2022 : les gauches anticipent leur défaite

Anticipant un nouvel échec à la présidentielle, les formations classées à gauche misent leur survie sur les législatives. Ce scrutin pèsera sur leur recomposition. Mais il pourrait aussi influencer le cours de la campagne actuelle.

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C'est un signe de la bataille en cours. Une motion adoptée au dernier conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) a beaucoup été commentée dans l’écosystème des gauches. Elle porte sur les élections législatives de 2022. Les écologistes y plaident pour « engager des discussions sur l’ensemble des 577 circonscriptions en vue d’un accord national » avec les autres forces de la gauche écologique.

Mais un peu plus loin, parmi les trois « objectifs » que cet accord doit remplir, figure celui-ci : « Le soutien à la candidature écologiste à l’élection présidentielle », c’est-à-dire à celle de Yannick Jadot.

Sans surprise, cet « objectif » fait tressaillir les soutiens de la socialiste Anne Hidalgo, habitués à être celles et ceux qui fixent les conditions de toute alliance avec leurs partenaires de gauche. Ainsi en est-il de l'ancien premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis. « C’est suicidaire !, tempête-t-il, interrogé par Mediapart. Il faudrait que Roussel, Mélenchon et Hidalgo renoncent à la présidentielle. Les écologistes interdisent donc la possibilité d’un accord. Or, si vous avez cinq candidats de gauche par circonscription aux législatives, il n’y aura aucun élu de gauche à la fin. »

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A l'Assemblée nationale. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Si la plupart des responsables politiques rechignent à les évoquer publiquement, les élections législatives de juin 2022 sont, depuis des mois, dans toutes les têtes. « En vérité, si ce n’est pas la guerre nucléaire entre les différents candidats de gauche, c’est que tout le monde veut être député et qu’on aura tous besoin les uns des autres », confiait, lors de la dernière Fête de l’Humanité, un élu sous couvert de l’anonymat.

Par ailleurs, au vu du paysage politique actuel, les doutes sur la possibilité d’accéder à l’Elysée l’an prochain sont réels. « Certains [responsables politiques – ndlr] nous ont dit que ça se jouerait en 2027, et qu’ils avaient plus intérêt à doubler ou tripler leur nombre de députés parce que ça détermine le financement des partis », affirmait récemment Samuel Grzybowski, l’un des porte-paroles de la primaire populaire, sur France Inter.

Dans la crainte d’une nouvelle défaite, et plutôt que de passer complètement leur tour, les gauches misent donc aussi, et peut-être avant tout, sur leur représentation à l’Assemblée nationale. 

D'autant plus que le scrutin législatif, très rémunérateur pour les partis – chaque voix rapporte 1,40 euro d’argent public –, est d’importance : il définira le rapport de force entre le pouvoir et l’opposition en 2022, mais aussi au sein même de la gauche.

Les discussions entre les formations sur un potentiel accord de législature pour 2022 ont également une fonction plus immédiate : peser sur la tournure que prendra la présidentielle à gauche. À commencer par le nombre de candidats qui s’y lanceront pour de bon.

Un levier que les Verts ont donc décidé d’utiliser, en liant explicitement la présidentielle aux législatives. « S’il y a des convergences entre nous [le parti écologiste et le reste de la gauche – ndlr], et je pense qu’elles sont fortes, alors il faut explorer le fait de n’avoir qu’une seule candidature, avec une coalition de gouvernement qui pourrait se traduire aux législatives, détaille le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou. S’il n’y a pas d’accord, on se quittera bons amis, et on peut revoir la situation après la présidentielle. Mais on préférerait un accord de soutien, tout en étant prêts à faire beaucoup d’efforts. »

Une façon de dire que si la maire de Paris, Anne Hidalgo, acceptait de soutenir la candidature de Yannick Jadot, le PS pourrait ne pas trouver de candidatures écologistes concurrentes sur bon nombre de circonscriptions… Mais aussi que le temps où les écolos se rangeaient derrière les socialistes à la présidentielle en échange de sièges assurés à l’Assemblée nationale a fait long feu.

Les Verts gardent d’ailleurs un souvenir cuisant des législatives de 2017 : malgré l’accord conclu cette année-là avec le PS, les députés écologistes – dix-sept sous le quinquennat de François Hollande – avaient purement et simplement disparu du Palais-Bourbon.

Des discussions entre « partenaires »

Ces derniers temps, comme une preuve que tout le monde commence à s’organiser pour « le jour d’après », l’expression « coalition » a (re)fait son apparition dans le vocabulaire du socialiste Olivier Faure. Quant au communiste Fabien Roussel, il a beau demeurer inflexible sur sa participation en solo à la présidentielle, il change radicalement de ton dès lors que la question des accords aux législatives surgit.

« Nous croyons possible de bâtir une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale avec le plus possible de députés de gauche et écologistes », affirme le secrétaire national du Parti communiste (PCF), lequel a rencontré en bilatérale les responsables aux élections du PS, de La France insoumise (LFI) et d’EELV, et a appelé, mi-septembre, à un « pacte d’engagement commun aux législatives » de toute la gauche, sans partenaire privilégié.

En 2017, le PCF l’avait échappé belle. Dans un contexte de tensions extrêmes entre LFI et les communistes, aucun accord n’avait pu être conclu entre les deux formations, qui soutenaient pourtant le même candidat – Jean-Luc Mélenchon. Et le salut des députés communistes s’était joué à un cheveu.

« Si le PCF a obtenu de justesse un groupe à l’Assemblée, c’est parce que leurs députés sortants se sont trouvés sans candidats LFI face à eux, rappelle l’historien du communisme Roger Martelli. À l’inverse, à chaque fois qu’il y a eu un duel LFI/PCF, le candidat LFI l’a emporté, à l’exception d’Elsa Faucillon à Gennevilliers et de Jean-Paul Lecoq en Seine-Maritime. En tout état de cause, si le PCF veut retrouver la martingale de 2017, il devra bénéficier de conditions favorables du côté de ses partenaires de gauche. »

On ne peut pas imaginer un accord déconnecté du résultat de la présidentielle, ce serait un aveu de défaite terrible.

Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon

De son côté, La France insoumise, qui n’a pas abandonné l’espoir que le PCF se rallie à la candidature de Jean-Luc Mélenchon en 2022, pourrait, là aussi, faire jouer le levier des législatives avec son ancien partenaire. D’autant que faute d’avoir réussi à transformer sa performance nationale en ancrage local aux élections intermédiaires, les Insoumis se retrouvent en position périlleuse quant au maintien de leur groupe parlementaire. Et n’excluent pas d’aboutir in fine à un accord national avec d’autres forces de gauche.

Mais pour l’heure, pas question de précipiter les choses. « Pour l’instant, on ne peut pas imaginer un accord déconnecté du résultat de la présidentielle, ce serait un aveu de défaite terrible, ça voudrait dire qu’on laisse tomber 2022 », avance Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, pour qui parler d’un accord national sans connaître le rapport des forces au soir du second tour de la présidentielle serait un non-sens politique.

Toutefois, il n’est pas sûr que l’élan de la présidentielle soit suffisant pour faire cavalier seul aux législatives, y compris pour le parti qui arrivera en tête à gauche. En 2017, rappelle Roger Martelli, l’écart entre le vote Mélenchon au premier tour de la présidentielle et le vote LFI aux législatives était de 8 points de pourcentage. D’où le paradoxe actuel : en l’absence d’hégémonie claire et nette d’une des formations, chacune mène en parallèle une course de fond solitaire pour la présidentielle, tout en faisant la part belle à l’esprit d’équipe pour les législatives.  

« L’instabilité des performances des uns et des autres aux dernières élections [européennes, municipales, départementales – ndlr] fait qu’ils ne négocient pas pour l’instant. Il n’y a que le score à la présidentielle qui fixera le capital politique de chacun », résume le politiste Frédéric Sawicki. Sachant qu’en cas de résultats décevants le 24 avril, c’est une double défaite qui pourrait attendre la gauche.

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