Réforme des retraites : le Sénat progresse lentement

Deux articles du projet de réforme des retraites ont été votés dans le courant du week-end au Sénat. Si l’ambiance n’était pas aussi électrique qu’à l’Assemblée, l’opposition de gauche a bataillé à coup d’amendements et de débats à rallonge. La chambre haute a même évoqué son propre régime de retraites.

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La gauche s’attarde, la droite s’efface et l’exécutif trépigne. L’examen du projet de réforme des retraites est entré dans le dur ce week-end. Mais avance mollement. Dans la nuit de dimanche à lundi, à la clôture de séance, deux articles avaient été examinés et votés, sur les vingt et un que compte le texte.

Le premier article prévoit la fin progressive de certains régimes spéciaux pour les salarié·es nouvellement embauché·es en 2023. Le second, qui avait été rejeté par l’Assemblée nationale, instaure la création d’un « index senior », obligeant les entreprises de plus de trois cents salarié·es à répertorier le nombre de seniors en emploi dans leur établissement. Dans la version initiale du texte, ce chiffre était porté à cinquante salarié·es.

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Olivier Dussopt venu défendre le texte au Sénat. © Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Après le fiasco de l’Assemblée – moins de trois articles examinés en deux semaines – l’exécutif espère que la chambre haute examinera rapidement l’article 7, qui reporte l’âge légal. Un souhait qui risque de ne pas être exaucé. Plus de 4 700 amendements ont été déposés sur le texte, dont une majorité par les sénateurs de gauche.

Si la majorité de droite et du centre a pris soin de peu s’exprimer pour ne pas ralentir davantage les débats, les trois groupes socialiste, communiste et écologiste ont multiplié tout le week-end les prises de parole, rappels au règlement et autres amendements de suppression.

« Quelle inventivité ! », a raillé dimanche soir le rapporteur Les Républicains du texte, passablement excédé. En plein examen de l’article 2, René-Paul Savary a brocardé « des amendements d’une redoutable importance », comme celui proposant de « modifier le terme de “senior” pour le remplacer par “salarié âgé” ». La veille, un sénateur de droite avait qualifié l’empilement d’amendements identiques « d’obstruction cordiale », en opposition aux outrances de l’Assemblée.

Il est vrai que les débats ont été globalement sereins. Mais le palais du Luxembourg prend son temps, tandis que dehors, la colère va déferler : un mouvement social d’ampleur est prévu ce mardi 7 mars, à l’appel d’une intersyndicale dont l’unité n’a pas perdu un millimètre. Et en face duquel l’exécutif tergiverse sur la tactique à adopter.

Et soudain, la réforme devint « de gauche »

Au Sénat, la stratégie est limpide. « Nous ferons tout pour que la réforme puisse être adoptée », assure le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Un amendement de la droite a d’ailleurs été adopté dimanche, pour lancer une étude sur la capitalisation partielle des cotisations retraites. L’idée est qu’une partie des cotisations soient investies, par les salarié·es et les employeurs, dans des fonds d’investissement ou des actions. À l’heure de la retraite, les salarié·es toucheraient l’épargne issue de ces investissements.

« Vous avez retrouvé la parole aujourd’hui ? Enfin les masques tombent ! », a réagi Corinne Féret, sénatrice du groupe socialiste du Calvados, s’adressant aux LR, très silencieux lors des débats la veille. « Est-ce que vous pensez véritablement que les caissières, les aides à domicile, les petits smicards sont dans la capitalisation ? Vous savez où ils sont ? Ils font la queue aux Restos du Cœur ! », s’est indignée la communiste Cathy Apourceau-Poly.

À la tribune, le ministre du travail avait montré son opposition de principe à cet amendement, rappelant que « le gouvernement a fait le choix de ne pas ouvrir le débat sur la capitalisation ». L’amendement a été adopté avec 163 « pour » et 126 « contre », par un sénat largement dominé par la droite.

Cette dernière entend d’ailleurs faire de cette réforme des retraites « une vraie réforme de droite », a indiqué Bruno Retailleau, en réponse à l’interview d’Olivier Dussopt, publiée dans Le Parisien de dimanche. Car soudain, la réforme est devenue « de gauche », comme clamé par le ministre en « une » du quotidien.

Mis en ligne samedi en début de soirée, cette interview (dans laquelle Olivier Dussopt prétend qu’il n’y aura pas de perdants) a rapidement circulé dans l’hémicycle. « Je ne sais pas si c’est de l’humour ? », a interrogé le communiste Pierre Laurent. « Il fallait oser le faire ! Il a pris un grand risque : celui d’être la vedette de la risée populaire », dans les cortèges du 7 mars, a conclu le sénateur, à l’adresse du ministre.

Un référendum sur les régimes spéciaux

Le même soir, l’article 1er du projet de loi a été adopté par 233 voix pour et 99 contre. Il instaure la fin progressive de cinq régimes spéciaux : ceux de la RATP, des industries électriques et gazières (IEG), des clercs et employés de notaire, de la Banque de France et du Conseil social économique et environnemental (Cese).

L’article prévoit l’application de la fameuse « clause du grand-père » pour que seules les personnes recrutées à partir du 1er septembre 2023 dans ces secteurs soient privées des régimes spéciaux. Or la droite sénatoriale veut aller plus loin et « faire converger » les salariés bénéficiant actuellement des régimes spéciaux vers le régime général. En clair : éteindre ces régimes, pour toutes et tous.

Cet amendement LR, très corrosif, doit être débattu après l’article 7, prévoyant le recul de l’âge légal. Selon ses rapporteurs, il est dédié aux dépenses et ne peut donc pas être inscrit dans la première partie du projet de loi.

Balivernes, selon la socialiste Laurence Rossignol. « Ce dont vous ne voulez pas, c’est que votre amendement soit discuté avant le mouvement social du 7 mars ! », a raillé la sénatrice. Elle a poursuivi, sous l’œil goguenard de ses collègues : « Et c’est étonnant parce que vous êtes tellement sûrs de vous, sur le fait que les Français détesteraient tous les régimes spéciaux ! Dans ce cas-là, soumettez-le maintenant, votre amendement : peut-être que vous déclencherez même une manifestation de soutien ! »

Plus tôt, la centriste Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales, avait en effet proposé de « faire un référendum auprès des Français pour voir s’ils veulent maintenir les régimes spéciaux », convaincue de l’adhésion de la population à ce projet.

Les sénateurs et leur régime « tout à fait spécial »

Sous les coups de boutoir de l’opposition, martelant la difficulté de certains secteurs à recruter, le rapporteur LR René-Paul Savary a brandi un argument déroutant. « Vous avez décrit des métiers particulièrement durs, pénibles et parlé […] du manque d’attractivité de ces métiers. Je crois que plus on met en exergue la brutalité de ces métiers et moins on trouvera de nouveaux entrants », a osé le sénateur. Dit autrement : si ces secteurs concernés par les régimes spéciaux ne recrutent plus, c’est uniquement parce qu’on en parle mal…

Ce dont les sénatrices et sénateurs parlent peu, en revanche, c’est de leur propre régime autonome de retraite. D’où l’amusement du socialiste Victorin Lurel (PS) qui a proposé de supprimer ce « régime tout à fait spécial ». « Les Français nous regardent, croyez-vous que nous allons garder notre crédibilité ? », a lancé l’ex-ministre des outre-mer, fustigeant celles et ceux qui dépeignent en « privilégiés » et « profiteurs » les bénéficiaires des régimes spéciaux, tout en protégeant leur propre avantage.

Sa prise de parole n’a déclenché aucune bronca. Le ton est en revanche sérieusement monté, samedi soir, quand sénatrices et sénateurs de gauche sont partis à l’assaut d’une « note » du Conseil d’État sur le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. En réalité, il s’agit d’un simple avis des juges administratifs, suggérant, comme l’avait révélé Le Monde, de retirer l’index senior, au motif que sa présence dans un texte à caractère financier pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel.

Face au refus du ministre de leur communiquer, les parlementaires de l’opposition ont fustigé son attitude, comparant le document « au secret de la bombe atomique ». « Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale ! Cela suffit, maintenant ! », a rétorqué, acculé, Olivier Dussopt.

Sur le fond de cet article 2, la gauche a critiqué, pendant des heures, un index senior qui « ne sert à rien ». Une pénalité est seulement prévue en cas de non-publication. Même le rapporteur LR du texte a avoué ne pas être « un grand fan » de la disposition, préférant à la place un « CDI senior », qui pourrait être examiné lors d’une nouvelle loi travail.

La séance s’est achevée peu avant une heure du matin et reprendra lundi 6 mars, à 10 heures. Il reste sept jours et plus de trois cents amendements à débattre. Et dès le lendemain, une grosse rentrée sociale.

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