Le parquet national financier (PNF) vient de requérir le renvoi des époux Fillon en correctionnelle pour « détournement de fonds publics », « abus de biens sociaux », « escroquerie aggravée » et complicité de ces délits, a annoncé Le Monde ce vendredi - une information confirmée à Mediapart par une source proche du dossier. Comme l’avait révélé le Canard enchaîné en janvier 2017, Penelope Fillon avait été embauchée par son époux, le député François Fillon, puis par son suppléant Marc Joulaud qui lui succéda à l’Assemblée, en tant que collaboratrice.
Pour le PNF, cet emploi a revêtu un caractère fictif. Selon un extrait du réquisitoire cité par Le Monde, « Penelope Fillon a bénéficié de deux contrats d’assistante parlementaire auprès de François Fillon, d’abord entre 1998 et 2002, puis entre 2012 et 2013, entrecoupés d’un contrat de collaboratrice parlementaire auprès de Marc Joulaud de 2002 à 2007, dont l’objet était d’“assister le député dans l’exercice de ses fonctions”… »
Or, observe le parquet national financier, « à l’issue de l’information, aucun élément tangible ne permet de confirmer la réalité de l’activité de Penelope Fillon auprès de François Fillon et de Marc Joulaud ».
Le PNF précise : « Aucune trace écrite, aucun témoignage objectif et concordant n’a pu être mis au jour alors qu’une activité professionnelle réelle, étalée sur plus de dix années, est nécessairement matérialisée par des traces concrètes. Les contrats de travail apparaissent purement formels et à tel point dévitalisés que leur exécution n’a été ponctuée ni de congés annuels, ni de congés maternité, ni d’arrêts maladie alors même que Penelope Fillon bénéficiait d’indemnités de licenciement, d’une indemnité de précarité et sa majoration, d’une indemnité de congés payés et même d’une prime d’ancienneté. »

Pour ce qui est du rôle joué par François Fillon lui-même, le réquisitoire note que « la circonstance d’avoir imposé à Marc Joulaud l’embauche de son épouse dont il ne pouvait ignorer l’inconsistance de l’activité, en le laissant dans l’ignorance de sa revalorisation salariale substantielle, relève l’intentionnalité d’une complicité par instigation et un recel de détournement de fonds publics ».
Le parquet national financier rapporte en effet que Mme Fillon bénéficiait de « la rémunération la plus élevée des assistants parlementaires travaillant pour Marc Joulaud, avec un doublement de son salaire lors de la suppléance exercée par celui-ci à partir de 2002 alors qu’elle ne s’acquittait plus d’une partie des missions qu’elle argue avoir remplies auprès de François Fillon et que son salaire était supérieur à celui de son député employeur ».
Par ailleurs, concernant les salaires versés à Penelope Fillon par le financier Marc Ladreit de Lacharrière, entre mai 2012 et décembre 2013, en contrepartie d’un emploi à La Revue des Deux Mondes, le PNF est tout aussi catégorique : « En dépit de la bonne foi affirmée par l’intéressé dans son intention d’octroyer initialement un véritable travail à Penelope Fillon, plusieurs éléments laissent présumer que cet emploi a été accordé par amitié ou complaisance pour François Fillon », écrit Le Monde.
Le parquet national financier est convaincu que le couple Fillon a eu conscience que « dès sa signature, le contrat de travail [de Mme Fillon] ne recevrait aucune contrepartie substantielle en adéquation avec la rémunération perçue, élément intentionnel du délit de complicité par aide ou assistance pour l’une et par instigation pour l’autre ».
Les investigations qui visaient l’ancien premier ministre et son épouse ont été déclarées closes par les juges d’instruction le 19 octobre dernier. Pour échapper à un procès public, le financier Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire de La Revue des deux mondes, a sollicité récemment une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), et vient d’accepter la sanction qui lui a été proposée.
Lors d’une audience d’homologation conduite par le président du tribunal de grande instance de Paris, en décembre dernier, Jean-Michel Hayat, le financier a accepté sa condamnation pour « abus de biens sociaux » à une peine de huit mois de prison avec sursis (sur cinq ans encourus), et une amende de 375 000 euros (le maximum encouru), sans inscription au casier judiciaire (B2). Ce qui lui évite un procès plus long, et potentiellement plus risqué.
Marc Ladreit de Lacharrière a admis avoir rémunéré Penelope Fillon à la demande de son mari, en tant que conseiller littéraire, pour un montant total de 135 000 euros pour les années 2012 et 2013. Une rémunération qui ferait rêver tous les collaborateurs de La Revue des deux mondes. L’enquête n’a permis de retrouver que quelques notes de lecture rédigées par Penelope Fillon, dont les émoluments ont finalement été considérés comme surévalués en 2012, et injustifiés en 2013.
Selon Michel Crépu, qui dirigeait à l’époque la revue littéraire, l’épouse de François Fillon « a bien signé deux ou peut-être trois notes de lecture », mais « à aucun moment […] [il] n’[a] eu la moindre trace de ce qui pourrait ressembler à un travail de conseiller littéraire ».
C’est maintenant au juge d’instruction Serge Tournaire qu’il revient de statuer sur le sort de François Fillon et de son épouse. L’ancien premier ministre et candidat à l’élection présidentielle est mis en examen depuis le 14 mars 2017 pour « détournements de fonds publics, complicité et recel de détournements de fonds publics, complicité et recel d’abus de biens sociaux, et manquement aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». L’enquête judiciaire avait été lancée peu après les révélations du Canard enchaîné.
Penelope Fillon est pour sa part mise en examen depuis le 28 mars 2017 pour « complicité et recel de détournements de fonds publics, complicité et recel d’abus de biens sociaux, et recel d’escroquerie aggravée ». Les premiers salaires d’assistante parlementaire de Penelope Fillon, vraisemblablement prescrits, avaient en fait été versés dès l’année 1982, comme l’avait révélé Mediapart.
Questionnée par les enquêteurs sur l’emploi qu’elle occupait auprès de son mari, Penelope Fillon avait affirmé qu’elle s’occupait du « courrier arrivant à [leur] domicile », des « demandes d’administrés, problèmes personnels de gens en difficulté, sollicitations diverses ». Elle aurait également rédigé des « fiches et des mémos » pour son époux, concernant des manifestations locales.