Mégafeux : des pics de pollution spectaculaires ont été mesurés

Les incendies dans la forêt landaise ont provoqué un spectaculaire pic de pollution aux particules à Bordeaux dans la nuit du 19 au 20 juillet. Les polluants ont voyagé jusqu’à Paris, où ils se sont ajoutés à une concentration très importante d’une autre substance toxique : l’ozone. 

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Les feux dramatiques qui ravagent la forêt landaise n’ont pas seulement détruit des milliers d’hectares. Ils ont aussi provoqué des pics de pollution spectaculaires dans l’air, selon les premières données recueillies par Atmo Nouvelle-Aquitaine, qui sert d’observatoire régional sur la qualité de l’air. 

À Bordeaux, la nuit suivant la journée caniculaire du 19 juillet, entre 1 heure et 5 heures du matin, la concentration en particules PM10 (inférieures à 10 micromètres, soit un million de fois plus petites que le mètre) a atteint 384 microgrammes par mètre cube sur une station, soit entre vingt et quarante fois au-dessus des chiffres habituels. Pendant la journée de mardi, des concentrations supérieures à 150 µg/m3 ont été mesurées à quarante-neuf reprises par le laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air. En général, les pics ont duré entre deux et six heures.

Le seuil d’alerte est placé à 80 µg/m3 en moyenne journalière (calculée sur 24 heures), et le seuil d’information à 50 µg/m3. Seules quatre stations de mesure ont connu des taux supérieurs à 70µg/m3 en moyenne sur cette durée. D’autres villes ont connu des pics ponctuels importants de pollution aux particules atmosphériques : Dax (212 µg/m3 le 19 juillet à midi), Périgueux (522 µg/m3), Brive (181 µg/m3).

« Des pics de cette ampleur ne sont pas inédits, mais c’est la première fois qu’ils affectent en une seule journée une si grande partie du territoire », explique le laboratoire. Ces niveaux extrêmes sont ensuite redescendus, du fait du vent et des pluies. « Les PM10 ont des seuils réglementaires calculés en moyenne journalière, précise Julie Gault, chargée de communication d’Atmo Nouvelle-Aquitaine. Un pic peut être suivi de niveaux inférieurs, ce qui fait mécaniquement baisser la moyenne du jour. »

Pour les PM2,5, les particules inférieures à 2,5 micromètres, la même station de Bordeaux a enregistré un pic de 322 µg/m3, alors qu’en temps normal, la concentration reste à 10 ou 20 µg/m3. Les chiffres sont ensuite rapidement redescendus. 

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A Louchats (Gironde), le 17 juillet 2022 (Thibaud Moritz/AFP)

Jeudi 21 juillet, les départements des Landes et de la Gironde étaient les plus touchés et risquaient d’enregistrer des concentrations de particules PM10 et 2,5 au-dessus des seuils réglementaires jusqu’au lendemain. À partir de vendredi, la concentration de particules en suspension devrait augmenter dans le Lot-et-Garonne et les Pyrénées-Atlantiques, en raison du changement d’orientation des vents.

« Les incendies atteignent une telle ampleur que les outils de prévision que nous utilisons d’habitude sont dépassés, explique Atmo Nouvelle-Aquitaine, et nous devons étudier une à une les mesures enregistrées par notre quarantaine de stations. » Une cellule de crise est organisée tous les jours depuis le 12 juillet, date du début des incendies. Lorsque les seuils de pollution sont dépassés, Atmo prévient la préfecture à qui revient la responsabilité de déclarer l’existence d’un épisode de pollution. 

Ces particules PM 10 et PM 2,5 étaient composés notamment de carbone suie et de matières organiques, qui montrent la signature chimique de la combustion du bois : des composés organiques volatils (COV) et des dioxines. Toutes ces substances sont toxiques pour la santé humaine, en fonction de leur quantité et du temps d’exposition. En l’occurrence, ces premiers chiffres indiquent des pics de courte durée.

De nouvelles mesures sont attendues concernant les particules ultrafines, particulièrement dangereuses car leur petite taille les laisse entrer dans le système sanguin et les poumons. Des pics en carbone suie ont atteint de 6 à 7 µg/m3, alors qu’en 2020, les moyennes annuelles étaient comprises entre 0,5 et 2 µg/m3.  

Quels sont les risques pour la santé des personnes qui ont été exposés à ces pollutions ? Les autorités sanitaires expliquent régulièrement que la pollution chronique, à laquelle chacun·e est confronté·e de façon régulière, est plus néfaste qu’un pic ponctuel de concentration de polluants. La question est différente concernant les pompiers et les personnels qui ont passé du temps dans les fumées, au plus proche des foyers, là où la pollution est beaucoup plus importante. Ces chiffres n’ont pas encore été rendus publics. 

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire, les PM10 des fumées de feux de végétation « peuvent être considérés comme au moins aussi toxiques pour la santé respiratoire à court terme que ceux de source urbaine ». Les personnes atteintes de pathologies respiratoires chroniques, comme l’asthme, y sont particulièrement sensibles. L’exposition répétée à des feux de forêt augmente le risque de cancer du poumon et de tumeurs au cerveau, selon une étude de cohorte conduite au Canada, et publiée dans The Lancet Planetary Health en mai 2022.

Le panache de fumée des incendies a balayé tout le territoire national, vers le nord et l’est. Mardi soir 19 juillet, l’air parisien s’est coloré de teintes étranges : un ciel de poussières, strié de jaune métallisé. Des bouffées éparses d’odeurs de brûlé dans la capitale ont achevé de conférer une ambiance d’apocalypse à la capitale. Son atmosphère était à son tour gagnée par des masses d’air venues de Nouvelle-Aquitaine.

« Les feux dans le sud-ouest de la France, ainsi que des incendies en région parisienne, ont dégagé des fumées qui ont transporté des particules au-dessus de l’Île-de-France, explique Antoine Trouche, d’AirParif, qui surveille l’air de la métropole. En se cumulant à la pollution d’ozone, importante en ce jour de canicule, elles ont provoqué un pic de pollution : la concentration de particules atmosphériques a dépassé 100 µg/m3, en moyenne horaire. » « Ce fut ponctuel mais c’est un chiffre important, précise Airparif, la moyenne en Île-de-France tournant autour de 15 µg/m3. »

Un changement dans le régime des vents et les pluies qui sont tombées pendant la nuit sur la région parisienne ont rapidement fait baisser cette pollution. Cette situation est particulière car c’est en hiver et au printemps que la pollution aux particules fines est en général la pire en région parisienne, précise AirParif.

Ces pics de pollution aux particules fines se sont produits au pire moment. En raison de la vague de chaleur, la concentration de l’air en ozone, un polluant particulièrement agressif pour l’organisme, était déjà très importante : en région Auvergne-Rhône-Alpes ainsi qu’en PACA, des concentrations entre 180 et 240 µg/m3 ont été mesurées, alors que le seuil d’alerte est de 140 µg/m3, explique Charlotte Lepitre, responsable projet et partenariat à Atmo-France, la fédération du réseau national des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA). « Ces chiffres sont énormes, alors qu’à certains endroits mesurés, habituellement il y a très peu ou quasiment pas d’ozone. »

À Paris aussi, la pollution causée par les mégafeux s’est ajoutée à une pollution déjà importante à l’ozone. Lundi 18 juillet, premier jour de canicule à Paris, AirParif a mesuré une concentration maximale en ozone de 218 µg/m3. C’est bien au-dessus du seuil déclenchant une procédure d’information (180 µg/m3, en moyenne horaire), au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé pour les personnes particulièrement sensibles.

L’ozone est une substance particulière : il est créé par l’exposition des oxydes d’azote et des composés organiques volatils (COV), deux polluants atmosphériques, à d’intenses chaleurs et un fort ensoleillement. Il est particulièrement toxique pour la santé : c’est un gaz agressif qui pénètre les voies respiratoires les plus profondes, peut provoquer des problèmes respiratoires et déclencher des crises d’asthme.

La pollution à l’ozone est très liée aux dérèglements du climat. C’est le seul polluant atmosphérique réglementé dont le niveau augmente depuis vingt-cinq ans en Île-de-France. Il est responsable de la mort de 1 700 personnes par an en région parisienne, selon une étude d’AirParif et de l’Observatoire régional de santé.

Phénomène encore plus inquiétant : il contribue au réchauffement climatique, comme l’explique le dernier rapport du Giec, qui insiste sur les liens entre polluants atmosphériques, comme les particules fines et l’ozone, et l’augmentation des températures. Il contribue par ailleurs à la baisse des rendements agricoles en Île-de-France, jusqu’à 20 % selon les cultures, et réduit la capacité de la végétation à capter le CO2, car il provoque une nécrose des feuilles, selon un rapport d’Atmo France.

Cet ozone toxique pour la santé exerce à l’inverse un effet protecteur quand il se trouve dans la stratosphère – entre 12 et 50 km au-dessus du sol (la fameuse « couche d’ozone »). 

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