Acte 22: à Toulouse, la répression policière monte d’un cran

Un appel à converger massivement sur Toulouse avait été lancé pour cet acte XXII des « gilets jaunes ». Mais les manifestants se sont heurtés toute la journée à des forces de l’ordre massivement déployées dans tout le centre-ville. Nassages, gazages, interpellations : ce premier épisode après l’adoption de la loi anti-casseurs a donné lieu à une véritable débauche répressive.

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Toulouse, correspondance.-  La foule n’était pas haineuse aujourd’hui à Toulouse, mais il sera bien difficile, encore plus que d’habitude, de mesurer jusqu’à quel point elle était nombreuse. Anticipant la venue de manifestants de la France entière qui répondait à un appel à converger vers la capitale occitane lancé depuis plusieurs semaines et largement relayé, la préfecture a activé son « centre opérationnel » dès 11 h 30.

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Lors de l'acte XXII à Toulouse. © MR

Plus de 800 gendarmes et policiers avaient été mobilisés, soit facilement 200 de plus que d’habitude. Et cela s’est vu, et senti, durant toute la journée. Les premiers tirs de gaz lacrymogène ont eu lieu entre 12 heures et 12 h 30. Très vite, les premiers manifestants, qui étaient arrivés aux alentours de 11 heures sur la place Jean Jaurès, lieu de départ traditionnel chaque samedi, se sont retrouvés nassés sur les allées voisines en chantier depuis des mois. Pendant une heure, les tirs de lacrymogène se sont succédé à intervalle régulier, provoquant des mouvements de foule à travers les blocs de béton et les tas de sable du chantier. Une caravane de chantier a été incendiée.

Plusieurs face-à-face tendus ont eu lieu entre les gilets jaunes, écœurés par cette débauche répressive, et des policiers traités de « SS », de « collabos », interpellés sur leur fidélité au pouvoir ou leur conscience de père de famille. « Si t’es fier d’être un bacqueux, tape ton collègue ! » : la rengaine a été entonnée dans l’après-midi. Très sollicité, les street medics ont dû, très tôt et à plusieurs reprises, intervenir pour aider des personnes en détresse respiratoire. À 13 heures, moment où généralement les gilets jaunes et les manifestants commencent à arriver dans le centre et avalent un café avant de se préparer au départ, on courait déjà dans tous les sens depuis plus d’une heure au cœur de Toulouse, dont l’hypercentre était verrouillé par des forces de police et de gendarmerie, qui en bloquaient tous les accès.

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Lors de l'acte XXII à Toulouse. © MR

La stratégie policière de nassage et de l’éparpillement a fonctionné. Durant toute l’après-midi, au moins trois groupes, peut-être quatre, réunissant entre 1 000 et 2 000 personnes chacun, se sont déplacés dans la ville sans jamais parvenir à former un cortège unitaire. Priscilla Ludowski et Maxime Nicolle, figures du mouvement des gilets jaunes, étaient venus aujourd’hui à Toulouse pour se joindre à la manifestation.

D’autres petits groupes ont été eux aussi éparpillés au gré de la journée. Des organisations syndicales et politiques (CGT, NPA, LFI, etc.) avaient appelé à une manifestation, comme tous les samedis. La jonction a pu se faire un peu avant 14 heures sur les boulevards. Mais la pression policière s’est maintenue en permanence, avec notamment un recours massif aux grenades lacrymogène assourdissantes et à effet de souffle GLI-F4. Beaucoup de ces armes ont été utilisées dans le dédale des rues entre la place Arnaud Bernard et le quartier Saint-Sernin par lesquelles les manifestants ont tenté, sans succès, de rallier le centre.

Il est environ 14 h 30, une sono diffuse un morceau de Tagada Jones devant Decathlon, sur le boulevard de Strasbourg, et une partie des manifestants s’embarquent en direction du canal du Midi. Beaucoup, venus de loin et parfois pour la première fois à Toulouse, ne savent pas où ils se trouvent. Comme Justine et ses amis, trentenaires, venus de Nantes pour répondre à l'appel national. « À Nantes, c’est super compliqué de manifester, la répression est très forte depuis le début ; ils ont mis des copains en garde à vue juste parce qu’ils préparaient des banderoles en plein air… Il y a la BAC dans toutes les manifs. Mais on essaie quand même de faire ce qu’on peut. » Non loin d’elle, X., quinquagénaire bien tassé, coiffé d’un petit chapeau de paille et « venu de la Durance », s’essouffle un peu : « Ils marchent vite, les salauds ! »

Dans notre dos, une dizaine de policiers en civil pressent les quelque 300 personnes qui tentent de remonter la rue Bayard vers la place Jeanne d’Arc. Il est presque 15 heures. Un tir de gaz lacrymogène et de GLI-F4 provoque un mouvement désordonné, un homme tombe, semblant inanimé, sur le trottoir. Une femme, non manifestante, sort d’une boutique en panique et cherche sa fille de huit ans dans les nuages de lacrymogène. À peu près à ce moment-là, une charge extrêmement violente, avec plaquage, coups de matraques et coups de pieds dans des individus au sol se déroule sur le trottoir d’en face.

L’hélicoptère de la gendarmerie est dans le ciel. Au moins trois motos de « voltigeurs » tournent dans la ville. Dans les bouts de cortèges épars, il se trouve aussi des guitares, des flûtes et des tambourins pour accompagner les refrains les plus populaires du mouvement : « Emmanuel Macron, tête de con, on vient te chercher chez toi », « Tout le monde déteste la police » ou « On est là, pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, nous on est là… », etc. 

Moins d’une heure plus tard, sur les boulevards, une autre charge du même type a lieu : lacrymos, courses matraques en main, GLI-F4, avec, à la clef, la saisie d’une banderole, ce qui semble être l’un des objectifs de la BAC toulousaine depuis déjà plusieurs semaines. L’usage des LBD, cependant, semble avoir été moins fréquent.

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Dans les rues de Toulouse lors de l'acte XXII. © MR

Il est presque 16 h 30 et Patrick, 53 ans, Toulousain travaillant « dans un foyer d’urgence pour 700 euros par mois », fait une petite pause, assis sur une barrière, son masque à gaz autour du cou. Il a assisté à toutes les manifs depuis le début en décembre. « Aujourd’hui, ils n’ont pas voulu qu’il y ait un gros cortège, constate-t-il. Quand tu ne veux pas donner de réponse sociale et politique, tu réprimes. C’est ce qu’ils font, toujours plus fort. Je trouve qu’on est en train de glisser tout doucement vers un régime autoritaire. Est-ce que ce mouvement est révolutionnaire ? J’en sais rien mais ce moment, je l’ai rêvé depuis longtemps… Mais là, il faudrait que, sans abandonner les samedis, on trouve d’autres formes de mobilisations. Au début, on était très soutenus, mais avec le blocage du centre-ville, la répression, tout ça, les gens deviennent un peu fatigués… »

Au loin, ça crie, ça gaze, ça explose. Il y repart, d’un pas tranquille, ajustant son masque à gaz. Dans son bilan provisoire de 17 h 45, la préfecture faisait état de « deux blessés en urgence relative » et de 23 interpellations, dont plusieurs pour « dissimulation volontaire de visage ». Et elle précisait : « Des échauffourées sont toujours en cours. » Mercredi, l’Observatoire toulousain des pratiques policières rendra son bilan de deux ans d’observations dans les cortèges toulousains. Il est très attendu.

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