Présidentielle: Macron prêt à déclarer sa candidature

Selon des informations de Mediapart, Emmanuel Macron s'apprête à déclarer sa candidature à l'élection présidentielle de 2017. Cela pourrait intervenir vers le 10 juin. François Hollande serait dans la confidence, mais ne s'inquiéterait pas de cette annonce qui risque de constituer pour lui un coup de grâce. Manuel Valls ne parvient plus à masquer sa colère, même en public.

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Depuis qu’il a créé son propre mouvement politique baptisé « En marche! », Emmanuel Macron ne fait plus mystère de ses ambitions politiques. Mais il n’a pas encore clairement annoncé ce qu’il entendait faire. Selon nos informations, son plan de route est maintenant calé : il s’apprête à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Il pourrait franchir le pas aux alentours du 10 juin. Reste une inconnue : même si, d’après nos sources, François Hollande est dans la confidence et pense que cela peut lui servir, il n’est pas certain que son ancien conseiller, promu par lui ministre de l’économie, joue totalement franc jeu.

À tous ses proches qui l’interrogeaient ces dernières semaines sur ses intentions, Emmanuel Macron ne cessait de répéter qu’il se déclarerait d’ici l’été. Mais le ministre de l’économie a visiblement décidé de presser le pas. Il a d’abord annoncé, le 6 avril à Amiens, la création de son propre mouvement politique, « En marche! ». Il l’a d’ailleurs fait à sa manière, empreinte parfois de beaucoup de maladresses. En surfant sur le tout nouveau site Internet de ce mouvement, Mediapart avait ainsi pu révéler qu’il avait pour domicile la résidence privée du directeur de l’Institut Montaigne, l’une des grandes chapelles du patronat, proche de l’assureur Axa (lire Le patronat héberge discrètement Emmanuel Macron).

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La couverture du numéro 3491 de Paris Match
Dans la foulée, le ministre de l’économie a commencé à faire campagne. À sa manière : en s’affichant avec son épouse dans Paris Match, le magazine du groupe Lagardère toujours à l’affût pour rendre service aux puissants, ou encore en répondant dimanche dernier à l’invitation du maire (Les Républicains) d’Orléans pour commémorer la libération de la ville, le 8 mai 1429 par Jeanne d’Arc, célébrée ces dernières années seulement par les Le Pen, père et fille (lire Au secours, Jeanne d’Arc revient!).

Emmanuel Macron a décidé de faire un pas de plus et d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Il a même arrêté une date : ce pourrait être le 10 juin prochain.

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Emmanuel Macron, le 8 mai, à Orléans pour célébrer Jeanne d'Arc.

Le cavalier seul que commence Emmanuel Macron soulève toutefois de nombreuses questions, aussi bien dans son propre camp que dans les milieux de droite ou de la finance. Car, selon nos sources, François Hollande est dans la confidence du projet du ministre de l’économie. C’est Jean-Pierre Jouyet, l’ancien secrétaire d’État sarkozyste devenu secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de François Hollande, qui suit pas à pas son protégé qui, comme lui, a d’innombrables liens avec les milieux de la haute finance. Le bras droit du chef de l’État est ainsi de longue date dans le secret de ces préparatifs.

Malgré le climat politique crépusculaire dans lequel baigne la fin de son quinquennat, François Hollande serait très au fait de ce que prépare le ministre de l’économie et penserait qu’il pourrait en tirer ultérieurement avantage. Le subterfuge convenu entre les deux serait qu’Emmanuel Macron mènerait la campagne qu’il souhaite, sur un registre qu’affectionne aussi le Medef, celui du « ni gauche, ni droite », et qu’il annoncerait à l’horizon de février 2017 qu’il pourrait, s’il était éliminé au premier tour, se rallier à François Hollande, si ce dernier accédait au second.

Le pari de François Hollande est hautement périlleux, pour plusieurs raisons. D’abord, dans la conjoncture présente, le problème auquel il risque d’être confronté est moins de trouver des subterfuges pour obtenir des ralliements dans l’hypothèse d’un second tour que d'être éliminé dès le premier tour. Or, face à la colère grandissante des électeurs de gauche, l’hypothèse d’une candidature d’Emmanuel Macron risque de ruiner encore un peu plus ses chances, en le privant d’un petit matelas d’électeurs centristes ou de droite. La candidature Macron, même si elle avait peu d’écho, pourrait bien dynamiter la sienne.

La candidature d’Emmanuel Macron est-elle un stratagème élyséen, même s’il est passablement fumeux ? Ou bien le ministre de l’économie, tout en ayant donné des gages secrets à François Hollande, ne roule-t-il que pour lui-même et ses amis, ceux de l’oligarchie financière ? Il est difficile de le savoir. Car nous avons recueilli plusieurs témoignages concordants, attestant que le ministre de l’économie dit, dans ses rencontres privées avec les milieux d’affaires, pis que pendre de François Hollande et assure qu’il ne fera plus jamais équipe avec lui. Et c’est la raison pour laquelle, dans les milieux financiers, il a reçu de solides appuis ; celui par exemple d’Henri de Castries, le patron d’Axa.

Est-ce de l’habileté de la part d’Emmanuel Macron, pour mieux ramener ultérieurement des voix à son mentor ? Ou est-il en train de le trahir ? Même ceux qui connaissent Emmanuel Macron ont du mal à répondre à la question : ils savent que le ministre de l’économie a peu de sens politique et est capable de bourdes grossières mais ils font remarquer que, sous ses airs d'enfant de chœur, il est souvent capable d’une grande duplicité. C'est aussi ce que disent ceux qui l'ont approché lorsqu'il était associé-gérant de la banque Rothschild.

À François Hollande, il dit donc qu’il œuvre pour lui, et va chercher à capter un électorat, dont il pourrait avoir besoin lors d’un très hypothétique second tour ; aux grands patrons, il promet qu’il sera leur candidat : le porte-étendard du CAC 40 et des milieux d’affaires.

Dans l’immédiat, les ambitions de plus en plus visibles d’Emmanuel Macron ne font de l’ombre qu’à Manuel Valls, qui a longtemps voulu se donner l’image de la transgression, en conduisant une politique économique encore plus néolibérale que Nicolas Sarkozy et une politique sécuritaire également plus néoconservatrice. Mais voici qu’Emmanuel Macron lui chipe la vedette et est devenu le chouchou des milieux d’affaires. Pour le coup, le premier ministre en a pris ombrage, et cela devient de plus en plus visible. Cela a même donné lieu à une escarmouche publique, entre les deux hommes, mardi 10 mai, à l’Assemblée nationale, lors des questions d’actualité au gouvernement.

Collecte de fonds

À l’origine, il y a eu la question posée par le député (Les Républicains) Georges Fenech au sujet du voyage effectué par Emmanuel Macron, le 14 avril, à Londres. Officiellement, le ministre a fait le voyage pour apporter le soutien de la France à tous ceux, dont le premier ministre David Cameron, qui sont opposés au Brexit. Mais la rumeur a vite circulé qu’Emmanuel Macron avait aussi profité de son voyage pour déjeuner avec une vingtaine de patrons de start-up, afin de les enrôler dans son tout nouveau mouvement « En Marche! » et de procéder auprès d’eux à une levée d’argent pour financer ses projets politiques. Dans un écho, le magazine Paris Match, qui est dans les petits papiers du ministre, a même avancé un chiffre : 12 millions d’euros.

L’évaluation est évidemment fantaisiste, car les dons à un parti politique sont, de par la loi, limités à 7 500 euros par an et par personne. Selon le plafond que l’on retient, cela voudrait donc dire que pour collecter 12 millions d’euros, le nombre des donateurs aurait été de… 1 600 ! Sans grande surprise, l’entourage du ministre a démenti l’information. Ou plus précisément, il a démenti le montant de la levée de fonds, mais pas la levée de fonds elle-même. Et c’est ce qui a motivé la question du député Georges Fenech, que l’on peut visionner ci-dessous :

 

Le député Georges Fenech évoque ce voyage d’Emmanuel Macron à Londres et demande s’il est exact qu’il a donné lieu à une levée de fonds de 12 millions d’euros. Parlant de « confusion des genres »  et de « conflit d’intérêts », il s’indigne des activités d’Emmanuel Macron, en estimant qu’il s’agit d’un « abus de fonction ministérielle ». Or, pendant que le député parle, l’accrochage entre Manuel Valls et Emmanuel Macron commence. D’abord, le ministre de l’économie dit au premier ministre qu’il tient à répondre en personne à la question, mais il a beau insister à de nombreuses reprises, Manuel Valls ne veut rien entendre, et tranche : « Je le fais ! Je le fais. »

Le premier ministre prend le micro et fait une réponse « langue de bois ». Sans même évoquer Emmanuel Macron, il assure qu’il n’y a eu « aucune levée de fonds particulière pour je ne sais quelle association ». Et dans la foulée, avec l’envie irrépressible d’en découdre non avec la droite mais avec le ministre de l’économie, il ne peut s’empêcher d’ajouter : « Je souhaite que les ministres du gouvernement soient pleinement engagés dans leurs tâches. »

La scène burlesque n’est pas finie. À peine Manuel Valls s’est-il rassis au banc du gouvernement qu'à distance, il prend à partie Emmanuel Macron, sous l’œil médusé du ministre des finances, Michel Sapin, et de la ministre du travail, Myriam El Khomri, qui sont assis entre les deux protagonistes de la dispute.

 

Emporté par sa colère, Manuel Valls multiplie les critiques contre Emmanuel Macron et, selon le journal L’Opinion qui a décrypté les échanges, lui reproche aussi son entretien du lundi 9 mai au journal Sud-Ouest au cours duquel il a mis en cause la « caste politique », tout en disant « ne pas en faire partie » lui-même :

« C’est inacceptable, pourquoi tu dis cela, proteste Manuel Valls.
— Je suis d’accord avec toi. C’est Juppé que je visais, se défend Emmanuel Macron.
— Mais alors, dis-le ! Dis-le… », s’emporte Manuel Valls.

Quoi qu’il en soit, François Hollande n’aura à s’en prendre qu’à lui-même : en conduisant une politique économique exactement conforme aux desiderata des milieux d’affaires ; et en installant un de leurs représentants, Emmanuel Macron, au cœur du pouvoir, il a organisé le naufrage de son propre quinquennat. Sur fond d'ambitions personnelles et de jeu de billard à plusieurs bandes, c’est à ce spectacle, tantôt grotesque, tantôt révoltant, que le pays est convié à assister.

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Interrogé par l’agence Reuters, l’entourage d’Emmanuel Macron a indiqué, à la suite de la mise en ligne de cette enquête, qu’il démentait « toutes les informations de l'article » de Mediapart, sans plus de précisions.

De leur côté, plusieurs médias ont apporté des informations qui complètent les nôtres. Sur son site internet, BFM-TV a ainsi publié le fac-similé d’un mail envoyé par un membre de la garde rapprochée d'Emmanuel Macron, invitant à deux soirées de levée de fonds en présence du ministre de l’économie. « Nous avons un besoin très concret de financements. Pour vous donner un ordre de grandeur, il faut 18 millions d’euros pour financer une campagne présidentielle en France. » De son côté, Le Point donne le verbatim de quelques échanges entre Emmanuel Macron et ses invités lors de la réunion du 14 avril à Londres. L’un des invités a ainsi demandé au ministre de l’économie de « lever l'ambiguïté sur [ses] ambitions », et s'il avait l'intention d'« aller au bout » en se présentant à une présidentielle, ponctuant son propos de cet avertissement : « On veut bien vous financer, mais c'est pas pour aller faire la campagne de Hollande ensuite. » Réponse d’Emmanuel Macron : « À droite comme à gauche, les partis créent des candidats qui ne sont que la synthèse de gens qui pensent différemment entre eux. Moi, si j'ai lancé En marche !, c'est pour y aller, et y aller maintenant. »

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