Violences sexuelles: le groupe MediaSchool contraint de lancer une enquête interne

Selon nos informations, le groupe GMS, qui dirige 38 écoles, a reçu de nombreuses alertes visant plusieurs de ses intervenants, accusés de violences sexuelles ou de sexisme. Une enquête interne est en cours et un des cadres aurait quitté l’entreprise.

Julie Chansel, Sophie Grison, Élodie Hervé

25 janvier 2021 à 20h21

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Dans l’entrée en marbre de la Paris School of Luxury, Gaëlle, Sofia et Lou* pèsent leurs mots. Ce 22 juin 2020, ces trois anciennes étudiantes sont venues dénoncer les agissements présumés d’un des cadres du groupe d’enseignement privé supérieur MediaSchool (GMS), proposant notamment des formations en communication, journalisme, production audiovisuelle et événementiel. Face à elles, Magali Bonavia, directrice de l’Institut européen de journalisme (IEJ) et directrice générale adjointe de MediaSchool, et Franck Papazian, président fondateur du groupe. Dans ce décor, Gaëlle, Sofia et Lou évoquent des comportements qu’elles qualifient de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viol. Toutes désignent Stéphane F., qui parle d’« accusations calomnieuses ».

Ce communicant-chroniqueur de 48 ans a été intervenant jusqu’en juillet 2015 au sein de plusieurs des 38 écoles du groupe MediaSchool. En 2015, il est promu chef de projet digital. Un poste « sans aucune vocation à encadrer des étudiants », souligne la direction. Il encadre cependant des alternants – des étudiant·e·s de MediaSchool qui ont pour entreprise leur propre école. Avec ce nouveau contrat, il obtient aussi un logement de fonction au sein de l’IEJ (une des écoles du groupe), où il habitera jusqu’en novembre 2020, d’après l’école.

Le 22 juin 2020, Gaëlle, étudiante de 2014 à 2016, raconte des fragments de souvenirs d’une soirée de novembre 2016, six mois après l’obtention de son diplôme. Selon son récit, il l’aurait invitée à passer au studio télé pour parler d’un documentaire, avant de prolonger chez lui, un étage plus haut. « Il m’a fait boire non stop. Je me souviens qu’il remplissait mon verre dès qu’il était vide, que j’ai voulu rentrer chez moi, mais que je n’arrivais pas à commander un Uber », raconte Gaëlle. Le lendemain, « tout ce dont [elle] [se] souvien[t], c’est de [s]’être réveillée nue dans son lit avec un préservatif usagé par terre ». 

Au cours de cette même réunion, Sofia, qui a eu une relation avec le cadre, affirme quant à elle avoir été « séquestrée » dans le logement de fonction de Stéphane F., le 6 décembre 2019. Lou, elle, raconte que, dans le cadre d’un travail sur un documentaire, le chef de projet lui aurait fait des propositions d’ordre sexuel à plusieurs reprises. « Je changeais de sujet de façon systématique », affirme-t-elle à Mediapart.

La direction confirme, elle, la réunion (voir notre Boîte noire), mais martèle que les trois jeunes femmes n’ont pas été claires dans leurs propos. Selon elle, elles « n’ont jamais évoqué des faits de viol ou de séquestration ». Pour Magali Bonavia, les faits reprochés « ne reflètent en aucun cas la discussion du 22 juin ». L’école préfère parler de « comportements inappropriés et déplacés ».

« Persuadés qu’une plainte serait déposée », les deux dirigeants – Bonavia et Papazian – attendent alors des suites judiciaires. Elles ne viendront pas. Gaëlle, sur les conseils d’une avocate, n’a ainsi pas engagé de démarche judiciaire, car, dit-elle, « la procédure est longue, coûteuse et permet rarement d’obtenir justice ». 

Au sein de l’école, dans le groupe, rien ne semble se passer. La direction indique « suivre de près ce sujet depuis le début » et essayer « d’écouter la parole des présumées victimes, tout en préservant la présomption d’innocence ». Elle invoque une « enquête interne confidentielle » et des « process lourds et longs à mettre en place ». Elle affirme avoir saisi la justice.

À l’IEJ, des étudiant·e·s semblent alors désemparé·e·s face à ces décisions et parlent d’un « silence radio ». D’autant plus que d’autres alertes avaient déjà été émises à l’encontre du même encadrant. Dès 2016, Léa*, une ancienne salariée de l’IEJ, avait dénoncé Stéphane F., qu’elle rencontre en 2013, à l’école internationale Tunon. Elle y est étudiante, lui intervenant, et aurait surnommé cet établissement de tourisme et d’hôtellerie « l’école des putes ».

À Magali Bonavia, Léa annonce qu’elle quitte l’IEJ pour un poste plus intéressant ailleurs. Elle profite de cet entretien pour mettre en garde la directrice.

Mais celle-ci en a alors une autre lecture : selon elle, Léa n’aurait pas supporté sa rupture avec Stéphane F. « Dans ce contexte d’apparente trahison amoureuse, on peut légitimement se demander si l’IEJ n’était pas pris en otage de femmes qui souhaiteraient peut-être se venger de leur ancien compagnon, à raison ou à tort », explique-t-elle. Sofia et Léa parlent, elles, de « relation anormale », « abusive » et « violente » avec lui.

Au cours de notre enquête, une vingtaine de personnes – des ex-étudiant·e·s et ex-salarié·e·s de l’IEJ et de GMS – nous ont confié leur malaise. Elles parlent d’un « dandy qui ne veut pas vieillir », aux propos « racistes, misogynes », qui « fait des allusions sexuelles en permanence ». 

Des documents obtenus par Mediapart montrent aussi des échanges datant de mars 2015, dans lesquels Stéphane F. demande à une étudiante de lui « sauter dessus », parle de lui comme d’un « bestiau », propose de lui « offrir un verre et plus si affinités ». Dans un autre échange sur Facebook avec des amis, il demande : « Ça existe encore des vierges ? »

Contacté par Mediapart, Stéphane F. a d’abord accepté puis refusé de répondre à nos questions. Il conteste « totalement et fermement » les « accusations calomnieuses » dont il fait l’objet.

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Les locaux de l'IEJ, photo d'illustration. © Elodie Hervé

Les récits recueillis font aussi plus largement état de professeurs qui s’inviteraient aux soirées étudiantes pour draguer, et de propos sexistes et sexuels pendant les cours. « On nous pousse clairement à copiner avec les profs et certains jouent beaucoup avec cette ambiguïté là pour obtenir des faveurs sexuelles des étudiantes », indique une ancienne étudiante.

Sur la trentaine de témoignages recueillis par Mediapart, trois noms reviennent en plus de celui de Stéphane F. Au moins deux de ces cas auraient été signalés à la direction, qui dément. Une étudiante se serait plainte d’un intervenant, Pierre**, qui lui aurait envoyé plusieurs messages sur Messenger. « Il m’a même envoyé une carte postale chez mes parents », confie-t-elle à Mediapart, carte dont nous avons obtenu copie. Elle affirme avoir obtenu un rendez-vous avec la direction en 2019. En vain.

Une autre ancienne de l’école indique également qu’elle a fait « remonter » le cas d’un intervenant, Boris**, qui envoyait des « émojis banane accompagnés d’un “j’ai envie de te lécher les seins” à des étudiantes ». Là encore, il ne se serait rien passé.

Interrogée, Magali Bonavia livre une autre version : « Lorsque des étudiantes se sont plaintes de comportements d’intervenants, j’ai toujours réglé les problèmes, je recevais l’intervenant pour lui expliquer de manière très claire et précise pourquoi je mettais fin à la collaboration. »

Pour Zoé, ancienne de l’IEJ, « l’école n’encourage rien, mais n’interdit rien non plus, elle ne pose tout simplement pas de cadre ». Magali Bonavia maintient qu’elle a toujours posé des « limites très claires aux intervenants de l’IEJ » et qu’elle ne souhaitait « pas de familiarités entre étudiants et intervenants ».

En octobre 2020, le compte Instagram @balance_ton_ecolesup publie les premiers témoignages sur l’IEJ. « Il y avait tellement de profs qui couchaient avec les étudiantes à l’IEJ, tout le monde disait que c’était normal. » D’autres parlent de Stéphane F., qui aurait « usé de sa position pour faire venir chez lui des étudiantes de l’IEJ, mais aussi d’autres écoles, pour avoir des relations sexuelles avec elles ». Franck Papazian précise que ni lui ni aucun des directeurs/-trices du groupe n’ont « jamais été informés des faits dénoncés dans les publications ». « Il est important de prendre du recul sur les choses qui sont dites anonymement sur les réseaux sociaux », dit de son côté Magali Bonavia.

Aucune de ces alertes ne conduit la direction à mettre en place des procédures internes. MediaSchool attendra plusieurs mois pour agir.

« Il n’y avait pas de procédure [interne] jusqu’à présent », confirme une cadre de l’IEJ « en première ligne pour recueillir les témoignages » de violences sexuelles et sexistes. Ni la réunion du 22 juin 2020 ni les publications du groupe @balance_ton_ecolesup, en octobre et novembre 2020, n’auront ainsi permis la mise en place d’une cellule d’écoute – pourtant préconisée dans les établissements d’enseignement supérieur.

Ce n’est que le 4 décembre, une fois l’absence de plainte confirmée, après l’annonce d’une médiatisation de l’affaire puis une interpellation d’ancien·ne·s étudiant·e·s dans un groupe Facebook The Office – IEJ Bons plans, qu’un mail est envoyé aux étudiant·e·s, pour démentir l’intégralité des propos. Dans la foulée, Franck Papazian annonce que le groupe rejoint l’initiative StOpE, « contre le sexisme dit ordinaire en entreprise » et sollicite ensuite le cabinet Audiens pour mettre en place une adresse mail à destination des personnes qui auraient besoin de parler. La cellule d’écoute est opérationnelle depuis la mi-janvier.

À cette date, le groupe, fondé en 2002, se dote d’une « Charte Respect MediaSchool » et annonce « d’un commun accord […] avoir mis un terme à l’activité » de Stéphane F. « au sein du groupe […] afin qu’il se concentre sur sa défense ». Franck Papazian ajoute que « la pression exercée à son encontre l’empêche de poursuivre sa mission dans de bonnes conditions ». La direction ne souhaite pas préciser si le contrat de travail est rompu.

Julie Chansel, Sophie Grison, Élodie Hervé

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