier du 30 juillet dans lequel le DGPN précise que les policiers seront formés « à l’identification des signes d’une détresse respiratoire »

« Un comble, commente-t-il. Il faudrait surtout enseigner les bonnes pratiques qui évitent d’en arriver à l’asphyxie de la personne interpellée. » Selon ce commandant, plusieurs questions doivent être débattues : « Celle du temps de formation qui ne cesse de diminuer, voire même des ordres qui sont donnés, notamment d’interpeller systématiquement. Il y a de plus en plus de situations, comme le contrôle de Cédric Chouviat, où il n’était pas utile de procéder à une interpellation. Une convocation suffit. »

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Paris, le 21 septembre 2019. Arrestation d'un manifestant par la BRAV, la brigade de répression de l’action violente, lors de la marche pour le climat. © Photo Antonin Burat / Hans Lucas via AFP

Le décès de Cédric Chouviat conduit également à s’interroger sur la façon dont est pratiqué le « maintien au sol, qui est communément appelé dans les médias, le plaquage ventral. Il faudrait une remise à plat plus complète et surtout moins axée sur la communication comme l’ont été les réunions du Beauvau de la sécurité, peu constructives au final », conclut-il.  

Le « maintien au sol » ou plaquage au sol consiste à maintenir la personne au sol, sur le ventre. À cela, les policiers peuvent également ajouter des pressions exercées au niveau des chevilles. D’un point de vue réglementaire et théorique, la personne ne doit pas être maintenue dans cette position, si elle est menottée, mais immédiatement assise ou en mise en position latérale de sécurité.

Dans une note datée du 8 octobre 2008, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) rappelait que dans le cadre de l’immobilisation d’une personne, « la compression, tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés ».  

En pratique, ces prescriptions sont rarement suivies par les policiers qui, comme ce fut le cas pour Cédric Chouviat, l’ont maintenu plusieurs minutes sur le ventre, casqué et menotté, le visage collé au sol. 

Le père de Cédric Chouviat, Christian, avait demandé la suppression de cette pratique d’immobilisation dont son fils n’est pas la première victime. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, décède par asphyxie, menotté au sol et étouffé sous le poids de trois gendarmes, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).  Depuis 2007, au moins dix personnes auraient succombé des suites de ces pratiques. 

La dangerosité de cette pratique est régulièrement pointée du doigt sans que cela n’ait pu, jusqu’à présent, réussir à convaincre l’État de l’interdire. Dès 2007, la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France à la suite du décès de Mohamed Saoud, menotté, dont le « maintien au sol pendant trente-cinq minutes a été identifié par les experts médicaux comme étant la cause directe de son décès par asphyxie lente ».  Selon la Cour, la France a violé l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme.

En 2011, l’ONG Amnesty International alerte, à son tour, et rappelle, dans un rapport, que « toute pression exercée dans le dos de la personne qui se trouve dans cette position (comme celle que peut exercer un agent de la force publique, notamment lorsqu’il essaie d’empêcher quelqu’un de bouger) accroît encore la difficulté à respirer ». 

La personne alors en manque d’oxygène se débat, et « face à cette agitation, un agent de la force publique aura tendance à exercer une pression ou une compression supplémentaire afin de maîtriser la personne, compromettant davantage encore ses possibilités de respirer ».

Les nouvelles pratiques enseignées pour remplacer la clé d’étranglement nécessiteront également un temps de formation. Passée d’un an à huit mois en juin 2020, cette formation devrait repasser à un an, comme nous l’avons expliqué à l’occasion du Beauvau de la sécurité (à lire ici).

Sur les quatre policiers qui ont interpellé Cédric Chouviat, deux étaient encore stagiaires. Les deux autres n’avaient pas eu de stage d’alternance lors de leur formation ainsi que le déplorent, en avril 2016, les commissions de leur promotion respective d’élèves de gardien de la paix.  

Concernant le chef d’équipe, Michaël P., la commission déplore que « l’absence de stage d’alternance est préjudiciable aux élèves. Cette phase de formation leur permet de se confronter aux missions de voie publique et d’adopter des comportements adéquats. Par ailleurs, c’est aussi un excellent révélateur des attitudes professionnelles peu observable en école ». 

Même constat pour la promotion de sa collègue, Laura J.. Au regard de la diminution des heures de formation et de l’absence de stage d’alternance, la commission explique avoir rencontré des difficultés pour rendre « une appréciation fine de leurs capacités et de se prononcer sur leur aptitude réelle à être gardien de la paix ». Malgré ces remarques, tous deux ont pu intégrer la police. 

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