Elle était au cœur de deux discussions au menu de jeudi 17 novembre, alors que la COP27 touche à sa fin : l’agriculture, principal émetteur d’un puissant gaz à effet de serre, le méthane, reste l’angle mort de la conférence onusienne pour le climat qui se tient en ce moment à Charm el-Cheikh, en Égypte. Aucun objectif contraignant ne se dégage pour le secteur, mais les blocages dans lesquels les délégations étaient embourbées la semaine dernière ont fini par être levés dans la soirée.
D’après le Giec (Groupe international d’experts pour le climat), agriculture et alimentation sont pourtant responsables de 37 % des émissions de gaz à effet de serre. Et à l’heure actuelle, seulement 1,7 % des financements publics pour le climat vont au secteur agricole.
Le premier de ces processus, c’est le « Pacte mondial sur le méthane », accord formé l’an dernier autour d’une centaine de pays lors de la COP de Glasgow (Écosse), et rejoint entre-temps par une cinquantaine de pays supplémentaires, pour réduire de 30 % les émissions de méthane d’ici à 2030. Ce cycle de négociations reprenait ce jeudi avec pour objectif la planification de cette réduction sur les sept années à venir.
C’est un engagement sur la base du volontariat, sans aucune contrainte vis-à-vis des entreprises comme des États, qui devrait, s’il est tenu, permettre une baisse de 0,2 degré à l’échelle du globe. Plusieurs États – dont ceux de l’Union européenne – ont publié leur stratégie, mais pas tous.

Problème : ce texte est peu loquace sur le principal secteur émetteur de méthane, à savoir l’agriculture. Il ne fixe même aucun objectif pour ce secteur, limitant les objectifs de réduction des émissions de méthane au secteur énergétique et à celui des déchets. Or d’après une étude parue cette semaine des ONG Changing market foundation et Institute for Agriculture & Trade Policy, l’élevage intensif se trouve être la principale source d’émission de ce puissant gaz à effet de serre sur la planète.
Les deux organisations ont évalué les émissions des quinze plus grosses entreprises mondiales de viande bovine et de produits laitiers. Leur résultat est accablant : le total de leurs émissions de méthane (CH4) serait plus important que celles d’un pays comme la Russie, pourtant plus gros producteur de gaz au monde. Or aucune de ces entreprises ne déclare les émissions de méthane de sa chaîne d’approvisionnement.
Autre enseignement, et non des moindres : la France figure en bonne place de ces gros pollueurs climatiques, avec Lactalis et Danone, respectivement responsables de 0,5 million et 0,2 million de tonnes de CH4. On trouve à leurs côtés Nestlé pour la Suisse, deux entreprises danoises, une société néerlandaise… ainsi que des groupes chinois, états-uniens, ou encore le géant brésilien JBS, champion toutes catégories (4,8 millions de tonnes de CH4). Au niveau de l’Union européenne, 53 % des émissions de méthane proviennent de l’élevage.
« Une réglementation efficace de l’élevage industriel est indispensable si nous voulons obtenir les réductions de méthane requises », lit-on dans le rapport, qui préconise une réduction « du nombre de têtes de bétail » et « des objectifs contraignants de réduction des GES et de méthane pour le secteur agricole ».
Nusa Urbancic, observatrice à la COP pour Changing Markets Foundation, explique à Mediapart : « Les prochaines années sont cruciales pour diminuer le méthane, car c’est un gaz très puissant qui vit une dizaine d’années dans l’atmosphère. Or nous avons un levier énorme à notre portée : la diminution de la consommation de viande et de produits laitiers. »
Parallèlement, et sans aucun lien avec le « pacte » sur le méthane – ce qui ajoute à la complexité et aux impasses de ces négociations climat –, un autre cycle de discussion, bloqué depuis le début de la semaine dernière, a finit par aboutir jeudi soir avec l’intervention de la présidence égyptienne de la COP, qui ne pouvait se permettre un échec diplomatique. Il s’agit de la procédure dite « de Koronivia » qui, depuis 2012, tente de tracer une feuille de route spécifique sur l’agriculture. La discussion à Charm el-Cheikh a révélé de profondes divisions sur le sujet ; le résultat est un texte très en deçà des défis posés par l’agriculture au regard du changement climatique.
Il ne fixe même pas un objectif de diminution des gaz à effet de serre émis par les activités agricoles : le terme « atténuation » (mitigation en anglais, langue de la COP), au cœur du blocage de nombreux pays du Sud qui voulaient surtout mettre en avant l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques et préserver leur sécurité alimentaire, apparaît dans le texte, mais pas dans le titre. Quant au terme « agroécologie », cher aux ONG qui défendent une agriculture moins toxique pour le climat et plus adaptée aux nouvelles conditions climatiques, n’apparaît pas du tout.
L’État le plus bloquant : l’Inde
« La France et l’Union européenne ont énormément poussé pour faire reconnaître l’agroécologie comme une orientation à prendre face au changement climatique, décrypte Marie Cosquer, d'Action contre la Faim, présente à la COP pendant la première semaine. Elles veulent aussi parler de système alimentaire, et pas seulement d’agriculture, afin de prendre en compte toutes les étapes des systèmes de production, comme le transport, la distribution et le gaspillage. »
Une position diplomatique notablement différente de celle que tient le gouvernement en France, où le soutien à l’agriculture industrielle prime sur le développement de l’agroécologie depuis le début du premier quinquennat Macron.
Face à la volonté européenne d’aller de l’avant sur la transition agroécologique, les blocages se trouvent surtout du côté des gros exportateurs de produits alimentaires : Brésil, États-Unis, Argentine. Des pays africains ont également rétropédalé sur le sujet, de peur de voir des financements conditionnés à des pratiques agroécologiques, alors qu’eux ne veulent se fermer aucune source de subventions.
Mais l’État le plus bloquant, de l’avis de plusieurs personnes observatrices des discussions à Charm el-Cheikh, c’est l’Inde, qui refuse, sur l’agriculture comme sur d’autres sujets, de fixer des objectifs de réduction des émissions.
L’enjeu n’est pas seulement lexical. Si au terme de ce processus de Koronivia, l’agriculture est reconnue comme un sujet central, cela créera une dynamique en faveur du financement : des donateurs pourront abonder des fonds.
Certes, sont in fine mentionnées dans le texte les pratiques agricoles moins émettrices de gaz à effet de serre. « Les paysans, y compris les petites fermes et les bergers, sont les gardiens de la terre et tendent à avoir des approches de gestion durable de la terre, peut-on lire. Leur vulnérabilité au changement climatique présente un défi pour remplir ce rôle important, et les réponses politiques en agriculture ont plus de chance de réussir si elles prennent en considération le rôle des paysans comme agents clés du changement. » Cependant aucun jalon n’est posé qui pourrait ouvrir la voie, par exemple, à une politique mondiale de plantage de haies dans les parcelles agricoles ou une diminution de l’usage des engrais azotés.
« Pour nous, la mention des paysannes et des paysans comme acteurs importants face au changement climatique est importante. Mais pas seulement dans le texte du processus de Koronivia. Aussi pour la déclaration finale de la COP27 », souligne la Philippine Ma Estrella Penunia, secrétaire générale de l’Association des paysans asiatiques pour un développement rural durable.
Une telle mention dans la déclaration finale serait une première dans l’histoire des conférences onusiennes sur le climat. Dans la version de travail qui circule depuis jeudi soir, toutefois, ni les techniques paysannes comme moyen de lutte contre le changement climatique ni l’agriculture ou le méthane comme source des émissions ne sont mentionnées. Et le seul objectif chiffré est une baisse de 45 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 2010. Pour les autres gaz à effet de serre, le texte se contente, à l’heure où nous écrivons ces lignes, de « profondes réductions ».