« Je remercie toutes celles et ceux qui apercevront leur histoire dans le creux de celle-ci. Ce livre est pour nous : qu’il nous libère. » Tout à la fin des remerciements, ce sont les derniers mots de Mon vrai nom est Élisabeth, premier livre d’Adèle Yon, qui a tout juste la trentaine. Entre enquête policière, thérapie personnelle, voyage historique et réflexion intellectuelle, cette parfaite réussite est une invitation à échapper au malheur qui enferme, paralyse et culpabilise.
« J’hérite de la colère de mon arrière-grand-mère, pas de sa folie », aime dire Adèle Yon après avoir achevé cette recherche sur un secret de famille qui a pour fil conducteur le sort de son aïeule, Élisabeth dite « Betsy ». La vie de cette femme aspirant à la liberté n’a pas seulement été empêchée, elle a été massacrée : placée en comas hypoglycémiques, exposée à des grossesses non désirées, contrainte à une lobotomie – opération chirurgicale du cerveau qui visait surtout les femmes –, internée durant dix-sept années, contre son consentement et à la demande expresse de son époux.
Entremêlant archives et témoignages, recherches de documents, entretiens auprès de parents et carnets de route personnels, Adèle Yon assemble patiemment le puzzle d’une enquête qui la mènera jusqu’au secret de famille qui contient tous les autres. Lequel secret convoque des fantômes que la plupart des familles, sinon toutes, ont un jour ou l’autre enfouis dans leurs placards : les violences faites aux femmes et aux enfants, le viol, l’inceste… Des violences dont les hommes sont les auteurs, par le pouvoir qu’ils s’arrogent, par le patriarcat qui les légitime.
Traversant un moment de doute et d’angoisse – allait-elle devenir folle comme Betsy ? –, Adèle Yon s’est accrochée à son désir de savoir comme à une bouée de sauvetage. Au croisement d’études philosophiques, littéraires et cinématographiques, elle a ainsi décidé d’embarquer ce questionnement intime dans ses recherches académiques. Avec une farouche volonté qui, avant de gagner l’adhésion des lectrices et des lecteurs, a emporté celle d’un jury universitaire.
Ovni littéraire, son livre fut d’abord sa thèse de doctorat, soutenue il y a tout juste un an, le 17 décembre 2024, à l’université Paris sciences et lettres (PSL) : « “Mon vrai nom est Élisabeth” : enquête sur le double fantôme ». Deux mois plus tard, il paraissait aux Éditions du Sous-Sol. Et depuis, il a été couronné par le prix Essai France Télévisions, par le grand prix des lectrices Elle (non-fiction) et par le prix littéraire du Nouvel Obs.
« J’ai du mal à comprendre comment on peut réparer sans chercher », confie-t-elle à l’une de ses cousines qui lui opposait la nécessité du secret, comme si le silence était la sauvegarde de cette famille très catholique, aussi croyante que nombreuse et bourgeoise. En refermant Mon vrai nom est Élisabeth, on ne doute pas qu’Adèle Yon a fait œuvre de réparation – pour sa famille comme pour nous toutes et tous. Si elle y est parvenue, c’est aussi grâce à l’aide de l’autre héroïne de son livre, sa principale informatrice, aussi discrète que complice – car il n’est pas d’enquête réussie sans de bonnes sources : sa propre grand-mère, la fille aînée de Betsy.
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