Israël-Palestine: la duperie d’Oslo

Les élections israéliennes se tiennent mardi 17 mars. À cette occasion, notre confrère Pierre Puchot publie un livre La paix n’aura pas lieu, disent-ils. L'ouvrage détaille des espoirs de paix réduits en miettes et une «solution à deux États» que la colonisation et les guerres permanentes rendent impossible. Extraits.

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Au pouvoir depuis six années, Benjamin Netanyahou demeurera-t-il premier ministre israélien au terme des élections législatives qui se tiennent mardi 17 mars ? Rien n’est moins sûr tant le personnage est de plus en plus contesté pour ses politiques extrémistes, ses alliances, ses provocations, ses frasques même. En ce sens, son dernier voyage aux États-Unis, début mars, et l’irritation croissante manifestée à cette occasion par l’administration Obama, a illustré tout à la fois la force mais aussi l’usure de celui qui fait campagne sous son surnom favori de « Bibi ».

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Nétanyahou devant l'Aipac le 2 mars 2015 © Reuters

Une éventuelle défaite de Netanyahou ne devrait pas pour autant changer les contours du conflit israélo-palestinien. Il est d’ailleurs le grand absent de cette campagne électorale, aucun des grands partis israéliens n’évoquant ce que pourrait être une relance d’un « processus de paix » ruiné et à l’arrêt depuis des années malgré les gesticulations diplomatiques des États-Unis et de l’Europe.

Car les « années Netanyahou » auront réussi à repousser à un improbable horizon tout espoir d’un véritable accord israélo-palestinien pouvant déboucher sur une paix durable. Négociations à l’arrêt, colonisation de la Cisjordanie qui se poursuit, guerres récurrentes contre Gaza, pouvoir palestinien fracturé, société israélienne qui se radicalise… Toutes les évolutions de la dernière décennie vont à l’encontre de l’espoir né dans les années 1990 et dans la foulée des accords d’Oslo d’un accord mettant fin à un conflit qui est au cœur des tumultes du Moyen Orient.

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Depuis 2008, Pierre Puchot couvre pour Mediapart ce conflit israélo-palestinien. En se rendant régulièrement en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, et pas seulement pour y couvrir les guerres mais pour y raconter les sociétés palestiniennes et israéliennes ainsi que les débats qui les traversent. De ses reportages, de ses entretiens avec les acteurs palestiniens et israéliens, il a tiré un livre, publié ce jeudi 12 mars aux éditions Don Quichotte : La paix n’aura pas lieu, disent-ils. « Disent-ils », tant il nous faut malgré tout espérer même si la situation est aujourd’hui celle d’une guerre sans fin dans un chaos régional grandissant.

La lecture du livre de Pierre Puchot offre le constat glaçant d’une situation qui ne cesse d’empirer. Au point que « la solution de deux États, dans des frontières reconnues et sûres », mantra toujours énoncé par toutes les chancelleries occidentales, apparaît aujourd’hui impossible, détruite par les rivalités palestiniennes, les guerres à répétition à Gaza et une colonisation ayant fait de la Cisjordanie une juxtaposition de bantoustans.

Aussi faut-il revisiter le point de départ, ces fameux accords d’Oslo signés en 1993 et 1994 et qui devaient permettre l’établissement d’un État palestinien viable au-delà des frontières arrêtées à l’issue de la guerre de 1967. « C’est tout le contraire qui s’est passé », constate Pierre Puchot dans une longue préface. « En 2015, nul doute possible : Israël a utilisé Oslo pour rendre caduque la solution à deux États, dans une sorte de politique du fait accompli – la colonisation – puis par une tactique de guerre permanente comparable en bien des points à la doctrine américaine du containment telle que la comprenait Lyndon Johnson. » Retour à Oslo, donc : c’est l’objet de la préface de ce livre que nous publions dans les pages suivantes.

La duperie d’Oslo

Vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995[1], par un extrémiste juif. Depuis, le conflit au Proche-Orient est parvenu à un point de non-retour : la guerre à Gaza, à l’été 2014, en est la preuve flagrante. Tous les dix-huit mois, une nouvelle confrontation survient, et la question n’est plus de savoir si mais quand le prochain conflit armé éclatera. Vingt ans après la mort de Rabin et la signature des accords d’Oslo, Israël n’a jamais été aussi radicalisé à droite, son armée aussi violente. Gaza n’a jamais subi de destructions aussi massives ; jamais autant de roquettes n’ont été tirées par le Jihad islamique et le Hamas ; jamais autant de civils palestiniens n’ont péri sous les bombes israéliennes. Fin 2014, au lendemain de l’offensive « Bordure protectrice », la droite israélienne a promu davantage de lois ségrégationnistes à l’Assemblée. Jamais le fossé entre les deux peuples n’a paru si grand. Vingt ans après la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, comment en est-on arrivé-là ?

Oslo, tout d’abord : entérinant la création de l’Autorité palestinienne et prévoyant le retrait progressif des forces israéliennes des territoires occupés, la signature des accords en 1993‑1994 devait permettre à terme l’établissement d’un État palestinien viable au-delà des frontières arrêtées à l’issue de la guerre de 1967. C’est tout le contraire qui s’est passé. Sous la pression des États-Unis, l’Autorité palestinienne est devenue avec le temps un relais sécuritaire pour Israël. Et Oslo a conduit à la fragmentation de la Cisjordanie en plusieurs zones, A, B, C, utilisées par Israël pour isoler les Palestiniens entre eux et transformer ce territoire en une série de bantoustans. Au bout du compte, la situation est devenue bien plus problématique qu’avant 1994. Un seul coup d’œil aux cartes qui figurent au début de ce livre suffit pour s’en convaincre.

En 2015, nul doute possible : Israël a utilisé Oslo pour rendre caduque la solution à deux États, dans une sorte de politique du fait accompli – la colonisation – puis par une tactique de guerre permanente comparable en bien des points à la doctrine américaine du containment[2] telle que la comprenait Lyndon Johnson[3]. Toute analyse du conflit qui ne prendrait pas en compte cette politique de « grignotage » de Jérusalem et de la Cisjordanie pour commenter les confrontations répétées, notamment à Gaza, ne peut faire que fausse route et alimenter l’illusion née d’Oslo qu’une négociation bipartite entre Israéliens et Palestiniens est à la fois équitable et possible.

Car, pendant que le monde investissait ses espoirs dans le processus de paix, les forces opposées à la normalisation des relations israélo-palestiniennes et à la concrétisation d’une solution à deux États ont continué à œuvrer, au grand jour et sans entrave. « Rabin avait dit : il faut sécher les nah’alouyot (“implantations” en hébreu). Nous sommes venus nous installer ici après cela », reconnaît ainsi Yaëlle[4], partie de Jérusalem avec sa famille pour s’installer à Psagot, colonie située sur les hauteurs de Ramallah, en Cisjordanie. Tout au long des années deux mille, la colonisation s’est accélérée à un niveau jamais atteint par le passé, comme le confirment les rapports de l’ONG israélienne Peace Now. Pis : ce mouvement a pris une ampleur inédite à partir de 2005, année du retrait des 8 000 colons du Gush Katif, à Gaza[5]. Ce sont aujourd’hui 350 000 colons israéliens qui vivent dans de véritables villes en Cisjordanie, morcelant le territoire, rendant impossible l’établissement d’un État palestinien viable.

L’impasse actuelle n’est donc pas le résultat d’une fatalité pour ces deux peuples que rien ne pourrait permettre de cohabiter, ni même la conséquence d’une guerre de religion sans fin, mais bel et bien l’aboutissement d’un déséquilibre, d’un système de négociations bipartites biaisé, entre un État souverain (Israël) en capacité d’imposer sa politique de colonisation et une population (palestinienne) sans État ni leviers politiques pour y résister, au gouvernement divisé et qui n’a aucune contrepartie à offrir à Israël en échange d’un retrait de colons de Cisjordanie. Paradoxalement, alors même qu’ils en avaient fait la promotion, les accords d’Oslo ont signé l’arrêt de mort de la solution à deux États et du même coup réduit à néant les espoirs de paix à court terme. Nous reviendrons sur ces vingt années de négociations stériles et sur ce déséquilibre accentué par la passivité de la communauté internationale et l’absence de vision pour la région d’une administration Obama qui a failli à sa tâche.

Pourtant, entre deux opérations israéliennes, de « Plomb durci » en 2009 à « Bordure protectrice » en 2014, ces cinq dernières années ont vu émerger des tentatives spectaculaires de s’extraire de ces tractations. Sur le terrain, la période 2009‑2015 est aussi celle de la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU, de la « révolte des tentes » de l’été 2011[6], de l’élargissement du phénomène BDS (Boycott, désinvestissement, sanction)… La défaillance d’Oslo a en partie permis de sortir de l’obsession des négociations bipartites pour enclencher d’autres processus, y compris au sein d’une société israélienne dépolitisée malgré le mouvement social de l’été 2011. En 2008, l’affaire de la flottille et le meurtre par l’armée israélienne de neuf militants turcs au large de Gaza ont constitué un tournant dans l’opinion publique internationale, et contraint Israël à présenter ses excuses au voisin turc. L’analyse traditionnelle qui consistait pour le grand public à rejeter sur les deux parties la responsabilité du blocage des négociations est dès lors apparue comme dépassée.

D’autres mirages ont remplacé ceux d’Oslo

Les temps ont changé et, pour que rien ne change sur le terrain, d’autres mirages ont remplacé ceux d’Oslo, notamment la démarche, traitée de manière empressée et massive dans les médias internationaux, pour la reconnaissance à l’ONU de la Palestine comme 194e État. Pour bien comprendre comment la représentation du conflit au Proche-Orient ne correspond que de manière très marginale à la réalité des enjeux et du terrain, il est nécessaire de s’arrêter un temps sur ce processus d’adhésion à l’ONU et son contexte, qui renseignent à la fois sur les difficultés de l’Autorité palestinienne, la réalité du rapport de force diplomatique et de terrain, mais aussi sur les contradictions de l’opinion publique israélienne.

« Si les Palestiniens poursuivent dans leurs intentions de faire reconnaître leur État à l’ONU, Israël procédera à des représailles qui devront aller jusqu’à l’annexion d’une partie des implantations de Cisjordanie », nous confiait, en décembre 2010 dans sa demeure du Gush Etzion[7], Emmanuel Navon, professeur de relations internationales et candidat malheureux à la députation pour le parti de droite israélien Likoud. Un temps sceptiques, les autorités israéliennes commençaient alors tout juste à prendre au sérieux les démarches de l’Autorité palestinienne devant l’ONU et sa détermination.

Huit mois plus tard, au crépuscule de l’été 2011, saison toujours redoutable au Proche-Orient, le discours israélien officiel n’a guère évolué, d’autant plus après la venue de Barack Obama qui a apporté son soutien à la rhétorique israélienne en condamnant « l’initiative unilatérale palestinienne » : comprenez la volonté du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de demander la reconnaissance de l’État palestinien le 20 septembre 2011 devant l’Assemblée générale des Nations unies. À l’approche de l’échéance, le gouvernement israélien communique sur les risques d’une troisième intifada, entraîne et équipe désormais les colons de Cisjordanie de grenades à main et cartouches de gaz lacrymogène en prévision des manifestations qui pourraient avoir lieu en septembre[8]. Les diplomates continuent, eux, de s’alarmer du soutien à l’initiative palestinienne affiché de l’Espagne, ou chuchoté, comme c’est le cas de la France. « L’Europe est tombée amoureuse des Palestiniens, c’est irrationnel mais que pouvons-nous y faire ? » clame l’ancien ambassadeur d’Israël en Égypte, Tzvi Mazel.

Mais qu’en pensent réellement les Israéliens ? À Tel-Aviv, un mouvement social d’ampleur démontre à l’été 2011 à quel point toutes les lignes politiques sont désormais brouillées. « L’État palestinien ? Cela ne nous concerne pas, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, glisse Tal, étudiant de vingt-six ans qui a voté pour Liberman, le chef du parti d’extrême droite Israël Beitenou, en 2009. De toute façon, ce n’est pas ça qui fera bouger les Israéliens de Cisjordanie. Je ne crois pas que vous trouverez beaucoup de gens ici qui seront intéressés par votre question. On en a marre du conflit, marre d’entendre le gouvernement nous parler des Arabes pour cacher toutes nos difficultés économiques. Alors, un État palestinien à l’ONU, pourquoi pas ? »

Fin août 2011 à Jérusalem, les tentes sont moins nombreuses, « tout simplement parce qu’il y a moins d’étudiants qu’à Tel-Aviv », souffle Ohad, vingt-quatre ans, porte-parole du campement qui borde Ben Yehuda, l’une des principales artères touristiques de Jérusalem-Ouest. Lui a voté en 2009 pour Benjamin Nétanyahou, du Likoud, sans conviction : « Franchement, quelle différence ? Ni Nétanyahou, ni Livni, ni Barak ne se préoccupent du social et, du point de vue sécuritaire, c’est du pareil au même. Ce n’est pas comme si l’on avait une véritable offre politique en Israël. Pour l’État palestinien, ce qui m’embête, c’est qu’ils fassent cela en dehors de toutes négociations. Après, vous ne nous verrez pas défiler dans les rues pour protester, je vous le garantis. Ce que l’on veut, c’est pouvoir poursuivre et élargir notre mouvement malgré la rentrée scolaire, et sans se faire noyer par les conférences de presse de Bibi[9] sur la sécurité, Gaza ou les Palestiniens. »

Résumé par une tribune publiée par le quotidien israélien Haaretz, le fond de la pensée des Israéliens est proche de ceci : « Même si le mot “occupation” n’est pas prononcé, même si personne ne parle de l’État palestinien, le piège sécuritaire étouffant dans lequel les gouvernements successifs depuis quarante ans nous ont coincés ne nous permet plus de respirer. C’est pourquoi le mouvement social se poursuit[10]. »

Au milieu de cette remise en question de la société israélienne telle qu’elle se conçoit, l’initiative palestinienne, présentée dans la presse internationale comme le temps fort de l’année dans la région, passe au second plan. D’autant que les critiques les plus dures ne viennent pas des militants du Likoud de Nétanyahou… mais des Arabes israéliens, qui représentent 20 % de la population israélienne. « Ce ne sera pas notre État, ni celui de nos frères, mais celui de Salam Fayyad[11], qui cherche à attirer à lui la publicité des médias bien-pensants pour poursuivre ses projets immobiliers, qui n’enrichissent que son entourage », s’emporte Nasser, garagiste à Jaffa, ce port trois fois millénaire aujourd’hui relégué au statut touristique de « vieille ville » et quartier arabe pittoresque de Tel-Aviv.

La stratégie du Hamas

« Palestinienne d’Israël » née à Nazareth, en Galilée, Khouloud travaille, elle, depuis plus d’une décennie au sein d’ONG basées à Jérusalem-Est, sur les dossiers de l’eau, des destructions de maisons palestiniennes, des Palestiniens séparés de leur famille par le mur de séparation israélien… Pour elle, l’initiative de septembre n’est qu’un « État de papier » : « Sur le terrain, cela ne changera rien, cela ne donne que des faux espoirs au peuple palestinien. L’initiative devant l’ONU ne peut que conduire les Palestiniens à nourrir une plus grande illusion que nous obtenions un véritable État et que cela améliore la situation. Ce que l’Autorité palestinienne demande aux Nations unies, nous l’avons déjà : une délégation à l’ONU, et cætera. D’un peuple occupé à l’ONU, nous passerons au statut d’État occupé à l’ONU, qui ne nous protège en rien d’une nouvelle offensive israélienne. Rappelez-vous que, dans les années quatre-vingt-dix, nous vivions dans un calme relatif en Cisjordanie, comme aujourd’hui. Il a suffi de deux jours à Sharon en 2002[12] pour détruire notre société, cette “occupation 5 étoiles” que nous vivions alors, et que nous vivons actuellement… »

Au sein des Arabes israéliens, les motifs de scepticisme peuvent se résumer en cinq points :

1. Les Palestiniens font déjà l’objet de plus de 15 résolutions de l’ONU qui reconnaissent leurs droits, notamment à un État dans les frontières de 1967. Sur le papier, ils ont déjà ce que la démarche devant l’ONU peut leur apporter, et même davantage.

2. L’Autorité palestinienne joue avec le feu, car l’initiative contribue à focaliser l’ensemble du conflit sur le problème des frontières. Or, l’idée d’une solution à deux États est beaucoup plus complexe. Elle inclut les dossiers des réfugiés, de Jérusalem, de l’eau, de la souveraineté.

« Le problème n’est pas de fixer des frontières artificielles sur la ligne de 1967, alors même que nous n’avons pas accès à plus de 60 % de la Cisjordanie ; c’est absurde, juge Khouloud. Nous n’avons même pas accès à l’eau, qui est contrôlée par les Israéliens. Nous n’avons pas même le droit de rapatrier un seul réfugié, puisque ce sont les Israéliens qui détiennent les frontières, fournissent les papiers d’identité nécessaires et imposent leur accord pour chaque requête. Ce que nous propose l’AP, c’est un État en carton, sans droit. Le conflit va bien au-delà de la question de 1967. Ma crainte, c’est que cet État de pacotille n’aboutisse qu’à minimiser ce conflit aux yeux du monde entier. »

3. Entreprendre une initiative nationaliste de ce type nécessite un consensus au sein du peuple palestinien. Or la division entre Gaza et la Cisjordanie demeure une réalité tant politique que sur le terrain. En niant le vote en faveur du Hamas en 2006, l’AP de Cisjordanie ne représente pas les Palestiniens de Gaza et ne peut légitimement pas s’adresser en leur nom devant l’ONU.

4. L’AP demeure une organisation perçue comme corrompue, qui a perdu le soutien du peuple palestinien.

Les Palestine Papers[13] et l’imbroglio[14] du rapport Goldstone sont dans toutes les têtes. Aux yeux de la plupart des Arabes israéliens, cette initiative sert donc avant tout à améliorer l’image de l’AP. Khouloud, elle, plaide pour une stratégie alternative : « Ma suggestion pour l’AP est celle-ci : au lieu de demander un soutien de pays dont nous savons déjà qu’ils soutiennent notre démarche, comme les pays d’Amérique latine, demandons-leur de prendre des initiatives concrètes, comme le boycott ou la fin de la participation de leurs entreprises à la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie. Tant de pays du globe participent aujourd’hui, sur le plan économique, à la permanence de l’occupation israélienne, tout en la dénonçant sur le plan politique… » L’Autorité palestinienne n’a pas l’intention d’aller jusque-là.

En dehors de cette initiative onusienne, l’Autorité de Ramallah et le Fatah de Mahmoud Abbas n’ont plus aucun programme politique en ligne de mire, sinon de se raccrocher, dans une sorte de déni de la réalité, à l’idée d’une solution à deux États à laquelle il serait possible de parvenir par l’intermédiaire de négociations. Le mouvement Fatah et, au-delà, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sont incapables d’élaborer une stratégie alternative.

Le Hamas, lui, a bien une stratégie et fait preuve d’un grand pragmatisme pour se maintenir en vie, tantôt adoptant la posture de la résistance face à Israël et du pourfendeur de l’Autorité de Ramallah, tantôt négociant avec Tel-Aviv et Mahmoud Abbas jusqu’à accepter des accords désavantageux, comme ce fut le cas lors de l’accord pour la réunification interpalestinienne signé avec le Fatah en avril 2014. Quand l’engagement anti-israélien entraîne des réactions qui risquent de mettre en péril son existence, le Hamas rebrousse chemin : ce sont tous les cessez-le- feu et accalmies que le mouvement a négociés et respectés depuis sa création en 1987.

En avril 2014, avec la formation par les deux camps palestiniens du cabinet d’entente, le Hamas a considéré que continuer à revendiquer le contrôle du politique risquait de lui coûter beaucoup plus cher que ce qu’il pouvait en retirer. L’accord de réunification a cependant été condamné par Israël et, à la fin de l’été, le Hamas est sorti renforcé du conflit, son image revalorisée auprès des Palestiniens qui s’étaient pourtant largement détournés du mouvement depuis sa victoire aux élections de 2006. Le Hamas demeure un acteur incontournable qu’Israël ne peut rayer de la carte. Dans ce contexte, son retrait de la liste des entreprises terroristes de l’Union européenne[15] – qui doit. notamment lui permettre de faire valoir ses droits au financement international par le biais de l’Autorité palestinienne et donc de ne plus dépendre de soutiens financiers opaques venus de l’étranger, tel celui de l’Iran – est à considérer comme un premier pas vers une plus grande rationalité des diplomaties internationales, complètement dépassées depuis 2000 et le sommet de Camp David. Il faut tourner la page.

De nouvelles lectures du conflit

L’échec du processus d’Oslo permet de nouvelles lectures du conflit. Et engage de nouvelles questions : quelles sont les options pour former un cadre de négociations inédit ? Et avec quels acteurs ? En cinq années de reportages, d’entretiens, d’analyses et d’enquêtes au long cours, cet ouvrage décrypte les enjeux qui dicteront le paysage politique et social de demain, de la stratégie politique de la droite israélienne à celle du Hamas, de l’effondrement de la gauche à l’isolement progressif de l’Autorité palestinienne, des efforts stériles de départements d’État américain au soutien obsessionnel de François Hollande, de l’isolement de l’AP à l’essor de la campagne de boycott contre Israël, hier tabou, et qui fait désormais son chemin, y compris au sein de gouvernements de certains États européens. De la réappropriation par Israël de la doctrine du containment à l’arrivée au pouvoir des colons jusqu’à la toute-puissance de la droite israélienne en passant par la mise au jour de cette Palestine virtuelle proposée par l’AP et les diplomaties sans fin des composantes du Quartette, ce livre décrypte les événements israélo-palestiniens des cinq dernières années.

Sortir des illusions diplomatiques entretenues par les acteurs en responsabilité pour se donner une contenance, les montrer tels qu’ils sont, ainsi que leur politique, et faire avancer le débat grâce à une meilleure compréhension des enjeux et des possibles, tels sont les buts que s’est donnés l’auteur de cet ouvrage.


[1]. C’est en qualité de Premier ministre qu’Yitzhak Rabin, alors âgé de soixante-treize ans, a prononcé ce jour-là un discours lors d’une manifestation pour la paix sur la place des Rois de Tel-Aviv, quand il est atteint dans le dos par deux balles tirées à bout portant. Il décède à l’hôpital plus tard dans la soirée. Son assassin, Yigal Amir, est un juif israélien, étudiant en droit et opposé aux accords d’Oslo.

[2]. L’« endiguement » (containment, en anglais) est la stratégie de politique étrangère adoptée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, qui vise à stopper l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes en 1947 et à contrer les États susceptibles d’adopter le communisme. Il marque le début de la guerre froide.

[3]. Président des États-Unis de 1963 à 1969, Johnson décida de l’entrée en guerre des États-Unis au Vietnam.

[4]. Sauf mention contraire, toutes les citations sont issues d’entretiens avec l’auteur.

[5]. Regroupement de colonies israéliennes au sud de la bande de Gaza, sur une douzaine de kilomètres, du nord de Rafah au nord-est de Khan Younès.

[6]. Le mouvement pour des logements accessibles, aussi appelé « révolte des tentes », est un mouvement social contre le mal-logement urbain formé le 14 juillet 2011 en Israël.

[7]. Groupement de colonies au sud de la Cisjordanie.

[8]. Jonathan Lis et Amos Harel, « Knesset report slams Israel’s preparations for Palestinian statehood bid », Haaretz, 1er septembre 2011.

[9]. Surnom donné à Benjamin Nétanyahou.

[10]. Merav Michaeli, « Israel’s social protests are anything but dead »,

Haaretz, 21 août 2011.

[11]. Premier ministre palestinien de 2007 à 2013.

[12]. Cette année-là, le Premier ministre israélien refuse le plan de paix basé sur « la reconnaissance totale d’Israël en échange d’un retrait total des territoires occupés » proposé par le prince Abdallah d’Arabie Saoudite et lance la construction d’un mur entre la Cisjordanie et les territoires israéliens.

[13]. Mi-janvier 2011, la chaîne Al-Jazeera et le journal britannique The Guardian diffusent des documents confidentiels sur les négociations de paix israélo-palestiniennes de 2008. Ces 1 600 documents révèlent par le détail douze ans de discussions, mettant dans l’embarras Palestiniens comme Israéliens. Parmi ces centaines de mémos et mails internes, on apprend notamment que l’Autorité palestinienne était prête à de nombreuses concessions sur Jérusalem et sur le sort des réfugiés alors qu’au même moment elle affichait une fermeté sans concession. Les négociateurs avaient, selon un document daté du 15 janvier 2010, accepté l’annexion par Israël de toutes les colonies illégales, à l’exception de Jabal Abu Ghneim (Har Homa). À ce sujet, lire l’article de Virginie Guennec et Audrey Vucher, « Palestine Papers : douze ans de négociations sous la lumière crue », Mediapart, 24 janvier 2011.

[14]. Pierre Puchot, « Palestine : la deuxième mort de Yasser Arafat », Mediapart, 11 novembre 2009.

[15]. « Nous respectons l’arrêt du tribunal de l’UE de ce jour annulant les mesures prises contre le Hamas, à savoir sa désignation comme organisation terroriste et le gel de ses avoirs. Cette décision de justice se fonde clairement sur des motifs de procédure et n’implique aucune appréciation de fond par le tribunal sur la question de la qualification du Hamas comme groupe terroriste. Il s’agit d’une décision de justice d’un tribunal et non d’une décision politique prise par les gouvernements de l’UE. L’UE continue de respecter les principes énoncés par le Quartette. Les institutions de l’UE examinent attentivement la décision et se prononceront sur les options qui se présentent à elles. Elles prendront en temps voulu les mesures appropriées, dont un éventuel appel de la décision. En cas d’appel, les mesures restrictives restent d’application », déclaration du porte-parole de la Commission européenne sur l’arrêt du tribunal de l’UE concernant le Hamas, 17 décembre 2014.

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La paix n'aura pas lieu, disent-ils
Par Pierre Puchot
Éditions Don Quichotte
464 pages, 22 euros

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