Berlin (Allemagne).– Avec l’arrêt de l’acheminement du gaz russe par les gazoducs Nord Stream 1 et 2, tout le monde en Allemagne et dans le monde entier l’a compris : sans ces importations, le coût du chauffage des maisons et du fonctionnement des entreprises est beaucoup plus élevé. Chaque ménage se demande : combien allons-nous dépenser pour nos factures de chauffage ? Des entreprises craignent pour leur existence même.
Mais la question, importante, de savoir comment l’Allemagne est devenue si dépendante du gaz russe a reçu moins d’attention. Une réponse évidente est que pendant des années, le gaz russe du géant de l’énergie Gazprom semblait bon marché. Mais derrière se cachaient des réseaux de femmes et d’hommes politiques, de dirigeant·es du secteur de l’énergie et d’avocat·es qui ont conduit l’Allemagne sur la voie dangereuse de la dépendance.
Si certains de ces éléments sont déjà connus, Correctiv présente pour la première fois un tableau complet de ce lobbying russe de Gazprom en Allemagne.
Il est évident que la Russie a cherché à utiliser les gazoducs pour renforcer son influence sur l’Allemagne. À cette fin et pendant de nombreuses années, elle a systématiquement mis en place des organisations discrètes qui ont ciblé des responsables politiques allemands – tant du parti social-démocrate de centre-gauche (SPD) que du bloc conservateur CDU/CSU qui a formé le gouvernement de coalition du pays jusqu’en 2021 – pour qu’ils soutiennent l’augmentation des fournitures de gaz en provenance de Russie.

Ces manœuvres ont porté leurs fruits. Au début de l’année 2022, plus de la moitié du gaz allemand provenait de Russie. Et il y avait des plans très avancés pour augmenter encore plus ce pourcentage. Il faut souligner que l’approbation par l’Allemagne du gazoduc Nord Stream 2 en 2018 a provoqué une fracture entre Berlin et ses voisins d’Europe orientale, inquiets de l’expansionnisme russe.
L’Allemagne rendue vulnérable au chantage
L’enquête de Correctiv menée en coopération avec Policy Network Analytis (PNA), une initiative privée pour la transparence en politique, montre pour la première fois l’étendue du réseau de lobbying. On n’y trouve pas que Gerhard Schröder, l’ancien chancelier social-démocrate, qui, peu après son départ du pouvoir en 2005, est devenu le lobbyiste le plus connu pour les intérêts russes en Allemagne.
Si des responsables conservateurs sont également impliqués, plusieurs hauts responsables du SPD se sont joints à Schröder pour servir les intérêts de la Russie en Allemagne. Outre ces sociaux-démocrates de premier plan, notre enquête a permis d’identifier deux régions clés : le Land côtier de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale qui borde la mer Baltique, et celui oriental de Saxe, qui faisaient tous deux partie de la RDA sous contrôle soviétique. Les Länder jouent un rôle important dans certains domaines politiques et tant le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale que la Saxe étaient stratégiques pour la Russie comme points d’entrée pour ses pipelines.
Dans les deux Länder, les responsables politiques dépendant des structures de pouvoir du SPD et de la CDU ont assisté avec empressement à des événements organisés par des associations qui semblaient se préoccuper avant tout des bonnes relations germano-russes. Ces événements comprenaient des festivals de musique sponsorisés et des forums. Mais l’intérêt était d’abord de coopter des politiques de premier plan et, dans le cas du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, son ministre-président. Le résultat est que l’Allemagne est devenue vulnérable au chantage politique et économique russe.
Les associations, forums et événements peuvent sembler inoffensifs au premier abord, mais ils suivent un certain schéma qui remonte toujours aux intérêts de Gazprom ou de l’État russe lui-même. Ce lobbying n’est pas en soi illégal en Allemagne, mais à travers les contacts permanents et les discussions avec les stratèges russes, les dirigeants politiques du pays ont perdu de vue les acteurs étatiques entre les mains desquels ils ont placé plus de la moitié de l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne.
VNG : l’entreprise derrière un réseau d’associations apparemment inoffensives
Parmi les 75 membres de la délégation russe qui s’est rendue à Nuremberg en avril 2012 pour la cinquième « Deutsch-Russische Rohstoff-Konferenz » (DR-RK ou Conférence germano-russe sur les matières premières), un ressortissant allemand basé à Moscou se distingue.
Falk Tischendorf, qui n’a pas répondu à nos questions, a travaillé au bureau moscovite du cabinet d’avocats d’affaires Beiten Burkhardt (il est aujourd’hui associé du cabinet, qui a été rebaptisé Advant Beiten). Cet avocat allemand conseille les entreprises internationales présentes en Russie depuis le début des années 2000. Son nom apparaît en permanence dans le réseau des dirigeants politiques impliqués qui ont participé aux conférences, ainsi que dans la création de diverses associations liées à la Russie.
Lors de la conférence de Nuremberg en 2012, des hommes d’affaires allemands et russes ont rencontré des politiciens pour discuter de la coopération germano-russe dans le domaine des ressources naturelles. Parmi les intervenants figuraient d’anciens responsables de la CSU tels que Klaus Töpfer et Edmund Stoiber, ainsi que le futur ministre-président de Bavière Markus Söder.
Le président d’une association au nom très similaire, « Deutsch-Russische Rohstoff-Forum » (DR-RF ou Forum germano-russe sur les matières premières), a rédigé un discours de bienvenue pour la Conférence germano-russe sur les matières premières. Dans les réseaux du lobby du gaz, des noms d’associations et d’événements qui se ressemblent à s’y méprendre ne cessent d’apparaître.
Ce n’est certainement pas une coïncidence et cette confusion est souhaitée. Les différents forums et associations prétendent être remplis de personnes engagées. En réalité, les mêmes parties prenantes et les mêmes politiciens se réunissaient encore et encore. Les discours étaient interchangeables, le message invariable : la coopération avec la Russie en matière de ressources naturelles doit être renforcée.
L’homme qui a rédigé le discours de bienvenue à la conférence de 2012 était Bernd Kaltefleiter, un cadre de la société énergétique VNG (Verbundnetz Gas) basée à Leipzig. Celui-ci est également membre du conseil d’administration d’une association dont les conférences ont fréquemment réuni des politiciens et des lobbyistes, anciens et actuels.
Les recherches montrent que VNG a été liée à plusieurs organisations ou événements de lobbying prorusses ces dernières années. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, cette activité a cessé. L’association affirme ne recevoir aucun fonds de la Russie et représente les intérêts allemands et européens en matière de politique énergétique.
Matthias Platzeck, un ancien ministre SPD président du Land oriental de Brandebourg, connu depuis longtemps pour ses liens étroits avec la Russie, était également impliqué dans une fondation distincte dépendant de VNG.
Quelle est cette société dont les dirigeants s’impliquent dans toute une série de fondations, d’associations et de conférences portant des noms aux consonances confuses qui relient les intérêts russes et la politique allemande ?

Le groupe VNG a récemment fait les gros titres en Allemagne lorsqu’il a demandé des milliards d’euros d’aide publique – le chiffre exact n’a pas été divulgué – en réponse aux turbulences sur les marchés du gaz.
VNG est l’un des principaux importateurs de gaz en Allemagne et entretient des liens avec la Russie depuis des décennies. Début septembre, VNG a fait appel au gouvernement fédéral parce qu’il n’avait plus accès au gaz qu’il avait l’habitude d’acheter à la Russie.
La crise énergétique a également frappé durement d’autres importateurs de gaz. Mais VNG se distingue par sa dépendance choisie vis-à-vis de Moscou. Depuis les années 1970, VNG achète son gaz à la Russie dans le cadre de contrats de fourniture à long terme. De nombreuses municipalités d’Allemagne de l’Est détiennent des parts dans l’entreprise, bien que le propriétaire majoritaire soit la compagnie d’électricité allemande EnBW.
Le lien avec la Russie est encore plus évident au sein du conseil de surveillance de VNG, dont Matthias Warnig a été membre pendant plus de cinq ans. Ancien officier des services secrets de la Stasi en RDA et directeur général de Nord Stream 2, Matthias Warnig est un proche confident de Vladimir Poutine et de Gerhard Schröder. Il figure désormais sur la liste des personnalités visées par les sanctions américaines.

Avec un chiffre d’affaires de près de dix milliards d’euros, le groupe basé à Leipzig était indissociablement lié au secteur gazier russe. Mais pas seulement. VNG et Gazprom possèdent conjointement la grande installation de stockage de gaz de Peissen, dans le Schleswig-Holstein, un Land du nord de l’Allemagne. En 2019, VNG a signé de nouveaux contrats à long terme avec Gazprom après l’expiration des anciens contrats d’approvisionnement de la RDA. VNG avait de nombreuses raisons de promouvoir les intérêts russes en Allemagne.
Et il l’a fait à l’aide de conférences où se sont également réunis des responsables politiques. VNG se défend de l’accusation de promouvoir les intérêts gaziers russes. Les conférences visaient à échanger des connaissances, dit l’entreprise, et à formuler des positions allemandes et européennes sur des questions telles que les ressources naturelles et le changement climatique, en consultation avec des représentants russes.
L’une de ces conférences était donc le Forum germano-russe sur les matières premières, cofondé par le groupe VNG. Cet événement de trois jours a eu lieu chaque année de 2007 jusqu’à la pandémie de Covid-19, soit 13 événements au total. On trouve encore sur Internet des vidéos de participants à Saint-Pétersbourg et à Düsseldorf discutant de l’importance de la coopération russo-allemande pendant la journée, et plus tard le soir, profitant de divertissements somptueux dans des châteaux ou des hôtels de luxe de Saint-Pétersbourg.
Ce qui est frappant – et cela vaut également pour l’ensemble du réseau –, c’est l’écrasante prépondérance des hommes. À Düsseldorf en 2016, par exemple, plus de 70 hommes ont pris la parole, alors que moins de 10 femmes étaient présentes.
L’ancien ministre fédéral de l’économie Sigmar Gabriel (SPD) et le ministre-président de Saxe Michael Kretschmer (CDU) étaient également des participants réguliers. Le ministre de l’époque, Sigmar Gabriel, s’est prononcé en 2016 en faveur de la fin des sanctions imposées à la Russie après l’annexion de la Crimée par l’occupant en 2014. Pas plus tard qu’en 2021, Michael Kretschmer a fait une apparition au forum.
Ce dernier a agi à plusieurs reprises en tant que défenseur des intérêts russes, s’exprimant également contre les sanctions imposées après l’annexion de la Crimée et appelant plus récemment à des négociations de paix avec la Russie. Il a toutefois laissé une question sans réponse. Qu’est-ce qui pousse un premier ministre allemand à se transformer en défenseur d’une autocratie ? L’une des raisons pourrait être que lorsque VNG et d’autres entreprises de Saxe ayant des activités en Russie ont obtenu de bons résultats, son État en a profité.
Mais son parti en a également profité. VNG a sponsorisé des événements de la CDU, à son propre compte, à hauteur de plusieurs milliers d’euros par an. Les groupes du parti CDU se sont réunis parfois dans les locaux de VNG pour leurs événements.
Discussions sur le gaz à la Fondation CDU
Mais le réseau de lobbying prorusse ne s’est pas limité aux politiques et aux entreprises. Il s’est également approprié des organisations prétendument à but non lucratif. Par exemple, la table ronde douteuse des « Deutsch-Russischen Zukunftsforen » (DR-ZF ou Forums de l’avenir germano-russe) qui se tient régulièrement depuis 2008 au château de Wackerbarth, près de Dresde, créée par la Fondation Konrad-Adenauer, affiliée à la CDU, et parrainée par VNG.
Le réseau de lobbying prorusse s’y réunissait aussi régulièrement. L’un des orateurs de l’événement de 2012, par exemple, était le cadre de VNG Bernhard Kaltefleiter, présenté dans le programme comme le directeur de la communication d’entreprise de VNG.
Dans son discours, celui-ci a souligné que VNG avait « contribué à soutenir » la création d’un programme de maîtrise en économie de l’énergie internationale et en administration des affaires entre l’université de Leipzig et l’Institut d’État des relations internationales de Moscou. L’objectif, expliquait-il, était de consolider davantage le dialogue entre la Russie et l’Allemagne, et de « préparer le terrain pour une coopération intellectuelle dans le secteur de l’énergie ».
La Fondation Adenauer, qui, selon ses statuts, poursuit des « objectifs directement caritatifs » sur une base chrétienne-démocrate, avait déjà entretenu des liens étroits avec des représentants de Poutine auparavant. En 2007, le parti de Poutine a fondé à Berlin l’antenne européenne d’un groupe de réflexion. Il a rapidement organisé une conférence lors de laquelle des représentants de la Fondation Adenauer ont également pris la parole.
Aujourd’hui, Jochen Blind, porte-parole de la Fondation Adenauer, explique que cette coopération correspond à une période « où les conditions et le cadre des relations avec la Russie étaient différents ». Mais les Forums de l’avenir ont continué à avoir lieu jusqu’en 2021, soit bien après l’annexion de la Crimée en 2014 et les sanctions imposées à la Russie dans la foulée. La fondation explique qu’elle voulait « maintenir des fils de conversation dans les conditions les plus difficiles et clarifier ses propres positions ».
Le lobby prorusse dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale
Dans la ville de Wismar (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), Falk Tischendorf était l’un des quelque vingt membres fondateurs de l’Ostinstitut e.V., créé en 2009. L’ancien ministre de l’économie du SPD Wolfgang Clement en était un autre. L’un des objectifs de l’institut, selon ses statuts, est de rechercher des échanges avec les pays voisins de la région de la mer Baltique sur des questions juridiques. Sur la liste des membres fondateurs, qui a depuis disparu du site web de l’institut, figurait également un représentant de haut rang de l’ambassade de Russie à Berlin.
La Russie a joué un rôle important dans le travail de fond de l’institut, qui affirme également avoir reçu de plus petites sommes de Nord Stream 2 – trois paiements de 5 000 euros. Mais l’institut affirme avoir peu de liens avec le secteur extractif et avoir mis en œuvre des projets dans plusieurs autres pays d’Europe de l’Est, dont l’Ukraine. Six professeurs de la ville ukrainienne de Kharkiv sont actuellement des boursiers invités à Wismar.

Falk Tischendorf a également été actif dans le Land au cours des années suivantes. En 2016, l’avocat, déjà présent dans le réseau VNG, a été nommé représentant de la Russie pour le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.
L’État russe a donc nommé un lobbyiste allemand prorusse comme son émissaire officiel. C’est l’aboutissement de nombreuses années d’efforts de lobbying de la part de la Russie pour garantir ses intérêts politiques dans un État où ses gazoducs atterrissent. Comme en Saxe, d’anciens politiciens allemands et un certain nombre d’associations apparemment inoffensives ont participé à cet effort, mais ils ont constitué l’épine dorsale des réseaux de lobbying prorusses.
C’est toujours le même schéma : le lobby du gaz s’introduit dans la politique allemande par la petite porte, sous couvert d’associations et de forums. La société russe contrôlée par l’État, Gazprom, est apparemment aussi liée à l’ambassade de Russie. Pendant des années, Gazprom n’est apparu ouvertement que dans son rôle de sponsor de l’équipe de football de Bundesliga Schalke 04, basée dans l’État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Pour le reste, le lobby gazier russe opérait à l’abri du regard du public.
Un « avant-poste » russe en Allemagne ?
Prenons l’exemple d’une soirée d’automne 2020 où des grands du SPD et des représentants de l’industrie gazière russe se sont rencontrés dans une ancienne centrale électrique au charbon. Dans la centrale de Peenemünde, à la limite nord de l’île d’Usedom, célèbre pour avoir été le site de production des fusées V2 de l’Allemagne nazie, ils ont assisté au festival de musique d’Usedom, l’un des plus grands événements culturels du Mecklembourg.
L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, la première ministre du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale Manuela Schwesig et l’ancien espion de la Stasi Matthias Warnig, qui dirigeait alors le gazoduc Nord Stream, figuraient parmi les invité·es.
Nord Stream s’est impliqué comme l’un des plus grands mécènes des concerts classiques sur l’île. Mais si l’on examine les réseaux à l’origine de ces événements, on peut se faire une idée précise de la situation. Beethoven et Mozart sont peut-être ce qui intéresse le grand public, mais, en arrière-plan, il est évident qu’il s’agit de gaz.
En septembre 2022, il y a eu de la musique classique sur l’île de la mer Baltique. Mais, en raison de la guerre russe en Ukraine, les grands donateurs ont manqué à l’appel. Seuls restent huit sponsors – tous locaux –, dont les restaurants des environs et une librairie. Dans les archives web, en revanche, il est encore possible de retrouver l’importance des sponsors liés à la Russie, du gazoduc Nord Stream à la compagnie d’électricité locale Energie Vorpommern.
Selon la chancellerie d’État du Land, la réunion de 2020 où figurait Schröder était un « dîner », pas une réunion de travail, ajoutant que Manuela Schwesig ne faisait « pas partie d’un réseau russe dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale ».

Mais, par le passé, Manuela Schwesig était heureuse de reconnaître ses bonnes relations avec la Russie. En 2018, lors d’un événement organisé au ministère fédéral des affaires étrangères à Berlin par le Forum germano-russe, Heiko Maas, alors ministre SPD des affaires étrangères, et Sergueï Lavrov, son homologue russe, lui ont remis un prix devant 900 invité·es. Il célébrait le partenariat régional entre le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et la région dite de Leningrad (oblast) autour de Saint-Pétersbourg.
Le Forum germano-russe était l’une des nombreuses organisations liées à la Russie. À une époque, le vice-ministre de l’industrie et du commerce de la Fédération de Russie, Vassili Osmakov, avait qualifié le Land d’« avant-poste en Europe ».
Il existe dans cet État de nombreuses organisations russes portant des noms à consonance similaire. Par exemple, le festival annuel « Russland-Tag » (Journée de la Russie), qui se tient à Rostock et qui est également parrainé par des filiales de Gazprom.
Andreï Zverev, alors représentant du ministère russe de l’économie à Berlin, a expliqué en 2014 dans une interview au quotidien allemand Die Welt pourquoi son ministère était impliqué dans les Länder : les embargos au niveau fédéral étaient néfastes pour les entreprises, mais celles-ci pouvaient compter sur la coopération avec les États fédérés.
La Verein Deutsch-Russische Partnerschaft (VDRP ou Association de partenariat germano-russe), dont le président est Erwin Sellering, ancien ministre-président SPD du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, était une autre de ces créatures du lobby. À plusieurs reprises, un représentant de l’industrie gazière russe a également siégé au conseil d’administration de la VDRP.
Le siège de la VDRP est situé Lindenstrasse 1, à Schwerin, capitale du Land. C’est ici que la Stiftung Klima und Umweltschutz MV (Fondation pour la protection du climat et de l’environnement du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) de la ministre-présidente Manuela Schwesig avait ses bureaux.
Cette fondation, financée par Gazprom, était censée lancer des projets environnementaux. En réalité, elle semble avoir été un mécanisme à peine déguisé pour contourner les sanctions américaines contre le gazoduc Nord Stream 2. Par exemple, elle a exploité les navires qui ont terminé les travaux sur le gazoduc de la mer Baltique lorsque d’autres entreprises se sont retirées du projet.
Ces camarades du SPD et ces envoyés de Moscou représentaient un petit cercle à Schwerin, qui se réunissait sans fin et promouvait, souvent sous couvert d’événements culturels et sportifs, les mégaprojets gaziers tels que Nord Stream 2.
Ce n’est que depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie que le gouvernement du Land a tenté de prendre ses distances avec la Russie. L’association de partenariat germano-russe ne recevra plus à l’avenir de fonds – à ce jour, elle a bénéficié de 250 000 euros. La fondation de Manuela Schwesig sera dissoute lorsque ses activités économiques auront été liquidées, a déclaré la chancellerie du Land.
Le lobbying russe au sein du SPD
Au conseil d’administration du Forum germano-russe qui a remis son prix à Manuela Schwesig en 2018, il y avait aussi un homme de Hanovre, capitale du Land de Basse-Saxe (distinct de la Saxe), du nom de Heino Wiese. Il n’est connu que de quelques personnes, c’est un protagoniste important du réseau. Wiese est un responsable du SPD, dont de nombreux ténors ont eu beaucoup de mal à rompre avec la Russie, même après le 24 février.
Le champion le plus en vue du réseau de lobbying entre la Russie et le SPD est sans aucun doute Gerhard Schröder, chancelier allemand de 1999 à 2005. Son amitié avec Poutine est apparue clairement à Noël 2001 lors d’une promenade en traîneau tiré par des chevaux près de Moscou.
Cette rencontre a été suivie de la remise d’un doctorat honorifique de l’université de Saint-Pétersbourg, au cours de laquelle Schröder a qualifié Poutine de « démocrate sans faille ». Plus tard, Schröder adoptera deux enfants d’un orphelinat de Saint-Pétersbourg et deviendra président du conseil de surveillance de l’opérateur de gazoduc Nord Stream. Aujourd’hui encore, il reste fidèle à Poutine.
Mais les puissants géants de l’énergie venus de Russie avaient bien d’autres défenseurs au sein du SPD. On connaît bien Sigmar Gabriel, qui en 2015, en tant que ministre allemand de l’économie, était en partie responsable de la mise entre les mains des Russes des installations allemandes de stockage de gaz.
Gabriel ainsi que Schröder et Erwin Sellering, le prédécesseur de Manuela Schwesig au poste de premier ministre du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, ont par la suite publiquement mis en doute l’accusation selon laquelle Poutine était responsable de l’empoisonnement en 2020 du chef de l’opposition russe Alexeï Navalny. Gabriel a refusé de répondre aux questions de Correctiv concernant son travail de lobbying, menaçant même de prendre « des mesures juridiques contre [Correctiv] ».

Revenons à Heino Wiese, qui a applaudi Manuela Schwesig au Forum germano-russe. Depuis 1990, celui-ci est directeur général du district SPD de Hanovre et de l’association du Land de Basse-Saxe. L’homme du SPD a été étroitement associé à Gerhard Schröder, puis à Sigmar Gabriel, dont il a été le directeur de campagne. Membre du Bundestag (Parlement allemand) de 1998 à 2002, il a fondé en 2006 la société de conseil Wiese Consult à Berlin.
En 2016, Heino Wiese a été nommé consul honoraire de Russie à Hanovre, changeant ainsi de camp, passant de la politique étatique allemande à la politique russe. Au cours de ces années, il s’est également montré généreux envers son propre parti. Entre 2009 et 2017, le SPD de Hanovre a reçu près de 50 000 euros de la part de Wiese et de son cabinet de conseil, y compris pendant quelques années lorsqu’il était consul honoraire de Russie.
Wiese aurait dit un jour du ministre de l’économie Sigmar Gabriel : « Je l’ai travaillé sur la question de la Russie. » Pendant une courte période, Gabriel a détenu des parts dans une société de conseil appartenant à Wiese, appelée VIB International Strategy Group.
Heino Wiese n’a pas répondu aux questions de Correctiv.
Les trois hommes, Wiese, Gabriel et Schröder, ont soutenu le gazoduc Nord Stream lors d’apparitions publiques et ont appelé à plusieurs reprises à la fin des sanctions sous conditions contre la Russie. Peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février, Wiese a annoncé qu’il avait démissionné de son poste de consul honoraire « avec une profonde tristesse ». Il a toutefois ajouté qu’il continuerait à travailler au sein du Forum germano-russe et de la Chambre germano-russe du commerce extérieur à Moscou pour améliorer les relations entre la Russie et l’Allemagne.
La stratégie de lobbying de Gazprom a fonctionné
La « Hanover Connection », c’est-à-dire l’alliance de figures de la politique et des affaires autour de Gerhard Schröder, a certainement porté ses fruits pour la Russie. Gazprom a pu faire passer son deuxième gazoduc Nord Stream, acheter des installations de stockage de gaz en Allemagne et faire en sorte que la dépendance allemande au gaz russe dépasse les 50 %.
Le réseau de lobbying a également bien fonctionné dans les deux Länder d’Allemagne orientale, la Saxe et le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, qui sont cruciaux pour l’arrivée du gaz russe en Allemagne.
L’influence de l’industrie gazière russe sur l’Allemagne est remarquable parce qu’elle est passée par beaucoup de structures camouflées dans lesquelles les politiques allemands de la CDU et du SPD étaient heureux d’être impliqués. Les schémas sont les mêmes, qu’il s’agisse de l’influence en Saxe en raison de l’approvisionnement en gaz ou dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale en raison du gazoduc ou d’une ligne de communication directe avec le gouvernement fédéral allemand.
Les connexions utilisées par le secteur gazier russe et ses partenaires commerciaux sont déroutantes. Nous avons donc cherché à nous concentrer sur les canaux les plus importants. Pour avoir une idée des réseaux ramifiés, d’autres connexions sont énumérées ci-dessous. Elles n’ont pas toutes la même importance, il y a des différences entre les membres du conseil de surveillance des entreprises gazières et les intervenants lors d’un événement de lobbying, mais toutes celles qui sont mentionnées ont fait en sorte de se laisser attirer.
Notre enquête sur le lobbying en faveur du gaz russe n’est pas terminée. Nous complétons constamment nos conclusions, non seulement pour déterminer qui est impliqué, mais aussi pour exposer les structures de ces réseaux de lobbying.
Dans pratiquement aucun autre domaine de la vie publique, l’effet de l’influence étrangère sur la politique allemande n’est aussi évident. Et dans aucun autre domaine, les conséquences de cette influence ne sont aussi graves et étendues que dans le cas du gaz russe.