Procès du repenti corse: les enjeux d'un huis clos

Les cinq accusés jugés depuis lundi pour l’assassinat d’Antoine Nivaggioni à Ajaccio en 2010 comparaissent hors de la vue de la presse et du public. La cour d’assises d’Aix-en-Provence a estimé ne pas pouvoir garantir autrement la sécurité de l’un d’eux, qui a le statut de repenti.

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Aix-en-Provence, de notre envoyée spéciale.- Ce lundi 19 février, à 16 heures, les journalistes ont été priés de quitter la salle de la cour d’assises du palais Monclar, à Aix-en-Provence. Le procès de l’assassinat d’Antoine Nivaggioni, exécuté à l’arme lourde à Ajaccio le 18 octobre 2010, se tient désormais à huis clos, sans la presse ni le public, jusqu’au 2 mars. Seuls les trois juges, l’avocat général, le greffier, les dix jurés, la dizaine d’avocats des cinq accusés et la famille de la victime, partie civile, pourront voir et entendre Patrick Giovannoni, le repenti pour la protection duquel cette mesure exceptionnelle a été décidée.

Ce procès, une première dans l’histoire judiciaire française, s’annonçait pourtant passionnant. Il aurait pu permettre une meilleure compréhension de la guerre entre deux clans mafieux corses pour le contrôle de la cité impériale, qui a fait plusieurs morts de part et d’autre depuis dix ans. Mais la présence à cette audience du premier criminel français à bénéficier du statut de repenti a été considérée comme trop risquée pour permettre la transparence des débats.

Patrick Giovannoni a été admis à ce régime par la commission nationale de protection et de réinsertion, le 18 février 2015. Depuis, il a refait sa vie sous une nouvelle identité dans un lieu inconnu, sous protection policière. Il vit en permanence sous la menace des représailles des anciens camarades qu’il a dénoncés.

« Une audience publique le mettrait gravement en danger », a annoncé le président du tribunal, avant d’ordonner le huis clos. Son avocat Laurent-Franck Liénard, qui en avait fait la demande, affiche son soulagement : « Il fallait absolument limiter le nombre de personnes qui voient son visage, éviter les regards, les intimidations. » D’autres options auraient pu être envisagées, comme une comparution par visioconférence, mais elles ont été écartées, à la fois pour des raisons matérielles et en raison de l’hostilité des avocats des accusés, qui exigent une confrontation physique entre le repenti et leurs clients.

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La scène de crime, après l’assassinat d’Antoine Nivaggioni. © DR

Ce huis clos révèle les failles d’un statut créé par la loi Perben II du 9 mars 2004 et mis en application par un décret du 17 mars 2014. Il a fallu dix ans pour préciser les modalités pratiques de fonctionnement du dispositif. Et pourtant, dès le premier procès, les lacunes sont criantes.

Sur le plan policier, certes, la protection de Patrick Giovannoni donne satisfaction. Tout est mis en œuvre pour préserver le secret de sa nouvelle vie. Même son avocat doit se plier à des consignes strictes : ses rendez-vous avec son client se tiennent dans des endroits secrets, dont il est averti à la dernière minute par le service interministériel d’assistance technique (SIAT).

En revanche, le volet judiciaire a visiblement été mal anticipé. Il est pourtant crucial.

À quoi cela sert d’obtenir des aveux et des dénonciations de la part d’un criminel si ces informations ne servent pas à juger plus efficacement la criminalité organisée, pour laquelle le statut de repenti a été créé ?

« En Italie, où des centaines de collaborateurs de justice ont déjà participé à la lutte antimafia, leur témoignage lors des audiences est essentiel. En échange de réductions de peines, ils ont l’obligation de participer à tous les procès de leur clan. Ils font le tour des tribunaux. C’est une chose de livrer le nom de ses complices dans le bureau d’un juge, c’en est une autre de témoigner à la barre, les yeux dans les yeux de ses anciens amis et de les envoyer en prison à vie », estime Fabrice Rizzoli, spécialiste de la lutte antimafia italienne.

Dans la péninsule, les modalités pratiques peuvent varier. Dans certains cas, le collaborateur de justice est présent physiquement à l’audience, mais caché derrière un paravent qui le rend invisible du public et des avocats ; dans d’autres, il est entendu par visioconférence…

En France, les mentalités ne sont visiblement pas encore prêtes à accepter ce nouveau statut. Hier à Aix-en-Provence, avant que le tribunal prononce le huis clos, les avocats des co-accusés, hostiles au secret des débats, ont pu s’exprimer, donnant un avant-goût de ce qui attend Patrick Giovannoni. « Le statut de collaborateur de justice ne sent pas bon ! Autrefois, on parlait de collabos pour qualifier ces langues de vipère qui dénoncent leurs anciens amis pour sauver leur peau. On voudrait juger en secret, rendre une justice aveugle… La parole de Patrick Giovannoni est douteuse, elle doit être publique », a tonné Bernard Ripert, l’un des avocats d’Éric Coppolani, le principal accusé du meurtre d’Antoine Nivaggioni.

La virulence de ces propos est proportionnelle aux lourdes charges qui pèsent sur les deux membres de la bande du Petit Bar présents dans le box vitré des accusés : Éric Coppolani et Antoine Mondoloni, en détention provisoire depuis trois ans. Leur chef présumé Jacques Santoni ne sera, en revanche, finalement pas jugé lors de cette session d’assises.

Hospitalisé à la clinique Victor-Hugo de Paris, cet homme tétraplégique, laissé libre sous contrôle judiciaire en raison de son handicap, doit subir une intervention chirurgicale envisagée depuis plusieurs années et opportunément programmée le jour de l’ouverture du procès. Le tribunal a donc décidé hier de disjoindre son cas : il sera jugé seul, plus tard.

Les charges retenues contre le Petit Bar tiennent, pour l’essentiel, aux déclarations du repenti faites le 9 mars 2015 dans le bureau du juge d’instruction Christophe Perruaux. Ses paroles à l’audience seront donc capitales. Patrick Giovannoni devrait redire que Jacques Santoni était en guerre depuis plusieurs années avec Antoine Nivaggioni, que son chef lui a demandé de positionner une « voiture ventouse » devant le domicile de l’ex-compagne de la victime et de la récupérer à l’aube, afin de laisser place au véhicule des tueurs.

Ses dépositions devraient également être accablantes envers Éric Coppolani, le tueur présumé, surgi du coffre de toit de la voiture stationnée sur le lieu du crime, armé d’une kalachnikov. Patrick Giovannoni a raconté avoir parlé à Éric Coppolani deux mois après l’assassinat. « Je lui ai dit : “C’est toi qui étais dans la voiture ?” Il m’a dit “oui”. Apparemment, il était dans le coffre sur la voiture. Il m’a dit qu’il avait tiré en premier avec la kalach’ puis se serait servi d’un pistolet. »

Éric Coppolani et Jacques Santoni nient les faits qui leur sont reprochés.

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