Une plongée littéraire et graphique dans le royaume pourri du passé par un jeune père qui voit remonter les angoisses des violences subies enfant à l’occasion de sa paternité ; une enquête généalogique sur une arrière-grand-mère qui se transforme en histoire de la lobotomie à la française et enfin une description de l’écosystème de Tel-Aviv vu à travers le regard d’un homme vieillissant et solitaire.
On évoque aujourd’hui les livres L’Hospitalité au démon de Constantin Alexandrakis, chez Verticales ; Mon vrai nom est Élisabeth d’Adèle Yon, publié par les Éditions du sous-sol, et enfin Biotope, de la romancière israélienne Orly Castel-Bloom, qui paraît aux éditions Actes Sud.
« L’Hospitalité au démon »
L’Hospitalité au démon est le titre du deuxième livre de Constantin Alexandrakis publié par les éditions Verticales, comme son premier récit intitulé Deux fois né publié en 2017.
L’ouvrage nous emmène dans les pas et les pensées d’un personnage dénommé « Le père » qui, alors et parce qu’il devient père, explore les ressorts de sa dépression post-partum et se retourne sur les « menues atteintes sexuelles, discontinues », qu’il a subies quelque part entre 9 et 14 ans.
L’écriture de ce livre fut déclenchée par de précédentes prises de parole et manières d’écrire : « En suivant le regard d’Adèle-Athéna, la mort dans les yeux, bouclier à la main, le Père, bien accompagné, plonge alors dans Le Sujet, qu’on appelle désormais “pédocriminalité”. »
Il apporte ainsi sa pierre personnelle et littéraire dans un moment où, pour citer encore Constantin Alexandrakis, « on peut dire sans trop trembler que, dans le coin gauche, short noir, un masculinisme dégueulasse affronte, dans le coin droit, short bleu, une panique morale abjecte. Le plus grand regret que l’on puisse avoir, c’est qu’ils ne se soient jamais détruits l’un l’autre, dans une grande explosion acide et multicolore ».
Le livre est préfacée par Neige Sinno, autrice de Triste Tigre, publié il y a un an et demi chez P.O.L.
« Mon vrai nom est Élisabeth »
Mon vrai nom est Élisabeth est le titre du premier ouvrage d’Adèle Yon, publié aux Éditions du sous-sol. La jeune femme s’est lancée dans l’écriture après une thèse en études cinématographiques et une formation à l’École normale supérieure, et en parallèle d’activités de cheffe de cuisine exercées dans la Sarthe et qui affleurent à quelques endroits du livre.
Ce livre à haute teneur autobiographique met en scène une chercheuse enquêtant sur son arrière-grand-mère, Élisabeth, dite Betsy, qui fut diagnostiquée schizophrène dans les années 1950, enfermée pendant dix-sept ans dans des institutions psychiatriques, dépossédée de sa raison et de sa liberté, et dont l’histoire fut largement refoulée par sa famille.
Si la quête démarre par l’inquiétude de la narratrice vis-à-vis de la possible transmission d’une hérédité de folie touchant les femmes de la famille, elle ouvre les portes d’une histoire française de la lobotomie vertigineuse, nettement moins connue que celle qui bouleversa les États-Unis à la même époque, sous la houlette de celui qui se présentait comme un pionnier, Walter Freeman, adepte des trépanations en public et en spectacle effectuées depuis sa lobotomobile.
« Biotope »
Biotope est le titre du nouveau roman de la célèbre écrivaine israélienne Orly-Castel-Bloom. Il est, comme les précédents, publié par les éditions Actes Sud et traduit par Rosie Pinhas-Delpuech, qui est aussi la directrice de cette collection d’Actes Sud consacrée aux « Lettres hébraïques ».
Le narrateur du livre s’appelle Joseph Shimel. C’est un vieux garçon, « fils unique et sans descendance de deux parents enterrés loin sous la terre », qui enseignait dans le département de français à l’université avant d’être subitement licencié. Il vit avec son chien dans un appartement de Tel-Aviv d’où il observe les SDF de la ville de près et l’agitation du trafic automobile de plus loin.
La vie de Joseph Shimel bascule dans un double mouvement, lorsqu’il hérite de sa grand-mère normande et quand il fait la rencontre d’un étrange personnage qui semble avoir converti le trauma d’un attentat dans lequel est mort une grande partie de sa famille en droit d’arnaquer tout le monde, notamment en prétendant bâtir, dans les territoires occupés, un monument pour sa famille qui amènerait aussi de l’eau pour quelques bédouins.
Avec :
- Youness Bousenna, qui chronique l’actualité littéraire pour Télérama ;
- Copélia Mainardi, qui écrit notamment pour Libération ;
- Aïnoha Jean-Calmettes, responsable littérature et idées du magazine Mouvement.
« L’esprit critique » est un podcast enregistré par Ellen Huynh et réalisé par Karen Beun.