Éric Ciotti emporte LR dans le tourbillon des retraites

Piégée par un gouvernement qui a repris mot pour mot ses revendications, la droite d’opposition va soutenir la réforme des retraites. Au risque d’apparaître comme le supplétif du pouvoir et de fragiliser un peu plus l’unité de ses rangs. Éric Ciotti assure qu’il a fait plier Matignon.

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«Avec moi, jamais il n’y aura d’alliance avec Macron. On ne monte pas à bord du Titanic qui coule ! » La phrase n’a même pas deux mois qu’elle a déjà terriblement mal vieilli. Candidat devenu président du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti est désormais celui grâce à qui Emmanuel Macron compte faire adopter la réforme la plus difficile de son quinquennat : le passage de l’âge légal de la retraite à 64 ans.

Un ralliement mis en scène avant même l’annonce par la première ministre des détails du texte, dans les colonnes du Journal du dimanche le 8 janvier. Par souci « de cohérence et de responsabilité », pour « l’intérêt supérieur du pays », et parce que cette réforme a été rendue plus « juste » au gré des négociations entre LR et le gouvernement, le nouveau chef de file de la droite d’opposition a annoncé un soutien de principe au projet de loi. Une heureuse nouvelle pour l’exécutif, qui devrait éviter ainsi le passage en force avec l’article 49-3.

Le numéro de contorsionniste politique n’a pas fait à Éric Ciotti que des amis. « Voter le texte à l’issue des discussions parlementaires, pourquoi pas ? Mais sortir avant même les annonces du gouvernement, ça en a crispé beaucoup dans le groupe, affirme un député LR. Il a grillé toutes ses cartouches. » À l’extrême droite, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, n’a pas tardé à dépeindre LR en « béquille d’un gouvernement impopulaire », lors de ses vœux à la presse.

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Olivier Marleix et Éric Ciotti à l’Assemblée nationale, le 10 janvier 2023. © Photo Éric Tschaen / REA

Conscient du caractère périlleux de la séquence, l’état-major du parti tente d’installer son propre storytelling. Si le parti soutient la réforme Borne, c’est parce qu’il en aurait dessiné les contours et les limites, fort de sa puissance politique. « Il y a eu un vrai bras de fer sur le rythme, plaide encore Olivier Marleix, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, dans Le Figaro jeudi. L’exécutif était divisé et hésitant. Notre ligne, qui est la plus raisonnable, la plus acceptable et la plus juste, l’a emporté. »

Le passage de 65 – la borne initialement promise par Emmanuel Macron – à 64 ans ? Le ralentissement du rythme prévu ? Le minimum retraite à 1 200 euros élargi aux retraité·es actuel·les ? Tout cela, assure-t-on rue de Vaugirard, doit au lobbying du parti Les Républicains. « Ce n’est pas nous qui allons avec Emmanuel Macron, c’est Emmanuel Macron qui s’aligne sur nous », fanfaronne même Émilie Bonnivard, députée de Savoie.

Si l’on s’en tient au fond, le soutien de LR à la réforme des retraites n’est pas une grande surprise. Au pouvoir comme dans l’opposition, la droite n’a cessé ces vingt dernières années d’appeler les Français·es à travailler plus longtemps. En 2022, candidate de son camp à l’élection présidentielle, Valérie Pécresse promettait la retraite à 65 ans et son parti avec. « On ne peut pas défendre tout ça depuis des années et, au moment où la réforme arrive, ne pas la voter, explique le député du Rhône Alexandre Vincendet. C’est une question de cohérence. »

Avec la majorité, l’alignement des positions est clair mais le ralliement n’a pas été une évidence. Question de stratégie politique. « On est coincés par un double écueil, analyse Philippe Juvin, député des Hauts-de-Seine. Soit on apparaît comme des troupes supplétives de Macron, soit on apparaît comme des anti-tout, y compris anti ce qu’on défendait il y a un an. À ce jeu-là, c’est la constance qui doit primer. » La question a occupé les débats hivernaux au sein du parti, où plusieurs voix militaient pour ne pas donner un point aussi précieux à l’exécutif.

Elles ont fini par perdre le bras de fer interne. Ces derniers jours, d’échanges téléphoniques en réunions de groupe, Éric Ciotti a convaincu une large partie de ses troupes qu’il fallait soutenir la réforme. Au risque, dans le cas contraire, de s’aliéner pour de bon la frange de son électorat tentée par la fuite vers une droite libérale incarnée par Emmanuel Macron et, demain, par Édouard Philippe ou Bruno Le Maire.

Une ministre, ancienne membre du parti, juge que la droite n’avait pas le choix. « Vous imaginez une seconde les élus LR repartir en campagne, en cas de dissolution, en disant à leurs électeurs “On a bloqué le Parlement à cause de la réforme des retraites” ?, interroge-t-elle. Je les connais bien, leurs électeurs, et je peux vous assurer qu’ils n’auraient pas compris. Les dirigeants de LR se sont piégés tout seuls. »

Les consignes de Wauquiez, la pression de Retailleau

Pour Éric Ciotti, le danger venait aussi de l’intérieur. Refuser la réforme des retraites, c’était risquer un schisme bruyant avec la droite sénatoriale, très favorable au projet de loi. Une option inimaginable pour Éric Ciotti, quelques semaines après une élection interne qui l’a vu battre de peu (54 % contre 46 %) Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Je ne vois pas comment on peut ne pas voter une réforme qu’on a appelée de nos vœux depuis des années », estimait le Vendéen sur France Inter mercredi. Fin décembre, il pressait déjà ses amis, dans une tribune publiée par Le Figaro, de ne pas « glisser dans les sables mouvants du reniement ».

Dans une période où la cohésion du parti est pour le moins fragile, l’insistance de Bruno Retailleau n’a pas laissé beaucoup de choix à Éric Ciotti. « Il n’a pas envie que le parti explose sur son premier “stress test” comme président », résume Alexandre Vincendet. Un enjeu qu’a bien compris Laurent Wauquiez, candidat putatif de LR pour 2027 : selon plusieurs membres du groupe, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a travaillé en coulisses à ce que son camp fasse corps derrière la position d’Éric Ciotti.

Si les voix discordantes se font encore discrètes, l’élan du groupe LR en faveur de la réforme Borne ne saute pas aux yeux. « C’est compliqué de se positionner avant la fin des débats », évacue par exemple Émilie Bonnivard, tandis que sa collègue Anne-Laure Blin, députée de Maine-et-Loire, souligne que « les annonces de la première ministre ne sont pas encore formalisées et nous n’avons pas encore le texte en main ».

Thibault Bazin, député de Meurthe-et-Moselle, embraye à l’aide d’une métaphore : « Quand vous signez un contrat, vous attendez de le voir avant de signer. Eh bien, là, c’est pareil. Pour l’instant, il n’y a rien sur la table. J’ai écouté Élisabeth Borne, j’ai lu le PowerPoint diffusé aux journalistes mais je suis toujours incapable de me prononcer. Sur la prise en compte des congés parentaux, les carrières longues ou le minimum retraite, c’était soit absent du dossier soit imprécis. Or, le diable se cache dans les détails en la matière. »

On n’a pas encore tout obtenu du gouvernement, abdiquer trop vite est une erreur.

Aurélien Pradié, député LR du Lot, à Mediapart

Derrière cette masse d’indécis·es, qui « devraient finir par voter le texte » selon un cadre du groupe, une frange de la droite LR se montre nettement plus réfractaire. À leur tête, Aurélien Pradié, candidat malheureux à la présidence du parti. Annoncé comme futur numéro 2 d’Éric Ciotti, le député du Lot a mis de l’eau dans son vin, après avoir plaidé contre un décalage de l’âge légal. Désormais, il se dit prêt à suivre la consigne à condition « d’arracher au gouvernement une mesure qui parle aux catégories populaires », explique-t-il à Mediapart.

En réunion de groupe, Aurélien Pradié a plaidé pour que LR fixe une ligne rouge au gouvernement : que tous ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans n’aient pas à travailler un ou deux ans de plus, comme le prévoit la réforme. « Ces gens-là, ce sont les catégories populaires, les ouvriers, tous ceux à qui je veux que la droite reparle, explique-t-il. J’ai convaincu mes collègues de fixer cette ligne rouge. On n’a pas encore tout obtenu du gouvernement, abdiquer trop vite est une erreur. »

Autour de lui, une quinzaine de membres du groupe pourraient user de leur liberté de vote. Des proches d’Aurélien Pradié, bien sûr, comme Pierre-Henri Dumont ou Raphaël Schellenberger, mais aussi des élu·es de territoires ruraux ou d’anciennes terres industrielles, comme l’Ardennais Pierre Cordier, convaincu·es que leur électorat est majoritairement défavorable à la réforme gouvernementale. « Voter une réforme des retraites, c’est éminemment politique, c’est un signal aussi important – sinon plus – que le vote du budget », avertit Aurélien Pradié.

C’est en partie pour contenter cette aile dite « sociale » que la direction du parti a amendé sa position initiale, ralentissant le rythme de la réforme (63 ans à la fin du quinquennat avec une clause de revoyure) et insistant sur ses contreparties sociales. Une concession d’autant plus nécessaire que leur groupe a reçu un soutien qui compte à droite, celui de Xavier Bertrand. « Cette réforme est profondément injuste », a clamé le président de la région Hauts-de-France sur BFMTV mercredi.

Les prochaines semaines s’annoncent donc, pour Éric Ciotti, comme une épreuve de management à ciel ouvert. En interne, il faudra concilier, de Pradié à Retailleau, des positions très différentes sans donner à voir en spectacle les divisions de LR. Mais ce n’est pas tout : le nouveau président de LR devra se défendre des procès en macronisme que le reste des oppositions a déjà commencé à lui faire. 

Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, ne fait plus un tweet sans utiliser le hashtag #RetraiteBorneCiotti. Et à l’extrême droite, le RN compte bien profiter de la position de LR pour se draper du titre de seule opposition de droite à Emmanuel Macron. « Il faudra bien que le RN assume de refuser d’augmenter les petites retraites et dise ce qu’il propose pour sauver la répartition », répond Émilie Bonnivard. À l’unisson des éléments de langage… de la majorité.

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