Au nom de l’union, Christiane Taubira ajoute sa candidature à gauche

L’ancienne ministre de la justice est désormais officiellement candidate à la présidentielle. À Lyon, elle a dévoilé plusieurs propositions programmatiques, et annoncé s’inscrire dans le processus de la Primaire populaire, dont elle espère sortir gagnante à la fin du mois.

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C’était une annonce attendue, à laquelle Christiane Taubira et ses équipes avaient préparé les esprits dès avant Noël. Samedi 15 janvier, en fin de matinée, l’ex-garde des Sceaux de François Hollande a officialisé sa candidature à l’élection présidentielle, en se soumettant à la procédure prévue par la Primaire populaire.  

Cette initiative avait été lancée il y a un an dans l’espoir d’aboutir à une candidature unique de la gauche. Si le pari a été raté, la démarche se conclura tout de même par un vote d’investiture en ligne, organisé entre le 27 et le 30 janvier. Le mode de scrutin choisi, original, a été le jugement majoritaire.

Cela signifie que les personnes inscrites avant le 23 janvier seront appelées à attribuer des mentions aux sept noms en lice (de « très bien » à « insuffisant ») – la ou le candidat désigné étant celui ou celle qui aura recueilli la meilleure évaluation globale. Selon ce principe, et si Christiane Taubira n’est pas devant, elle devra donc logiquement s’effacer.

Parmi les sept noms proposés, celui de Christiane Taubira figurera aux côtés de trois autres personnalités (Anna Agueb-Porterie, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise) ayant décidé comme elle de jouer le jeu de la Primaire populaire, c’est-à-dire d’en reconnaître le résultat final, mais également aux côtés de trois autres (Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon) déjà lancées dans la course présidentielle et refusant la légitimité de ce processus de sélection. 

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Christiane Taubira à Lyon, le 15 janvier 2022. © Jean-Philippe Ksiazek / AFP

Mais avant le vote, c’est dans la brume et le froid du quartier lyonnais de la Croix-Rousse que l’ancienne ministre a choisi de s’exprimer samedi, face à un petit parterre de 200 personnes. L’occasion pour elle de convoquer la mémoire des canuts, ces travailleurs de la soie dont les insurrections ont marqué le deuxième tiers du XIXsiècle. Leur histoire « donne encore aujourd’hui chair et sens à la République démocratique et sociale », a-t-elle affirmé. 

Depuis, remarqueront les plus sceptiques quant à la capacité de Christiane Taubira à s’adresser aux milieux populaires, le plateau et les pentes de la Croix-Rousse sont surtout à la pointe de la gentrification de Lyon. Ce sont en effet des quartiers où l’augmentation de la part relative des classes moyennes et supérieures est la plus significative depuis les années 1990 – et où l’accès à la propriété est devenu socialement hyper sélectif. 

La candidate a cependant pris soin de commencer son discours par les « colères », les « souffrances », « les finesses de survie, cette économie de la débrouille » qu’elle a rencontrées durant un mois de déplacements. Dans la population, « le jugement est sévère contre la verticalité du pouvoir », a-t-elle également diagnostiqué, proposant de faire advenir « un autre mode de gouvernement », qui tranche avec l’autoritarisme solitaire du pouvoir macronien et « les fantasmes monarchiques »

En même temps que cette promesse d’une démocratie de moins basse intensité, Christiane Taubira s’est évertuée à rappeler son expérience de femme d’État. Certes louée pour sa défense vibrante d’une des rares réformes progressistes du quinquennat Hollande (l’ouverture du mariage aux couples de même sexe), l’ex-ministre de la justice s’est aussi attirée des critiques pour être restée très tardivement au sein du gouvernement de Manuel Valls.

De cette expérience, marquée par les attentats islamistes de 2015, elle a dit savoir « ce que c’est de se retrouver dans un Conseil de défense, d’être obsédé par la sécurité des Français mais aussi de maintenir notre cohésion, attentifs à protéger des citoyens les plus exposés »

Premières propositions programmatiques

Dans la suite d’un discours assez court, suivi en direct par le chiffre modeste de 3 000 personnes environ sur les réseaux sociaux, la candidate a distillé quelques éléments programmatiques, illustrant les thématiques qui seront au cœur de son projet, pour l’instant élaboré en dehors de tout cadre partisan ou participatif.

​​Christiane Taubira a expliqué vouloir faire de la jeunesse le « premier grand axe » de son programme. Pour ce faire, elle reprend à son compte une idée qui fait désormais consensus à gauche, celle d’un revenu pour les jeunes exclus du RSA : en l’occurrence, il s’agirait d’accorder 800 euros par mois aux plus de 18 ans pendant cinq ans, afin de leur permettre de mener sereinement leurs études. 

À l’école, « cœur battant de la République », Christiane Taubira veut en finir avec la reproduction des inégalités, sans plus de détails, mise à part une annonce tonitruante : faire respecter la carte scolaire par les écoles privées sous contrat. Aujourd’hui, il est en effet possible de contourner un établissement public en inscrivant son enfant dans une école privée, même éloignée de son domicile. Une telle réforme, à risque politiquement, sera sûrement l’une des plus regardées du futur programme Taubira.

Pour aller dans le sens d’une plus grande « justice sociale », autre axe prioritaire de sa campagne, Christiane Taubira prévoit une revalorisation du salaire minimum à hauteur de 1 400 euros net, rejoignant là aussi les candidats de gauche déjà en lice. Plus inattendu dans la forme, la candidate promet de revoir l’échelle des salaires dans toutes les entreprises, en organisant une « conférence des salaires » sous son « autorité directe » dès son arrivée au pouvoir. « Ceux qui ne veulent pas revaloriser les salaires ne bénéficieront plus d’aides publiques ou d’exonérations fiscales », a-t-elle prévenu.

Et pour n’être pas accusée de promettre la lune sans changer les équilibres économiques, l’ancienne ministre a esquissé à grands traits un début de programme fiscal. À partir de dix millions d’euros de patrimoine accumulés par un ménage, Taubira présidente augmenterait l’imposition afin de faire entrer chaque année dix milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires dans les caisses de l’État.

Un montant qui resterait cependant insuffisant pour financer les quelques mesures annoncées dans ce premier discours. Rien n’a d’ailleurs été précisé concernant la fiscalité des entreprises. De manière générale, aucune ambition n’a été affichée de modifier les structures de pouvoir dans les milieux d’affaires ou de refondre les relations entre les marchés de capitaux, l’État et les entreprises. 

À plusieurs reprises dans son chapitre social, Christiane Taubira s’est adossée au droit européen comme cadre de ses réformes, concédant qu’il y aura une « bataille » à mener. Ainsi de son projet de lutte contre l’ubérisation : la candidate a rappelé le lancement, en décembre dernier, de la première proposition de directive d’importance en matière d’emploi par la Commission européenne. Si son principe est simple, à savoir imposer aux plateformes numériques une « présomption de salariat » pour les travailleuses et travailleurs qui utilisent leurs services, la proposition ne s’appliquera pas avant trois ou quatre ans et nécessitera un accord de tous les États membres (lire notre article).  

La transition écologique, annoncée comme le troisième axe de son programme, nécessitera elle aussi un rapport de force à l’échelle communautaire, notamment pour obtenir une TVA nulle sur les produits de l’agriculture biologique. De façon convenue mais tout aussi muette sur les moyens qui seront utilisés pour atteindre l’objectif, Christiane Taubira a appelé à la décarbonation de l’économie, à diminuer la pollution en insistant sur le secteur du numérique, et à des mobilités douces.  

La candidate a conclu en évoquant la République comme le dernier grand axe de ses propositions. Insistant sur son caractère « indivisible » et « laïque », elle a expliqué qu’il s’agissait des conditions pour accommoder la pluralité de la société et la singularité de chaque personne, par contraste avec le carcan identitaire auquel la réduisent bon nombre de responsables sur tout l’arc politique.

Christiane Taubira a rappelé ses origines guyanaises, racontant avoir grandi « dans le territoire mondial de la France », et savoir « ce que les langues et les cultures régionales apportent au patrimoine commun ». Affirmant vouloir défendre la République contre les attaques d’où qu’elles viennent, elle a immédiatement rappelé qu’il fallait faire preuve de la même intransigeance à l’égard « de toutes les discriminations, ces morsures qui touchent le cœur et l’esprit ».

Alors que sa probable concurrente Anne Hidalgo a parfois paru opposer l’idéal républicain aux luttes contemporaines pour la justice, Christiane Taubira tente ainsi de réactualiser la vieille tradition radicale issue de la IIIRépublique, selon laquelle l’amour des « petites patries » n’empêche pas la loyauté à un cadre qui les dépasse, sans les déprécier.  

Avec cette annonce de candidature, la situation à gauche devient de plus en plus ironique, voire facétieuse. Si Christiane Taubira avait déclaré en décembre qu’elle ne serait « pas une candidate de plus », c’est bien à quoi pourrait aboutir son éventuelle investiture, à travers une Primaire populaire dont la raison d’être est pourtant… l’union de la gauche. Et l’irruption de l’ancienne ministre dans la campagne aura été favorisée par Anne Hidalgo, qui n’aura soudainement appelé à une primaire que pour revenir, quelques semaines plus tard, à sa volonté initiale d’aller « jusqu’au bout » de son chemin en solo. 

Ce samedi soir au journal de 20 heures de France 2, Christiane Taubira a tenté d’esquiver les questions insistantes de Laurent Delahousse sur une « mécanique » de désignation tardivement mise en place, dont les règles ont changé au fil des derniers mois, et dont la finalité initiale ne sera probablement pas remplie. Selon elle, la Primaire populaire est restée le « seul espace démocratique » pour approcher cette union, qu’elle continue d’estimer « indispensable »

En tous les cas, les annonces faites par Hidalgo ce jeudi, et par Taubira ce week-end, ne laissent guère de doute : leur offre programmatique est extrêmement semblable. Si des différences de fond et de culture politique persistent avec l’écologie politique représentée par Yannick Jadot autant qu’avec la gauche insoumise « rouge-verte » de Mélenchon, ici c’est surtout l’incarnation qui fait la différence. 

Du côté socialiste, on compte sur le fait d’avoir déjà l’infrastructure pour faire campagne, les parrainages et de l’argent : autant d’éléments à réunir en express pour Taubira si elle l’emporte bien à la fin du mois. Comme Mediapart le racontait vendredi, le soutien interne à Anne Hidalgo est cependant fragile, certains responsables regardant avec effroi des sondages donnant la maire de Paris sous les 5 %. 

Déjà laminé par le quinquennat Hollande, l’espace du centre-gauche pourrait donc de surcroît souffrir de candidatures multiples, à moins d’un renoncement de dernière minute. De quoi conforter Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon dans leur décision de rester à l’écart de ces rebondissements sans fin. 

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