Dans l’espoir d’attirer le vote des travailleuses et des travailleurs, le Rassemblement national (RN) a souvent tenté de se positionner en défenseur de la classe laborieuse. Mais dans les faits, les votes de ses représentant·es à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen se sont souvent positionnés contre les intérêts des salarié·es.
Contre l’augmentation du Smic
Dans son discours de lancement de campagne pour les élections européennes, Jordan Bardella, président du parti, a dit : « Une bonne économie, ce sont des bons salaires, c’est une juste rémunération et les salaires sont trop bas aujourd’hui dans notre pays. » Mais dans les faits, le RN vote contre l’augmentation du Smic.
En juillet 2022, la Nouvelle Union populaire économique et sociale (Nupes) proposait l’augmentation du Smic à 1 500 euros nets. Il était alors de 1 329 euros net. Le Smic est indexé sur l’inflation, c’est une disposition du Code du travail, mais la Nupes proposait d’ajouter à cette indexation un coup de pouce supplémentaire. Les députés RN ont voté contre.
« Si vous passez votre temps à augmenter seulement le Smic, vous avez les classes moyennes qui voient leur pouvoir d’achat stagner depuis dix à quinze ans », justifiait Jean-Philippe Tanguy, arguant de la « boucle inflationniste » qui voudrait que plus les salaires sont hauts, plus les prix augmentent. Une théorie qui ne s’est pas vérifiée en 2023-2024 et que Mediapart a déjà déconstruite. En 2022, même le FMI a confirmé que la « boucle prix-salaires » est un récit conservateur.

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Contre l’indexation des salaires sur l’inflation
Dans son programme, le RN promet des « textes d’urgence » pour le « pouvoir d’achat ». Dans les faits, il a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation. Le système visant à faire automatiquement augmenter les salaires au fur et à mesure que les prix augmentent n’est pas une chimère : ce système instauré en 1952 a été supprimé en 1983 au moment du tournant de la rigueur du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. En novembre 2023, La France insoumise (LFI) a tenté de déterrer ce système et a mis au vote une proposition allant dans ce sens.
En commission des affaires sociales le 22 novembre 2023, LFI a défendu la mesure, face à un gouvernement, une droite et une extrême droite unis. Victor Catteau, député RN, a justifié ainsi son vote de refus : « La proposition actuelle, bien qu’audacieuse, risque de nous mener vers un cercle perpétuel de hausse des salaires, de hausse des prix, et d’inflation. »
Pour forcer les salariés en CDD à accepter un CDI
Dans leur programme, les responsables RN promettent une conférence sociale sur les salaires et les conditions de travail. Dans leurs discours, ils assurent être le parti des « travailleurs français ». Dans les faits, le parti a voulu doubler le gouvernement sur le thème de la précarisation des travailleurs, en proposant de forcer les salarié·es en CDD à accepter les CDI qui leur sont proposés.
Fin 2022, le gouvernement a présenté une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, dont le but même pas masqué était de mettre encore plus sous pression les chômeurs et les chômeuses. L’extrême droite y a participé avec entrain. Marine Le Pen elle-même a déposé un amendement pour contraindre les salarié·es en CDD à accepter tout CDI proposé en fin de mission, sans quoi ils pourraient perdre leur droit à l’assurance-chômage. L’amendement a été rejeté le 5 octobre 2022.
Surfant, comme ses alliés libéraux, sur le mythe du chômeur qui ne veut pas travailler, le RN a présenté cet amendement en assurant que « certains salariés utilisent le système de l’assurance-chômage pour s’assurer des revenus entre deux CDD ». Pour rappel, il y a beaucoup plus de chômeurs que de postes vacants : moins de 348 000 postes vacants et 5,1 millions de demandeurs et demandeuses d’emploi… dont à peine plus de 40 % touchent une indemnisation.
Contre l’instauration de salaires minimum en Europe
Dans son programme, le RN promet la revalorisation des « revenus du travail par une incitation forte à l’augmentation des salaires ». Dans les faits, le parti a voté contre l’instauration de salaires minimum en Europe.
Les élu·es d’extrême droite ne se contentent pas d’attaquer les droits sociaux en France, ils le font aussi depuis leurs sièges de député·es européen·nes. En 2022, le Parlement européen votait une directive visant à assurer un salaire « suffisant pour un niveau de vie décent » aux travailleurs d’Europe. Cette mesure était présentée comme un outil permettant de relever les salaires de 25 millions d’européen·nes, notamment dans les pays de l’Est, réduisant l’effet de « dumping social » au sein de l’Union. Un vœu certes largement pieux étant donné que la fixation de salaires minimum reste une compétence nationale.
La directive a été adoptée sans les voix du RN, qui se sert pourtant régulièrement du thème du « dumping social » pour diviser les travailleurs. Pour se justifier, l’eurodéputée RN Dominique Bilde a publié un communiqué refusant que le Parlement européen se mêle des politiques sociales des États. Et a même promis plus de cadeaux aux patrons : « Nous défendons la mise en place de contrats d’entreprise, qui permettront aux employeurs d’être exonérés de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires, jusqu’à 3 Smic. »
C’est aussi la proposition portée par Jordan Bardella dans cette campagne des législatives. Comme si les macronistes n’avaient pas déjà abusé du « quoi qu’il en coûte ». Rien qu’en France, les aides publiques accordées aux entreprises – en comptant les exonérations de cotisations sociales sur les salaires – s’élèvent à des sommes exponentielles, entre 160 et 200 milliards par an. Un « pognon de dingue » a déjà été offert aux entreprises sous diverses formes sans que cela n’ait d’impact réel sur le nombre d’emplois, ni sur les salaires.
Contre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes
Dans son discours, Jordan Bardella se fait défenseur des femmes et adresse même une lettre numérique à « toutes les femmes du pays ». Il promet que « l’égalité hommes-femmes » est, pour son parti, un « principe non négociable ». Dans les faits, au Parlement européen, quand il y a des votes sur l’égalité salariale femmes-hommes, le RN s’abstient ou vote contre.
En 2020, les eurodéputé·es RN ont voté contre les mesures visant à faire reculer les inégalités femmes-hommes. Deux ans plus tard, quand le Parlement européen vote une directive visant l’instauration d’un cadre minimal pour rendre effectif le principe d’égalité des rémunérations entre les sexes, le RN s’abstient.
Pour justifier cette abstention, le RN, par le biais de l’eurodéputée Annika Bruna, a considéré qu’il n’était pas souhaitable de « conditionner la quasi-totalité des aides à l’UE à des actions favorisant l’égalité hommes-femmes ». Et de déplorer, chez nos confrères du Monde, que « la maîtrise de la démographie et des migrations » et la montée de l’islam ne soient pas évoquées davantage alors qu’ils sont, pour elle, « une menace forte pour les femmes ».
Contre le gel des loyers
Dans son programme, sur la question urgente de l’accès au logement, le RN ne dit… pas grand-chose. Le parti ne propose que deux mesures. La première est la priorité dans l’accès au logement social « pour les travailleurs des secteurs prioritaires ». La deuxième permettra aux propriétaires de louer ou vendre des passoires thermiques, en supprimant les interdictions liées au diagnostic de performance énergétique (DPE).
Et au Parlement, le RN a voté contre un amendement de gauche proposant le gel des loyers. En pleine crise inflationniste, à l’été 2022, le gouvernement a fait voter le principe de plafonnement des hausses de loyers. Pour les propriétaires, le message est clair : ils peuvent continuer à les augmenter, mais pas trop. Un an plus tard, en juin 2023, le gouvernement a fait voter le prolongement du « bouclier », qui plafonne à 3,5 % la hausse de l’indice de référence des loyers.
Ce « bouclier » proposé a été voté avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, formant une coalition contre la gauche qui estimait que cela entérinait l’autorisation faite aux propriétaires d’appliquer de nouvelles hausses. Plus ambitieuse, la gauche a présenté à l’Assemblée nationale comme au Sénat des amendements visant à geler les loyers des particuliers mais aussi des petites et moyennes entreprises. La majorité présidentielle, la droite et le RN ont voté contre.