Berlin (Allemagne).– L’obligation vaccinale bientôt outre-Rhin ? Le nouveau ministre allemand de la santé Karl Lauterbach (SPD) la demande avec vigueur. Mais les signaux politiques en provenance de Berlin et des Länder ne plaident pas en faveur de cette option. Et ce, pas seulement parce que les télévisions retransmettent jour à près jour les images de milliers de manifestants antivax qui manifestent en se « promenant » plus ou moins paisiblement dans les villes allemandes.
« L’obligation vaccinale doit arriver rapidement. Nous ne pouvons pas attendre qu’une vaccination obligatoire devienne superflue, car nous avons une très forte contamination de la population », assure pourtant le social-démocrate Lauterbach, « député-médecin » bien connu des Allemands et qui bataille contre la pandémie depuis le début. Pour lui, croire que la contamination par Omicron pourrait amener rapidement à l’immunité collective et ainsi jouer le rôle d’un « vaccin sale », « ce n’est pas une alternative à la vaccination obligatoire. Ce serait très dangereux ».
C’est pour cela qu’à l’occasion de la rencontre de pilotage des mesures anti-Covid qui réunira, vendredi 7 janvier, le gouvernement et les représentants des seize Länder, le ministre compte demander l’accélération du processus parlementaire qui ne doit en principe démarrer que fin janvier et pourrait aboutir, au mieux, à une décision favorable en mars 2022. Mais il n’est pas certain qu’il soit entendu.
Volte-face
À l’origine, ce sont les mauvaises performances vaccinales de l’Allemagne au début de l’hiver et l’arrivée d’une cinquième vague pandémique qui ont conduit la nouvelle coalition au pouvoir à s’engager en faveur de l’introduction d’une obligation vaccinale générale. Fin novembre, le futur chancelier Olaf Scholz, toujours avare de formules claires et nettes, déclarait ainsi : « Ma proposition est que la date à laquelle tout le monde se sera fait vacciner ne soit pas trop éloignée, donc ma proposition : début février ou début mars. »
Olaf Scholz précisait néanmoins que la décision resterait dans les seules mains du Bundestag. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une procédure législative où chaque député vote en son âme et conscience sur une obligation générale de vaccination », ajoutait-il, éliminant de fait un vote soumis à la « discipline de groupe ».
Ses alliés verts et libéraux au gouvernement le suivaient également. Le vice-chancelier écologiste Robert Habeck expliquait dix jours plus tard que l’obligation vaccinale reste à ses yeux « l’intervention la plus douce, afin que nous ne soyons pas une société qui passe sans cesse de confinement en confinement ».
Quant à Christian Lindner, chef des libéraux et ministre des finances, il faisait volte-face avant les vacances de Noël, en déclarant que « l’obligation vaccinale est une épée très aiguisée, mais elle est reste proportionnée », après avoir considéré en septembre dernier qu’elle était au contraire « disproportionnée ».
Depuis, les positions du camp pro-obligation vaccinale n’ont cependant pas cessé de se détériorer.
« La campagne de vaccination fonctionne correctement pour le troisième vaccin, mais elle reste poussive pour les non-vaccinés qui représentent toujours environ 25 % de la population. Que ce soit des réactions à l’histoire allemande et au pouvoir central , par peur du vaccin ou par ignorance, le fait est que l’Allemagne a un noyau important de gens qui ne veulent pas se faire vacciner. Et pas mal de politiques doutent qu’avec l’obligation de vacciner, même en “raclant”, on puisse atteindre les 80 % », raconte un expert social-démocrate des questions de santé qui préfère conserver l’anonymat.
Registre des vaccinations
Dans un pays extrêmement procédurier et qui ne manque pas de dispositions sur la défense des libertés individuelles, l’introduction de l’obligation vaccinale pourrait aussi conduire à l’engorgement des tribunaux, craignent de nombreux juristes. Le premier obstacle est la Constitution allemande. L’article 2 y explique en effet que « toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique. La liberté de la personne est inviolable ». Il précise aussi qu’« il ne peut être porté atteinte à ces droits qu’en vertu d’une loi ».
Mais au droit de l’individu s’oppose cependant le droit de la communauté à être protégée et soignée, « à condition que la vaccination soit appropriée et nécessaire à cet effet et semble également proportionnée », note Ulrich Becker, directeur de l’Institut Max-Planck de droit social à Munich.

« C’est une jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale. Lorsqu’il s’agit de la protection de la vie et de l’intégrité corporelle, le législateur a une marge de manœuvre dans l’évaluation du danger. » Or la majorité des juristes estime que, dans le cas actuel, la proportionnalité ne fait pas de doute.
En revanche, des questions plus pratiques se posent. « Quand je me fais vacciner pour la rougeole, c’est une fois, pour la vie. Mais dans le cas du Covid, où l’on en est déjà à trois vaccinations, à quoi oblige l’obligation vaccinale ? », interroge l’expert social-démocrate. Par ailleurs, il attire l’attention sur l’épineux problème du registre des vaccinations : « Pour pouvoir contrôler l’application de l’obligation vaccinale, il faudrait enregistrer les vaccinations. Or Scholz est sceptique par rapport à un tel registre et les libéraux ou encore les experts de la protection des données sont contre. »
Pour toutes ces raisons, Bärbel Bas, présidente sociale-démocrate du Bundestag, pense qu’il faut prendre le temps de réfléchir à cette vaccination obligatoire sans se précipiter : « Si nous aboutissons en mars, ce sera tout à fait acceptable », estime celle qui fut longtemps l’experte santé du SPD au Parlement. « Avec un tel calendrier et avec le temps de tout mettre en place, il faut prendre conscience que l’obligation vaccinale ne devrait pas être opérationnelle avant l’hiver prochain », estime l’expert anonyme.
Face à cette situation et aux incertitudes que fait peser la diffusion rapide du variant Omicron, sans compter l’assurance du chancelier qu’un vote éventuel se ferait en son âme et conscience sans discipline de groupe, une partie des députés libéraux vient de se désolidariser de la ligne gouvernementale. Jeudi matin, Lisa Teuteberg, députée fédérale et ancienne secrétaire générale du FDP , a ainsi annoncé le dépôt futur d’une motion contre la vaccination obligatoire.
Le texte serait, selon elle, soutenu par au moins trente députés libéraux. Ce qui n’est pas négligeable quand on sait que la coalition de M. Scholz dispose de quarante-sept voix au-delà du minimum requis (369 sièges sur 736) pour une majorité parlementaire. Outre-Rhin, l’obligation vaccinale est donc loin d’être en boîte et pour l’instant, seule une loi votée le 10 décembre oblige les personnels soignants à être vaccinés.
Ce qui inspire le futur chef des conservateurs Friedrich Merz : « Une vaccination obligatoire générale soulève une série de questions éthiques, constitutionnelles et organisationnelles… Peut-être qu’une sorte de plan par étapes pour des obligations de vaccination de groupe pourrait aussi mener au but », a-t-il récemment expliqué.