C’était une forte probabilité, c’est désormais une certitude. La conférence internationale qui devait se réunir à Paris, avant la fin 2016, pour réanimer le processus de paix moribond entre Israël et les Palestiniens n’aura pas lieu. Une table ronde sera peut-être organisée aux environs de Noël, mais elle ne servira qu’à sauver les apparences puisque les principaux intéressés n’y seront pas réunis. Dans le silence embarrassé de ses promoteurs à l’Élysée et au Quai d’Orsay, l'« initiative française » pour la paix au Moyen-Orient est donc sur le point de rejoindre le cimetière des échecs de François Hollande.
Rien n’est pour l’heure officiel. Mais l’opposition réitérée par Israël et, aux États-Unis, les incertitudes nées de l’élection de Donald Trump semblent des obstacles infranchissables. D’autant que, au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis la conférence ministérielle préparatoire de juin, Paris s’est montré incapable d’assumer politiquement son projet, mais aussi de construire et de consolider autour de cette initiative un consensus international assez solide pour faire fléchir le gouvernement israélien. Et cela tandis que surgissaient, dans le monde arabe ou en Russie, des propositions concurrentes ou parasites pour l’instant tout aussi stériles.
Malgré l’expérience et l’implication de l’émissaire chargé depuis février 2016 de piloter cette initiative, Pierre Vimont, ancien ambassadeur aux États-Unis et responsable du service diplomatique de l’Union européenne, l’exécutif, sur ce dossier comme sur nombre d’autres, s’est montré dès le départ timoré et vulnérable aux pressions. Notamment à celles d’Israël et de ses relais d’influence à Paris.
Conçue à la fin de 2015 sous l’autorité de Laurent Fabius, puis adoptée et développée à partir de février 2016 par son successeur au ministère des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, cette initiative obéissait, a priori, à d’excellentes intentions. Elle avait pour but de proposer une solution originale pour sortir la négociation israélo-palestinienne du coma dans lequel elle est plongée depuis l’échec de l’ultime tentative du secrétaire d’État américain John Kerry en avril 2014.

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Au dispositif diplomatique utilisé depuis 1993 – un dialogue israélo-palestinien sous parrainage américain – Paris proposait de substituer un face-à-face israélo-palestinien sous supervision internationale. Organisé selon un calendrier rigoureux, cela devait permettre d’en finir avec la stratégie de procrastination utilisée à répétition par Israël. Assorti d’incitations diverses pour les deux parties, ce projet auquel Washington et Moscou n’avaient pas fait obstacle était soutenu par les Nations unies, l’Union européenne et la Ligue arabe. Il avait recueilli l’approbation des dirigeants palestiniens pour de multiples raisons. Reposant sur les termes de référence acceptés depuis longtemps par les Palestiniens, il convergeait avec la stratégie palestinienne d’internationalisation de la négociation et de recours aux Nations unies. Et il permettait, surtout, d’en finir avec le rôle dominant de Washington, de moins en moins considéré par les Palestiniens comme un intermédiaire impartial.
Pour des raisons diamétralement opposées, le projet français avait été, dès le départ, rejeté par Israël. Fort de son usage impuni, depuis des années, de la stratégie du statu quo, à l’abri duquel il poursuit et développe la colonisation de la Cisjordanie occupée, au point de rendre illusoire la création d’un État palestinien, le gouvernement de Benjamin Netanyahou se bornait à rappeler sa position constante : nous sommes prêts à ouvrir avec les Palestiniens un dialogue direct, sans conditions. Position d’autant plus facile à tenir pour le premier ministre israélien qu’il est adossé à une population plus réservée que jamais à l’idée de coexister avec un État palestinien et au sein de laquelle le “camp de la paix” résiste difficilement à l’intolérance du plus grand nombre.
Avant de formuler officiellement son initiative, Paris n’ignorait évidemment pas que cette position de principe israélienne constituait pour ce projet un obstacle majeur. Mais Laurent Fabius croyait avoir trouvé un levier pour vaincre l’obstination israélienne. À la veille d’abandonner ses fonctions, il avait brandi la menace de reconnaître l’État de Palestine si l’initiative française échouait en raison d’un refus israélien. Ce qui avait provoqué l’indignation de Benjamin Netanyahou et de ses alliés. « Israël est favorable aux négociations directes avec les Palestiniens mais s’oppose à toute tentative de prédéterminer le résultat des négociations », avait répliqué le porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères, Emmanuel Nahson.
Pour convaincre Paris de renoncer à cette menace, Benjamin Netanyahou n’avait pas hésité à mobiliser l’ancien chef de l’État, Shimon Peres, alors âgé de 92 ans, et à l’envoyer en France avec mission d’expliquer à ses amis socialistes qu’ils devaient agir dans cette affaire avec la plus grande circonspection. Message reçu. Quelques jours après cette visite, Jean-Marc Ayrault s’était livré à une reculade remarquée : « Il n’y a jamais rien d’automatique, avait-il déclaré. La France prend cette initiative, va l’exposer à ses partenaires, et donc c’est la première étape, il n’y a pas de préalable. » En clair : contrairement à ce qu’avait avancé Laurent Fabius, la France ne reconnaîtrait pas automatiquement l’État de Palestine, si son initiative échouait.
Valls puis Ayrault font amende honorable
Ni Israël ni les Palestiniens n’étaient invités à participer à cette première conférence destinée à dresser un état des lieux du conflit, à faire le point des négociations précédentes, à arrêter la composition et le rôle d’un groupe de suivi et à ébaucher les modalités de la seconde conférence, autour, cette fois, des principaux intéressés. Mais les dirigeants israéliens considéraient la simple tenue de cette première réunion comme un début d’ingérence internationale. Ils s’étaient donc lancés dans une vaste offensive diplomatique préventive destinée à montrer aux amis d’Israël que l’initiative française était dangereuse pour la sécurité de l’État juif car Paris avait du conflit une vision biaisée. De ce point de vue, le vote par la France, à la mi-avril, d’une résolution de l’Unesco condamnant la politique d’Israël à Jérusalem-Est fut, pour Benjamin Netanyahou et ses conseillers, une divine surprise.
Consacré essentiellement à la sauvegarde du « patrimoine culturel palestinien et du caractère distinctif de Jérusalem-Est », ce texte déplorait notamment la poursuite des fouilles par Israël, « la puissance occupante, dans Jérusalem-Est et en particulier à l’intérieur et aux alentours de la vieille ville » et « les irruptions persistantes d’extrémistes de la droite israélienne et de forces en uniforme sur le site de la mosquée Al-Aqsa/Al-Haram Al-Sharif ». La France figurait, avec la Russie, l’Espagne et la Suède, parmi les 33 pays qui avaient voté en faveur de la résolution. L’Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni, parmi les 6 pays qui avaient voté contre.
Au lieu d’assumer son vote et de faire observer que la plupart des faits condamnés par la résolution avaient déjà été relevés dans des documents des Nations unies et dénoncés par les rapports annuels des diplomates de l’Union européenne à Jérusalem, Paris – deuxième reculade – avait choisi de renier sa signature en affectant d’avoir voté ce texte par inadvertance. Explication peu crédible, le document ayant été transmis au Quai d’Orsay plus de deux semaines avant le vote. Qu’importe. François Hollande, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault et même Bernard Cazeneuve déplorèrent publiquement le « texte fâcheux » à la « formulation malheureuse, maladroite ».

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Dans les deux semaines qui suivirent, le premier ministre puis le ministre des affaires étrangères se rendirent à Jérusalem pour faire amende honorable devant Benjamin Netanyahou qui venait de constituer, grâce à l’appui de l’extrême droite et des colons, le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. Difficile, dans ces conditions, pour Paris, d’espérer infléchir en quoi que ce soit la position israélienne.
Le document de travail communiqué à la trentaine de pays qui devaient participer à la conférence ministérielle du 3 juin, première étape de l’initiative française, reflétait d’ailleurs la prudence, c’est-à-dire la faiblesse, de la position française. Certes, ce “non-papier” rappelait que « la solution à deux États [était] la seule option viable » pour résoudre le conflit et soulignait que cette solution était « menacée au point d’être rendue presque impraticable par le développement incessant de la colonisation, y compris dans les zones les plus sensibles ».
Mais il se gardait de citer les dossiers essentiels, dont la plupart sont minés par les positions intransigeantes d’Israël : tracé des frontières, arrangements et garanties de sécurité, destin des réfugiés, partage de Jérusalem, questions des colonies et des échanges de territoires, répartition des ressources en eau. Et, surtout, il ne prévoyait aucun dispositif de pressions, voire de sanctions, pour faire respecter le calendrier des négociations et les décisions éventuellement adoptées.
Malgré cette accumulation de concessions, le “non-papier” français allait encore trop loin pour obtenir l’approbation des amis d’Israël. Le 3 juin, à la fin de la conférence ministérielle préparatoire, à laquelle avaient participé les représentants de 29 pays et organisations internationales (ONU, Union européenne, Ligue arabe), il ne restait plus du texte français qu’un communiqué de moins de vingt-cinq lignes, vigoureusement édulcoré sous l’influence, notamment, des États-Unis et de plusieurs pays de l’Union européenne. Après avoir constaté que « le statu quo n’est pas durable », les signataires accueillaient favorablement « l’offre de la France de coordonner l’effort des pays intéressés et d’organiser une conférence régionale avant la fin de l’année ». La conférence, en d’autres termes, n’avait accouché que d’un projet de conférence… Troisième reculade.
Il restait donc six mois à Paris pour organiser cette deuxième conférence, avec la participation, cette fois, des Israéliens et des Palestiniens, et maintenir en vie son « initiative ». Malgré l’aval, fin juin, du Conseil des affaires étrangères de l’UE, puis le soutien, début juillet, du Quartet, l’affaire s’annonçait mal.
Mais la perspective de l’élection présidentielle américaine et de la fin du mandat de Barack Obama laissait flotter un climat d’incertitude propice à toutes les rumeurs. Spéculant sur l’inimitié – réelle – entre le président américain et le premier ministre israélien et sur le dépit – tout aussi réel – de Barack Obama, face à l’échec de ses tentatives de médiation entre Israéliens et Palestiniens, des sources crédibles de la Maison Blanche et du Département d’État affirmaient qu’Obama avait l’intention de faire un geste spectaculaire en rapport avec le conflit israélo-palestinien avant de quitter la présidence.
Reculades françaises en série
L’interminable négociation entre les États-Unis et Israël, en cours depuis des mois, sur le renouvellement de l’aide financière américaine à l’armée israélienne semblait d’ailleurs offrir à Obama un levier exceptionnel pour agir sur le gouvernement Netanyahou. Alors que l’accord en cours (2009-2018) allouait à Israël un total de 30 milliards de dollars, l’accord signé en septembre porte sur un montant de 38 milliards, soit une augmentation de 20 %. C’est-à-dire l’aide militaire la plus généreuse de toute l’histoire des États-Unis.
En échange, Israël s’était engagé à ne pas construire de nouvelle colonie en Cisjordanie. Trois semaines après la signature de l’accord, alors que Barack Obama était en vol à destination de Tel-Aviv pour assister aux obsèques de Shimon Peres, le gouvernement israélien approuvait la construction de 300 nouveaux logements dans la colonie de Shilo, en Cisjordanie. À elle seule, cette séquence indiquait à quel point il était irréaliste d’attendre d’Israël la moindre concession.
Si Washington, son protecteur historique, n’était pas parvenu à obtenir même une trêve de la colonisation, et acceptait sans réagir un camouflet humiliant, comment Paris, loin de disposer des mêmes atouts, pouvait-il espérer obtenir, avant la fin de l’année, une volte-face d’Israël ? Sans l’avouer, le Quai d’Orsay avait intégré, dès septembre, la quasi-certitude d’un refus israélien, donc de l’impossibilité de réunir la seconde conférence et de maintenir en vie l’initiative française.

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L’important étant, selon un familier du dossier, de « redonner du souffle à la solution à deux États », l’émissaire français planchait sur des options de substitution reposant notamment sur l’activation du volet économique de l’initiative ou la mobilisation, dans les deux camps, des ONG et des associations favorables à la coexistence des deux États. C’est à ce moment que la résolution sur Jérusalem, adoptée en avril par l’Unesco, est revenue devant le Conseil exécutif de l’organisation pour être définitivement adoptée. Pour éviter les critiques adressées par Israël et ses amis au texte d’avril, les promoteurs du texte – Palestine, Égypte, Algérie, Maroc, Liban, Oman, Qatar et Soudan – avaient accepté de le modifier. Le document rappelait donc, à deux reprises, que la Vieille Ville de Jérusalem et ses remparts, mais aussi le tombeau des Patriarches à Hebron et la tombe de Rachel à Bethléem, « revêtent une importance religieuse pour le judaïsme, le christianisme et l’islam ».
Peine perdue. Non seulement plusieurs pays qui avaient voté en faveur du texte, parmi lesquels la France, ont choisi cette fois de s’abstenir – quatrième reculade –, ce qui n’a pas empêché la résolution d’être adoptée, mais Benjamin Netanyahou, sans même discuter le fond de la résolution, a sur-le-champ manifesté son indignation en affirmant que « l’Unesco avait perdu le peu de légitimité qui lui restait », avant de décider le retrait de son ambassadeur de l’organisation culturelle internationale. Début novembre, après cette ultime escarmouche où Paris avait, une nouvelle fois, reculé face à Israël, le sort de l’initiative française était définitivement scellé.
En visite à Jérusalem, pour une dernière tentative de relance du projet, l’émissaire français Pierre Vimont se heurtait à un mur. « On ne parviendra à un accord que par des négociations directes entre Israël et l’Autorité palestinienne, lui répétaient le conseiller à la sécurité nationale, Jacob Nagel, et le représentant spécial du premier ministre, Yitzhak Molcho. Israël ne participera donc à aucune conférence internationale quelle qu’elle soit, qui irait à l’encontre de cette position. »
Sèchement éconduit, contraint d’admettre son échec, Paris était fondé à manifester un mécontentement ostensible. Sa réponse fut, au contraire, une manifestation de coopération militaire inédite : durant deux semaines, en novembre, des avions de combat israéliens participèrent, pour la première fois dans l’histoire des relations entre les deux pays, à des manœuvres communes avec des Rafale de l’armée de l’air dans le ciel corse.
L’échec du projet français était pourtant d’autant plus clair que les informations en provenance de Washington, au lendemain de l’élection de Donald Trump, ne laissaient espérer aucun soutien américain. « Il est très peu probable, rapportaient les diplomates français, que Barack Obama prenne une dernière initiative à propos du processus de paix au Moyen-Orient. Pour deux raisons. Parce que, après la victoire de Trump, il tient à ce que la transition se déroule dans la sérénité, sans polémiques. Et parce que le dossier du processus de paix n’est la première priorité ni pour le gouvernement sortant, ni pour la prochaine équipe au pouvoir. »
Refus ferme et définitif d’Israël. Retraite en bon ordre de Washington. Passivité du monde arabe. Attentisme russe. Inconséquences et reculades françaises en série. Il ne reste plus aujourd’hui à Jean-Marc Ayrault et François Hollande qu’à annoncer officiellement l’échec de l’initiative française.