Juge d'instruction à Lyon et représentant du Syndicat de la magistrature (SM), Dominique Brault a accepté de confier à Mediapart son "effarement" face au programme TOGG qui offre la possibilité aux magistrats qui le désirent de procéder à des tests ADN "ethniques", au mépris de la loi, selon lui.
Comment avez-vous été approché par l'Institut génétique Nantes Atlantique (IGNA)?
La société IGNA est venue à Lyon voir certains juges d'instruction, visiblement pris au hasard, dans le cadre de la tournée d'un commercial venu proposer ses produits. Individuellement, la société a essayé de tester la réaction de juges d'instruction face aux produits proposés, que ce soit la recherche d'empreintes génétiques ou la recherche de traces sur des scellés... Dans ce cadre-là, fin 2007, il nous a été proposé, individuellement, de recourir à ce que le laboratoire appelle le «Test d'orientation géo-génétique» (TOGG).
Que vous est-il indiqué quant aux possibilités de ce programme?
Cela nous est présenté sous un angle d'aide à l'enquête, plus pour la gendarmerie et la police d'ailleurs qui vont travailler sur nos commissions rogatoires. En quelque sorte, il nous faudrait inciter les enquêteurs à utiliser ce programme qui va les aider, eux, à retrouver les auteurs non identifiés dans une procédure.
De quelle manière?
Il nous est fait état d'un test qui va permettre de donner des éléments de caractère objectif aux enquêteurs. On nous parle, par exemple, d'origines sub-sahariennes. Ce que l'on comprend tous, entre juges, pour en avoir discuté après, c'est que l'on nous parle là de la couleur des cheveux, des yeux ou de la peau... Et surtout la couleur de la peau.
Quand on demande [au représentant de l'IGNA, NDLR]: «Vous allez donc nous déterminer quelle est la couleur de la peau», on ne nous répond pas «non». La question, je l'ai personnellement posée au commercial, un monsieur proche de la retraite, qui démarchait, je crois, sur le quart sud-est de la France. Rapidement, je lui ai fait état que cela semblait soulever des problèmes éthiques et que cela était parfaitement illégal.
Déterminer la couleur de la peau ou celle des yeux relève des traces dites codantes d'un ADN. Ce que la loi n'autorise pas aujourd'hui d'analyser.
Cette question a été débattue en réunion de service au tribunal. Car après cette démarche de consultation individuelle des juges d'instruction, il y a eu une présentation de l'IGNA et de ses possibilités lors d'une rencontre collective en février 2008. Au travers d'un diaporama, le laboratoire est venu nous expliquer ce qu'est le programme TOGG.
A l'une de mes questions, il a été répondu que l'ADN codant n'était pas utilisé pour arriver à déterminer des orientations géo-génétiques et des éléments objectifs. On nous a ainsi parlé du marqueur 32 et, sans aller dans une explication très approfondie, il a été dit qu'à partir de la partie non codante de l'ADN, on peut sortir des éléments d'identification.
C'est un contournement de la loi et des recommandations du Comité d'éthique concernant l'utilisation de caractères «raciaux» dans l'analyse génétique. Là, on va me dire à nouveau que l'on utilise du non codant et que les personnels du laboratoire ne sont pas tous médecins, mais pour partie docteurs en sciences, donc pas tous soumis aux recommandations du Conseil de l'Ordre et du Comité d'éthique. Ce qui est une vue de l'esprit puisque le Comité d'éthique s'adresse à tous les scientifiques.
Que s'est-il ensuite passé?
On pensait, nous les juges d'instruction, que le programme TOGG ne verrait jamais le jour au regard des questions que nous avions soulevées sur la légalité, l'éthique et l'utilisation à caractère xénophobe qui pouvait être faite d'un fichier qui serait derrière ces tests. Sur les dix-sept juges présents, nous avons été quatre à poser des questions.
Certains de vos collègues semblaient-ils intéressés par le programme?
Tout à fait. Il y a au moins un jeune collègue qui dira : «ça m'intéresse».
Vous êtes juge et citoyen. Qu'est-ce qui vous choque dans le programme TOGG?
Ce qui me choque, c'est que l'on tourne une interdiction légale d'utiliser du non codant et qu'on tourne une recommandation du Comité d'éthique, en faisant croire au juge que l'on va obtenir au travers d'une partie de l'ADN théoriquement non codante des éléments codants.
De deux choses l'une, soit on est sur l'histoire des «avions renifleurs» et d'une grosse escroquerie, soit sur on est sur une réalité scientifique. Ensuite, il y a l'idée que l'on va pouvoir constituer des fichiers de suspects avec des éléments à caractère raciaux. Dans l'histoire du fonctionnement de la justice et de la police, on ne l'a fait qu'entre 1939 et 1944, pendant la période vichyssoise. Avec, derrière, la constitution d'un fichier des juifs qui précisait des éléments physiques de reconnaissance.
De façon citoyenne, c'est totalement inadmissible. La police ou les scientifiques ne sont pas là pour constituer des fichiers sur la base de critères raciaux.
Assiste-t-on, selon vous, à un renversement de l'esprit de la loi qui veut que l'ADN soit utilisé pour l'identification (à savoir «Untel est le fils d'Untel» ou «Untel est l'auteur d'un crime») et non pas pour orienter des investigations?
Oui. L'ADN est là pour fournir une espèce de preuve absolue de ce que la trace retrouvée sur tel ou tel support appartient à Monsieur Untel. Elle n'est pas là pour orienter l'enquête.
L'IGNA a-t-il été questionné sur la fiabilité du système?
Non, car la discussion a rapidement tourné court. Mais par moquerie je leur ai demandé comment l'on distinguait un Chinois d'Amérique d'un Chinois de Chine. Je n'ai pas eu de réponse (sourires).