Gauches: face à Macron, une si laborieuse union

À la veille de la « Fête à Macron » organisée ce samedi 5 mai, les syndicats, forces politiques et associations ont annoncé une date de mobilisation commune, le 26 mai. Mais si le décloisonnement partis-syndicats est en cours, au sein de la gauche politique, l’union est complexe. Retour sur un mois et demi de discussions, entre divergences stratégiques et méfiance réciproque.

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Jean-Luc Mélenchon en rêvait. Une grande union du « peuple de gauche » contre Emmanuel Macron, qui ne se cantonnerait pas à une classique union de partis. Jeudi soir, au sortir d’une réunion à la Bourse du travail, la décision, « historique » disent certains, a été prise : plusieurs organisations « travaillent à une marée populaire contre les réformes Macron, le 26 mai ».

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La gauche unie lors de la manifestation de La France insoumise, le 23 septembre 2017.

Au bas du communiqué, diffusé par la Fondation Copernic et Attac, une ribambelle de signatures : La France insoumise, le NPA, le PCF, le Parti de gauche, mais aussi la CGT, l’Union syndicale Solidaires, la FSU et le Syndicat de la magistrature, ainsi que plusieurs associations, comme Attac et la Fondation Copernic. Seul hic : Génération.s et Europe Écologie-Les Verts manquent à l’appel. Un « souci de coordination », explique-t-on du côté des Verts et de Benoît Hamon, qui affirment que leurs mouvements seront « bien évidemment » ajoutés aux signataires. Mais un « bug » qui en dit long, tout de même, sur la complexité de l’union de la gauche…

Conférences de presse, signatures de textes et, ce samedi 5 mai, un rendez-vous unitaire pour « faire la Fête à Macron » à l’initiative du député de La France insoumise François Ruffin et du philosophe Frédéric Lordon : si les initiatives communes se sont multipliées depuis la grande manifestation de soutien aux cheminots le 22 mars, les discussions entre les diverses formations n’ont pas été un long fleuve tranquille.

Tout a commencé au numéro 27 de la rue Taine (Paris XIIe). C’est ici, à La Brèche, la librairie du NPA, que l’opposition politique à Emmanuel Macron se retrouve à huis clos depuis la mi-mars. Une douzaine d’organisations de gauche et écologistes dans la même pièce : c’est Olivier Besancenot qui est à l’initiative de ce rassemblement très « gauche plurielle ».

À entendre Pascal Cherki qui représente, en alternance avec Claire Monod, le mouvement Génération.s lors de ces deux heures de réunion hebdomadaires, les choses se sont faites le plus naturellement du monde : « Un samedi soir, on a vu Olivier Besancenot sur le plateau d’‘‘On n’est pas couché’’ qui appelait la gauche à se rassembler pour défendre la SNCF. Benoît [Hamon] a décroché son téléphone et lui a dit : ‘‘Si tu prends l’initiative d’une réunion unitaire, on viendra.” »

Dont acte. Quelques mails plus tard, ce 14 mars au soir, ils sont treize, assis autour d’une table au rez-de-chaussée de la librairie. Parmi eux, Clémentine Autain qui représente le groupe parlementaire de La France insoumise – qui n’est pas représentée en tant que mouvement –, Fabien Guillaud-Bataille pour le PCF, Sarah Legrain pour le Parti de gauche, Sandra Regol pour EELV. Il y a aussi les représentants de petites formations comme Ensemble!, Gauche démocratique et sociale (le mouvement de Gérard Filoche), Alternative libertaire ou Nouvelle Donne. Même Lutte ouvrière a envoyé quelqu’un, pour voir. Enfin, bien sûr, le NPA, la puissance invitante représentée ce soir-là par Olivier Besancenot, et Pascal Cherki, pour Génération.s.

Charge maintenant à cette petite troupe de rivaliser d’imagination pour organiser le mode opératoire commun de la contestation… Et ce n’est pas si facile, en dépit du fait que tout ce petit monde travaille ensemble depuis des années. Entre les divergences stratégiques, les vieilles rancœurs et les rivalités, la maxime selon laquelle « l’union est un combat » n’a rien perdu de son actualité.

« À leur décharge, tous ces femmes et hommes politiques partent de très loin », observe Marion Fontaine, historienne de la gauche, qui rappelle que « la gauche française est divisée de manière structurelle, contrairement à la gauche britannique ou allemande où les tensions ont lieu à l’intérieur même du grand parti social-démocrate ». Dans l’Histoire, chaque fois que la gauche s’est unie, ajoute-t-elle, « c’est parce qu’elle était poussée par des événements historiques exceptionnels : c’est la peur du fascisme qui a créé le Front populaire, et l’après-68 qui a permis l’union de la gauche dans les années 1970-80 ».

Un participant aux rencontres de La Brèche livre une analyse plus prosaïque : « Le problème de fond, c’est que vous avez dans la même salle des gens qui pensent à peu près pareil, mais qui se disputent les mêmes parts de marché. » « Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première invitation est venue d’Olivier Besancenot : il n’est un danger pour personne », glisse un autre.

Car si tout le monde partage le même diagnostic – en l’occurrence, qu’il faut se montrer uni face à un président qui divise –, chacun joue aussi sa propre partition. Socialiste de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, qui n’a pas eu la chance d’être convié – il aurait bien aimé –, jette sur la situation un regard d’entomologiste : « Il y a un hiatus entre l’urgence politique de créer une grande opposition populaire pour contrer Macron et l’agenda électoral qui favorise la dispersion, résume-t-il. Savoir que l’on sera tous concurrents aux européennes l’an prochain n’aide pas à se serrer les coudes aujourd’hui. »

À un an d’élections considérées par tous comme le juge de paix du rapport de force entre les mouvements de gauche, se rassembler en vue d’un intérêt général supérieur ne cadrerait pas avec la logique politique des temps à venir. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le rassemblement ne sert pas la stratégie de certains : « Le PCF et Génération.s ont un intérêt commun à s’allier avec nous dans ces réunions unitaires : ça leur permet de montrer qu’une autre gauche existe que La France insoumise », décrypte Antoine Pelletier, du NPA.

Outre les problèmes de timing, il faut aussi dépasser les divergences stratégiques avec La France insoumise. Si du NPA à Génération.s, en passant par le PCF, tout le monde croit en les vertus du rassemblement entre partis de gauche, La France insoumise le considère comme un repoussoir. Elle n’a jamais caché tout le mal qu’elle pensait d’une union de type apposition de logos – la fameuse « soupe aux sigles » raillée par Jean-Luc Mélenchon.

D’autant que le fait même de devoir nager dans le même (petit) bain que les formations estampillées « de gauche », voire « d’extrême gauche », est à mille lieues de la stratégie populiste de déplacement de l’opposition droite/gauche vers une opposition peuple/élites portée par Mélenchon pendant sa campagne présidentielle. D’où ses réticences à s’engager pleinement dans les réunions de La Brèche.

« En réalité, Mélenchon s’est retrouvé un peu piégé dans cette affaire, commente Claire Monod, de Génération.s. Son mouvement ne pouvait pas ne pas participer à l’union de la gauche et en même temps, il n’a pas intérêt à s’afficher trop souvent avec nous. » Sandra Regol, l’envoyée d’EELV aux rendez-vous unitaires, le dit d’une autre manière : « La ligne de La France insoumise s’est assouplie et c’est positif. Jean-Luc Mélenchon, qui avait théorisé le fait que l’union de la gauche était dépassée – un point de vue que nous ne sommes pas loin de partager à EELV –, s’est vu néanmoins obligé de la jouer un peu plus collectif. »

« Faire plaisir à “Gégé” »

Reste que si La France insoumise nourrit quelque ambiguïté vis-à-vis de cette union des luttes, ses actuels compagnons de route n’ont pas moins de préventions à son égard. Devenue incontournable après son succès à la présidentielle, la formation, autoproclamée « première opposante » à Macron, est aussi l’objet de bien des ressentiments dans cette union des gauches.

L’an dernier, les violentes querelles entre le PCF et La France insoumise, qui n’ont eu de cesse de se renvoyer le mistigri de la division après les législatives, ont laissé des traces. Les sorties jugées « anticommunistes » de Jean-Luc Mélenchon n’ont ensuite rien arrangé. « Jean-Luc Mélenchon a eu des mots de violence et de haine à notre égard. Certains, à La France insoumise, ont perdu leur calme et insulté l’avenir », estime Fabien Guillaud-Bataille, au PCF.

Plus largement, sont reprochées à FI ses prétentions hégémoniques. La formation est accusée de vouloir « faire une OPA » sur le mouvement social. « Il y a une forme d’arrogance et de mépris chez la FI qui ne favorise pas les discussions », dit un participant aux réunions unitaires.

D’où une ambiance parfois à couteaux tirés, comme ce mardi 10 avril quand François Ruffin a passé une tête à La Brèche pour parler de son projet de « Fête à Macron », lancé avec le philosophe Frédéric Lordon. « Tout le monde a fait mine de croire que c’était un appel spontané, mais dès qu’il a eu le dos tourné, on est plusieurs à s’être regardés d’un air entendu : évidemment que tout ça était téléguidé par Mélenchon », raconte un témoin de la scène. Un autre : « C’est dommage, mais même si on sait tous que François est de bonne foi, l’étiquette ‘‘France insoumise’’ l’a rendu immédiatement suspect. »

Les tensions se sont aussi cristallisées sur le rapport aux syndicats : « Nous, nous estimons qu’on ne peut pas se substituer au mouvement social », répète à l’envi le « hamoniste » Pascal Cherki, dans une pique lourde de sous-entendus pour Jean-Luc Mélenchon et sa vaine tentative de mettre l’opposition sur orbite avec sa manifestation du 23 septembre dernier. « Au PCF, on pense que ceux qui doivent décider du rythme des mouvements, ce sont les travailleurs qui perdent leurs jours de salaire, pas les politiques ! », ajoute Fabien Guillaud-Bataille, qui se dit par ailleurs persuadé que « les luttes efficaces se construisent sur des conflits concrets, pas sur des mots d’ordre politiques du style ‘‘À bas Macron’’ décrété d’en haut. Il faut construire avec les syndicats, pas les remplacer ».

La France insoumise, de son côté, n’y voit pas autre chose que la marque d’un conflit entre Anciens et Modernes. « Il faut arrêter les cloisonnements artificiels et ouvrir au maximum les mobilisations, juge Sarah Legrain, secrétaire nationale du Parti de gauche – organisation incluse dans FI. Voir des hommes politiques – qui plus est, que des hommes – s’afficher ensemble dans un train, ça n’a jamais donné envie à personne de faire de la politique. Tout cela sert surtout aux petites organisations qui veulent une tribune pour exister, mais nous, à la FI, on n’a pas besoin de ça. »

Meilleur exemple, selon elle, de ce genre de dérives : le « meeting unitaire » organisé lundi dernier, veille du 1er Mai, qui a rapidement viré à la catastrophe. Une pluie glaciale, une place de la République quasiment vide. Pis : en dépit de ce qu’annonçaient les tracts imprimés à la hâte par le PCF, ni Benoît Hamon, ni Clémentine Autain, ni David Cormand n’avaient pu venir. « C’est le NPA et Gérard Filoche qui voulaient ce meeting, grince Manuel Bompard, porte-parole de FI. C’est bien beau de faire plaisir à ‘‘Gégé’’, mais ça épuise les forces militantes pour rien. »

Mercredi, sur son blog, Jean-Luc Mélenchon s’est gaussé du « flop » du 30 avril. Il l’avait bien dit, lui, que l’union de la « petite gauche », celle des partis, finirait par un « entre-soi » stérile et qu’il fallait ouvrir un front plus large…

Mal à l’aise dans le tête-à-tête « gauche-gauche », La France insoumise trépigne désormais de passer, fissa, à autre chose. Au point que le député de Marseille n’a pas attendu que les fédérations syndicales aient validé l’orientation de leur confédération pour annoncer avant tout le monde, lors d'une conférence de presse au siège de FI, vendredi matin, l’organisation de la « marée populaire » du 26 mai. « On était censé attendre une conférence de presse unitaire, le 17 mai prochain, pour l’annoncer, se désole l’un des associatifs qui avaient organisé la réunion à la Bourse du travail. J’espère que les militants syndicaux ne vont pas considérer que Mélenchon leur a coupé l’herbe sous le pied, et que ça ne portera pas préjudice au mouvement. » L’unité, l’unité… Pas gagné.

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