180 jours, 18 heures, 32 minutes : ce sont les terribles chiffres qui se sont affichés sur le mur de la mairie de Paris-Centre jeudi 6 juillet en fin d’après-midi. Terribles car ils correspondent à la durée de détention dans les geôles des talibans de notre confrère Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, au moment précis où le compteur a été dévoilé. La machine fera dérouler le temps jusqu’à ce que Mortaza soit libre.
Mortaza Behboudi a été arrêté à Kaboul le 7 janvier 2023. Il était arrivé deux jours avant dans la capitale afghane et s’apprêtait à récupérer son accréditation presse, sans laquelle il est impossible de travailler en Afghanistan.
Le journaliste de 28 ans ne vivait plus dans son pays natal, mais il y retournait fréquemment pour son métier. Il a permis à nombre de professionnel·les français·es de comprendre, expliquer et montrer l’Afghanistan de ces dernières années en les aidant à pénétrer dans cette société bouleversée par des années de guerre et, depuis le 15 août 2021, le retour des talibans au pouvoir.
En seulement quelques années de journalisme, ce jeune homme a à son actif un travail considérable et plusieurs récompenses prestigieuses. Il a ainsi reçu en 2022, en même temps que les journalistes avec lesquelles il travaillait, le prix Bayeux des correspondants de guerre et celui de Varenne de la presse quotidienne nationale pour « À travers l’Afghanistan sous les talibans », écrit avec notre consœur Rachida El Azzouzi et publié dans nos colonnes, et le prix des lycéens et apprentis de Bayeux pour sa participation au reportage de France Télévisions Les petites filles afghanes vendues pour vivre.
Est-ce là la raison de son arrestation ? Les talibans n’en ont donné aucune sérieuse quand ils l’ont enfermé, ce 7 janvier 2023, sinon un défaut de présentation d’accréditation… celle qu’il allait justement récupérer.
Pendant 30 jours, les différentes rédactions pour lesquelles Mortaza avaient travaillé, de Mediapart à France Télévisions, en passant par Arte, La Croix, Libération, ont gardé le silence, espérant une issue rapide grâce à des canaux ouverts avec le gouvernement des talibans. C’est seulement quand elles ont rendu l’information publique que ce dernier a reconnu le détenir.
Une trop longue détention
La mobilisation est alors devenue nationale et des actions de soutien se sont déroulées un peu partout. Courageusement, l’épouse de Mortaza, Aleksandra Mostovaja, se bat pour que son mari revienne, à elle et au journalisme.
« Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un jour cela ferait six mois que mon mari franco-afghan serait emprisonné par les talibans à Kaboul, a-t-elle dit le 6 juillet, émue, devant le compteur. Je n’aurais jamais imaginé tomber à nouveau amoureuse de Mortaza à travers les histoires que racontent les autres, sur sa gentillesse et son esprit de sacrifice, lui qui n’a jamais su dire “non” à ceux qui lui demandent de l’aide. »
Le quotidien Ouest-France l’a surnommé le « reporter des sans-voix ». Il est vrai que, dans cette Afghanistan brisée, où une partie de la population est interdite de paraître et de parler, il portait la parole de ses concitoyen·nes les plus fragiles.
Il les connaît bien, lui qui vient de ces Afghans qui souffrent terriblement. Il appartient à l’ethnie des Hazaras, chiites maltraités par les fondamentalistes sunnites que sont les talibans. Comme nombre d’entre eux, sa famille a fui vers l’Iran. C’était en 1996, Mortaza avait deux ans. C’est jeune pour connaître les douleurs de l’exil et les affres de la pauvreté des exilé·es.
Il ne s’agit pas seulement de Mortaza. Il s’agit de la liberté d’expression, de la liberté de la presse.
À sept ans, il commence à travailler, dans une briqueterie. En 2012, il repart en Afghanistan, un appareil photo à la main. Il commence ainsi une carrière de photoreporter. Après un sujet sur le trafic d’opium, le voilà kidnappé et il évite de peu à l’exécution. Il fuit en France, y arrive en 2015 et connaît quelque temps le sort des jeunes exilés : il dort dans la rue et erre dans la capitale. Il trouve finalement refuge à la Maison des journalistes, qui accueille les professionnel·les de l’information en exil. Sa carrière est lancée, les rédactions s’arrachent le jeune homme devenu franco-afghan.
Les mobilisations comme celle de jeudi servent à donner des nouvelles du détenu. Les canaux de communication avec les talibans existent, et Reporters sans frontières (RSF), très mobilisée, les exploite autant que possible. Les querelles internes au sein du mouvement au pouvoir à Kaboul et du gouvernement ne facilitent pas les discussions, ni les avancées.
« Nos contacts avec les talibans, avec différentes parties des talibans et notamment avec le GDI, les services secrets, nous ont fait comprendre que le GDI avait envisagé la libération de Mortaza et qu’il avait fait machine arrière, dit à la tribune Christophe Deloire, le président de RSF. Nous avons sans doute été trop optimistes au début. »
Faire passer un message aux talibans
Les mobilisations servent aussi à transmettre des messages. Et celui de ce 6 juillet, comme celui des événements précédents en soutien à Mortaza, est à destination des talibans. Depuis Kaboul, ils les écoutent, et ici tout le monde en est persuadé. « Je sais que les talibans nous regardent et j’espère que Mortaza en sera plus protégé, assure Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la mairie de Paris et chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations. Les dictatures sont parfois sensibles à la communication et à ce qui se passe à Paris. »
Le comité de soutien espère que cette attention médiatique, diplomatique et politique aboutira à une décision pré-judiciaire, autrement dit une libération avant l’enclenchement d’une procédure judiciaire à Kaboul.
Ces 180 jours de détention ont été marqués sur l’ensemble du territoire. Plusieurs mairies parisiennes, celles du 17e et du 20e arrondissement, ont dévoilé des bandeaux sur leur fronton pour la libération du journaliste. Deux bateaux quitteront, l’un Marseille, l’autre Douarnenez, pour rallier symboliquement l’Afghanistan et ramener Mortaza Behboudi.

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« Il ne s’agit pas seulement de Mortaza, reprend Aleksandra Mostavaja, il s’agit de la liberté d’expression, de la liberté de la presse. »
Sofia Sakhi, journaliste d’Afghanistan International TV, basée à Londres, et elle-même en exil en France depuis avril 2021, le pense aussi : « Mortaza est un symbole. Un symbole de tous les journalistes afghans qui ont dû fuir leur pays ou qui sont empêchés d’exercer leur métier. »