L’unanimité s’est faite sur-le-champ. À l’issue de la présentation de la réforme des retraites par la première ministre Élisabeth Borne, les fédérations syndicales de la branche des industries électriques et gazières (IEG) sont immédiatement tombées d’accord : elles sont déterminées à tout mettre en œuvre pour faire échouer le projet de réforme des retraites du gouvernement, pour sauver leur régime spécial.
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Baisse de production, délestages ciblés, fourniture d’énergie gratuite, « tout sera possible », a annoncé Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME-CGT, pour marquer la journée de mobilisation du 19 janvier. « À condition de ne pas nuire aux usagers », tient à préciser Sébastien Michel, délégué fédéral FCE-CFDT de la fédération Énergie.
Tous attendent – espèrent – que la journée de grève et de manifestations sera « suivie, très suivie » chez EDF, Engie et toutes les autres sociétés d’énergie. « Il y a un réel ras-le-bol. Tous les trois ans, on en reprend pour deux ans. On n’en voit pas le bout », résume Sébastien Michel. « Les salariés sont prêts à se mobiliser », renchérit Stéphane Chérigié, secrétaire national CFE-CGC, chargé du dialogue social pour la branche des IEG.

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Dès la semaine dernière, la fédération Mines-Énergie de la CGT, la plus importante du secteur, a appelé à une grève reconductible après le 19 janvier. Les autres fédérations attendent de mesurer l’ampleur du mouvement pour le rejoindre, mais ne sont pas hostiles à la proposition.
Alors que le régime spécial des cheminots est déjà en voie graduelle d’extinction depuis la réforme de la SNCF, le régime spécial des IEG – avec celui de la RATP – est l’un des derniers à subsister. Tous les deux sont appelés à disparaître dans le cadre de la réforme des retraites voulue par le gouvernement. Pour les fédérations, cette mesure relève du « dogme ». Et rien n’est négociable. « Nous ne serons pas la génération qui remet en cause le statut défini depuis 1946 », insiste Sébastien Menesplier.
Même si leur expression est moins abrupte, les autres fédérations syndicales affichent la même détermination. Car l’enjeu, selon elles, va bien au-delà du régime de retraite. Derrière, toutes et tous voient l’attaque de leur statut. « On n’est pas dupes. Il y a un plan derrière cela. Si on supprime notre régime de retraite, il ne restera plus grand-chose de notre statut », relève Sébastien Michel. Ce serait, selon eux, le dernier clou dans la destruction du service public de l’énergie à l’œuvre depuis l’ouverture à la concurrence du secteur.
Une moyenne d’âge de départ autour de 60 ans
À ce jour, 140 000 salariés travaillant dans 160 entreprises de la branche (EDF, Engie, Enedis, GRDF, RTE, Réseau GDS ou Gaz de Bordeaux…) relèvent du régime spécial des IEG. Même si celui-ci a déjà beaucoup évolué depuis l’origine, il reste calqué en partie sur celui de la fonction publique : les six derniers mois de salaire servent de base pour calculer les pensions, sans intégrer les primes. Celles-ci peuvent pourtant représenter 100 % du salaire de base, comme pour les conducteurs et conductrices de centrale nucléaire.
Acceptant de cotiser plus (12,8 % du salaire) que les salariés du privé pour leur retraite, les personnels des IEG ont des avantages en compensation. Avant 2008, la prise en compte de la pénibilité (astreintes, travail en trois-huit, monteurs de ligne) permettait aux agents et agentes ayant 17 années de service actif de partir cinq ans avant l’âge légal de la retraite, soit 57 ans. 23 % des effectifs sont concernés par ce dispositif. « En raison de la décote imposée, les salariés, même s’ils ont conservé ces droits, retardent de plus en plus leur âge de départ », constate Stéphane Chérigié. La moyenne d’âge de départ est désormais autour de 60 ans. Elle devrait atteindre les 62 ans en 2024.
Depuis 2009, un nouvel accord de pénibilité a été signé. Il permet aux salariés soumis à des conditions de travail difficiles d’acquérir sur leur compte épargne retraite dix jours de congés supplémentaires par an, dans la limite de 200 jours. Ils bénéficient de surcroît de cinq trimestres supplémentaires en cas de carrière longue à des postes difficiles.
Dans le même temps, le régime spécial a commencé à se rapprocher du régime général des retraites. « On a versé une soulte de plusieurs milliards d’euros au régime général qui devait garantir la neutralité de l’adossement », rappelle Stéphane Chérigié, en soulignant que le régime général est gagnant dans ce rapprochement depuis le début. « Dire que le régime des IEG est déficitaire est complètement faux. On est excédentaires », poursuit de son côté Sébastien Michel. En 2022, la caisse de retraite des IEG a apporté 120 millions d’euros de plus que le versement des pensions au régime général. Un chiffre jamais évoqué par le gouvernement.
La clause du grand-père, c’est la grande illusion.
Les engagements du gouvernement à maintenir les avantages du régime spécial jusqu’au départ des derniers salariés relevant de ce statut, selon la clause dite du « grand-père », tiennent de la « grande illusion » pour les syndicats. « À partir du moment où les nouveaux entrants ne cotisent plus au régime, il ne peut que s’appauvrir. On organise structurellement son déficit. Et cela va aller très vite », prédit Sébastien Michel. « Dans cinq ou dix ans, il se trouvera toujours un politique pour dénoncer le “pognon de dingue” mis dans notre caisse de retraite et demander la fusion avec le régime général », poursuit Stéphane Chérigié.
Le brouillage risque de commercer dès l’automne. À partir du 1er septembre 2023, selon le plan de réforme gouvernemental, les nouveaux entrants devront être affiliés au régime général. « Rien n’est prévu à ce stade. Comment fait-on alors ? On aura deux populations au sein même de l’entreprise. Avec des droits et des obligations différentes », relève Sébastien Michel, citant le seul exemple des primes. « Certains verraient leurs primes intégrées au calcul de leur pension et les autres non. C’est intenable. »
Les précédents de La Poste et surtout de France Télécom reviennent sans cesse dans les discours syndicaux. Aucun n’a oublié la violence managériale institutionnalisée contre les personnels pour les pousser à partir ou à abandonner leur statut. « La même chose commence à se reproduire à la SNCF », assure Stéphane Chérigié.
« Le gouvernement nous parle d’équité. Mais ce n’est pas cela, l’équité », analyse Sébastien Menesplier, qui pronostique une baisse des pensions pour tout le monde si la réforme des retraites voit le jour.
Indignés d’être désignés à la vindicte publique, les syndicats de la branche renvoient la responsabilité de tout le dossier au gouvernement. « Les organisations syndicales n’ont pas découvert le baby-boom hier. Elles ont constitué au fil des ans 200 milliards d’euros de réserve pour faire face à la montée des retraites. Le seul régime qui n’a pas fait les provisions nécessaires, c’est celui de la fonction publique, qui dépend de l’État », relève Stéphane Chérigié. Et de constater : « Lors de sa présentation, Élisabeth borne a été interrogée sur ces 200 milliards d’euros. C’est la seule question à laquelle elle n’a pas répondu. »