Économie et social

Les patrons déçus par le sarkozysme

Au printemps 2007, les patrons ne juraient que par lui. Nicolas Sarkozy était leur candidat, celui qui allait enfin mener la politique libérale et de réforme qu'ils attendaient tant. Un an plus tard, la déception est manifeste. Son style, sa façon d'exercer le pouvoir, de mener les réformes, peu de choses échappent à leurs critiques. Certains commencent à placer tout leur espoir dans François Fillon.

Martine Orange

La colère est passée. Mais le ressentiment est là, sourd, tenace. Celui de s'être trompé, d'avoir été trompé. Ils ne le disent qu'en off (voir ci-dessous notre "boîte noire") mais la vingtaine de patrons du CAC 40 ou de grandes entreprises rencontrés depuis le début de l'année figurent eux aussi parmi les déçus du sarkozysme. De cette année de gouvernement, la plupart des hauts dirigeants se souviennent à peine des mesures qu'ils réclamaient pourtant à cor et à cri. La réforme des régimes spéciaux ? Les allégements du code du travail ? La loi TEPA sur le travail, emploi et pouvoir d'achat ? La réforme sur la représentativité syndicale ? Bien sûr, il y a eu tout cela mais ils en portent à peine crédit au président de la République. Aujourd'hui, ils se rappellent la grande confusion, la «pipolisation» dévastatrice qui ont dominé l'automne. Ils s'arrêtent sur l'interventionnisme brouillon de l'Elysée et les couacs avec la majorité de ce printemps. «Nicolas Sarkozy avait une chance historique de changer la France. Il a tout gâché», dit un PDG d'un grand groupe, résumant l'opinion dominante des milieux d'affaires.
Pourtant, comme ils y avaient cru ! L'année dernière, à la même époque, ils ne juraient que par lui : Nicolas Sarkozy était leur candidat, celui qui allait enfin faire passer les réformes libérales qu'ils attendaient tant. Invités à fêter la victoire présidentielle au Fouquet's le soir du second tour, Bernard Arnault (LVMH), Martin Bouygues, Vincent Bolloré, le financier Albert Frère, le banquier Antoine Bernheim et quelques autres symbolisaient cette alliance entre le pouvoir et l'argent. «S'il réussit à faire passer la réforme sur les régimes spéciaux [où avait échoué Alain Juppé en 1995], alors tout est possible», prédisait un haut dirigeant, très influent auprès de ses pairs. Persuadé que le changement était au bout des doigts. Les rares qui émettaient des doutes, ou simplement étaient marqués comme fidèles à Jacques Chirac, étaient moqués, vilipendés. François Pinault (PPR), très proche de l'ancien président de la République, se fit le plus discret possible. Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), qui avait commis la double faute de soutenir financièrement François Bayrou et de se faire remettre la grand croix de la Légion d'honneur par Jacques Chirac, vit l'agence de l'innovation industrielle, à laquelle il tenait tant, rayée d'un trait de plume, dès les premiers temps de la nouvelle présidence.
Pour nombre d'autres hauts dirigeants, les premières semaines du pouvoir de Nicolas Sarkozy furent comme un rêve. Tout s'enchaînait en mesure, comme ils le souhaitaient. Puis, tout dérapa.
De l'homme, de son style, ils ne veulent même plus en parler. Pendant des mois, ils n'ont pas décoléré sur le sujet. «On n'a jamais vu cela. La culture de Sarkozy, c'est la vérité ou je mens, le Sentier à l'Elysée» s'emportait l'un d'entre eux en février. «C'est impossible toutes ces couvertures de magazine, Paris-Match, Gala, Voici, toutes les semaines», s'étonnait un autre à la même époque. «Vous avez vu comment il s'est comporté avec Angela Merkel. Un chef d'Etat ne fait pas cela», rapportait un autre, pas très éloigné du constat de l'homme de la rue. Les critiques étaient d'autant plus acerbes qu'eux-mêmes se sentent investis d'incarner le pouvoir dans leur entreprise. Tous se conforment plus ou moins au même code. Pas question de copinage ou de même de tutoiement généralisé. On est plus proche du pouvoir absolu, façon Louis XIV, avec huissiers et doubles portes, que de la culture des start up californiennes.
Depuis que le chef de l'Etat a changé d'habitude, se montre moins, parle peu, les critiques se sont tues dans le monde patronal. Mais pour beaucoup, le mal est fait. Les premiers mois ont définitivement marqué les esprits. «Il a perdu sa stature présidentielle», résume un conseiller proche du monde patronal.

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